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Le président de la BNS sous pression

Le couple Hildebrand dans la tourmente. Silvia Pfenniger

Une transaction de l’entourage ou du président de la Banque nationale suisse sème le trouble. Des documents auraient été transmis au gouvernement par le député UDC Christoph Blocher. Affaire Hildebrand? Blocher? Les deux? La BNS s'en passerait bien.

La presse a révélé que le Conseil fédéral a reçu en décembre des documents bancaires relatifs aux transactions personnelles de Philipp Hildebrand des mains de Christoph Blocher, stratège de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) qui avait durement attaqué l’année dernière la politique monétaire du président de la BNS.

La banque Sarasin de Bâle a annoncé mardi par communiqué qu’un employé de son service informatique avait avoué avoir volé et remis les documents relatifs aux Hildebrand à un avocat proche de l’UDC.

Selon une vérification ordonnée par le gouvernement, trois semaines avant l’introduction du taux plancher du franc contre l’euro par la BNS en septembre, l’épouse de ce dernier, Kashya Hildebrand, a acheté 512’000 dollars pour 400’000 francs. Cela lui a permis d’engranger une plus-value à la revente de 61’000 francs. A-t-elle profité d’informations privilégiées de son mari? Ce dernier s’est-il rendu coupable d’un délit d’initié?

Un feuilleton rocambolesque

Non, a répondu la BNS dans un communiqué publié la veille de Noël, indiquant qu’après enquêtes, Philipp Hildebrand était blanchi. Mardi, Kashya Hildebrand, qui est une ancienne trader, s’est exprimée par lettre à la télévision alémanique pour expliquer que sa galerie d’art zurichoise opérait souvent en dollars. Elle a affirmé avoir toujours suivi les marchés des changes et avoir voulu profiter du niveau très bas du dollar.

Mais voilà que l’hebdomadaire proche de l’UDC Weltwoche annonce de nouveaux détails, selon lesquels Philipp Hildebrand aurait en fait réalisé la transaction lui-même. Il en aurait même effectué plusieurs autres, entre mars et octobre 2011 à travers la bourse de devises Foreign Exchange (Forex).

En attendant de connaître les dessous du feuilleton, cette attaque, justifiée ou non, contre l’intégrité personnelle de Philipp Hildebrand risque de déstabiliser la BNS elle-même.

Pertes sur les changes

Comme la plupart des banques centrales, cette dernière bénéficie d’une grande indépendance opérationnelle pour assurer la stabilité des prix. Elle fixe notamment les taux d’intérêt, intervient sur les marchés des changes sans avoir de comptes à rendre au monde politique.

Au plus fort de la crise financière de 2008, la BNS a repris des actifs pourris de la banque UBS, mais sans intervenir autant que d’autres banques centrales pour redresser l’économie. Cela a changé quand le franc s’est apprécié rapidement face à l’euro et au dollar, mettant sous pression l’industrie suisse d’exportation et le secteur du tourisme.

En 2009, puis en 2010, la BNS a acquis des euros en masse pour affaiblir le franc. Mais la monnaie européenne a poursuivi sa chute et la banque centrale s’est retrouvée avec des pertes de change de 26,5 milliards en 2010. Des politiciens et des médias ont réagi vivement, accusant Philipp Hildebrand (vice-président de la BNS dès 2007 et président dès le début 2010) d’avoir perdu les pédales. La banque centrale a maintenu son cap, soutenant que son intervention avait ralenti la hausse du franc et conjuré la menace de déflation.

En juillet dernier, Philipp Hildebrand réagissait: «La BNS doit pouvoir continuer à agir en toute indépendance sans que ce principe soit remis en cause». L’euro continuant sa chute, la BNS a fixé un taux plancher de 1,20 franc pour un euro qui, depuis, oscille juste au-dessus de cette limite. Philipp Hildebrand a récolté des louanges mais aussi les critiques des syndicats redoutant une hausse du chômage.

Pressions et indépendance

L’indépendance de la banque nationale est-elle menacée par ces pressions? Charles Wyplosz, de l’Institut de hautes études internationales de Genève, pense au contraire que la BNS demeure l’une des banques centrales les plus indépendantes du monde.

«Mais aucune banque centrale n’est complètement indépendante, déclare-t-il à swissinfo.ch. Elles sont toujours soumises à certaines conditions. La BNS ne peut pas vivre dans une bulle, elle doit rendre des comptes au gouvernement et bénéficier du soutien et de la confiance de la société en général.»

Or certaines voix s’étaient élevées au Parlement fédéral contre l’opacité des règlement de la BNS, notamment en matière de délits d’initiés. Mercredi, cette dernière a rendu public ce fameux règlement et soutenu son président. Elle affirme dans un communiqué que les dernières informations des médias sur les transactions de la famille Hildebrand sont «partiellement incorrectes» et que celui-ci informera la presse jeudi.

Après que plusieurs politiciens ont réclamé dans la presse de mercredi plus de transparence, et notamment que le règlement interne de la BNS soit rendu public, la banque centrale a publié le document le jour même.

On y voit notamment que la BNS interdit aux membres de sa direction de faire des opérations privées qui «utilisent des informations qui ne sont pas publiques». Sont également prohibées «les transactions pour compte propre antérieures ou simultanées à des transactions prévues ou décidées par la BNS».

Il en ressort clairement que les opérations privées qui se basent sur des intentions de la BNS quant à sa politique monétaire sont interdites.

Créée en 1907, la BNS bénéficie du droit exclusif de faire tourner la planche à billets et est chargée d’assurer la stabilité des prix

Elle a le statut juridique d’une société par actions, dont 55% sont détenues par les 26 cantons, banque cantonales et autres collectivités de droit public. Les cantons reçoivent chaque année deux-tiers des bénéfices, le dernier tiers allant à la Confédération.

Elle a été réorganisée et rationnalisée dans les années 1990. Son indépendance a été aussi inscrite dans la nouvelle Constitution fédérale entrée en vigueur en 2000.

Le Conseil de banque est chargé d’exercer la surveillance générale et le contrôle sur la marche et la direction des affaires. Il compte 11 membres, dont 6 (y compris le président et le vice-président), sont nommés par le Conseil fédéral. Les 5 autres sont élus par l’Assemblée générale.

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