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Les «dissidentes» du Sechseläuten

La corporation du Fraumünster ne défile pas au sein du cortège officiel. Keystone

La ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey a déclenché une mini-polémique à Zurich. Elle va défiler avec une corporation féminine à la traditionnelle fête du Sechseläuten.

Le comité des corporations persiste cependant à exclure les dames.

C’est une très vieille tradition sur les bords de la Limmat. Fin avril, les corporations des différents corps de métier défilent à cheval ou à pied, en costume traditionnel, avant que le «Böögg», le bonhomme hiver, ne soit brûlé devant l’opéra, au bord du lac.

Cette fête de printemps, grâce auquel les Zurichois ont un demi-jour de congé, s’est au fil des décennies transformée en rendez-vous mondain.

Une grande partie de ce que la Suisse compte de personnalités dans les domaines politiques, économiques, scientifiques et culturels est invitée par une des vingt-cinq corporations.

Cette année, entre une centaine d’invités, les badauds pourront reconnaître – et leur lancer des fleurs, selon la tradition – Jens Adler (patron de Swisscom), André Dosé (patron de Swiss) ou Kurt Wüthrich (Nobel de chimie).

Egalement invités: le président de la Banque nationale suisse Jean-Pierre Roth, le chef de l’état-major général de l’armée Christophe Keckeis et le directeur de l’Office fédéral de l’aviation civile André Auer.

Dames oui, mais invitées

Au titre d’invitées, les dames sont aussi admises: le Comité central des corporations (ZZZ, selon l’abréviation allemande) en a choisi huit cette année.

Parmi elles figurent la cantatrice Cecilia Bartoli, la conseillère aux Etats Christine Beerli, la présidente du Parti radical suisse Christiane Langenberger et la directrice générale d’Expo 02 Nelly Wenger, qui comptent aussi parmi les rares Romands présents.

Du beau monde certes. Mais, contrairement à l’habitude, le cortège officiel n’accueillera pas de conseiller fédéral.

La ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey sera pourtant du voyage à Zurich pour défiler avec les quarante dames membres de la corporation «zu Fraumünster» (GzF). Qui a obtenu, il y a quatre ans, le droit de défiler séparément sur un parcours modifié.

«Politique locale»

Le ZZZ ne voit pas d’un très bon œil que la plus haute «VIP» de l’édition 2003 participe au cortège dissident. Le porte-parole de la conseillère fédéral, Simon Hubacher, balaye tout reproche.

«Le ZZZ n’a tout simplement pas invité Madame Calmy-Rey! La manœuvre actuelle est un peu facile. Nous avons simplement accepté une invitation envoyée en janvier. Tout ceci relève de la politique locale, un sujet auquel une conseillère fédérale ne saurait se mêler.»

Pas de faux pas!

«Il ne faut pas interpréter sa participation au cortège féminin comme un soutien à la corporation des femmes contre celle des hommes», précise encore le porte-parole, comme pour prévenir toute critique de faux-pas.

Avant d’ajouter: «Madame Calmy-Rey savait parfaitement, en acceptant l’invitation, où elle mettait les pieds. L’invitation était très claire: les femmes se battent pour leur reconnaissance. Et Micheline Calmy-Rey soutient le combat féministe en général.»

Plus de dix ans de combat

La corporation féminine GzF a été créée en 1989 pour commémorer l’important rôle joué à Zurich par les abbesses du Fraumünster jusqu’au XVIe siècle.

La corporation a toujours cherché à être admise par le ZZZ, en vain. Ce n’est qu’il y a quatre ans que la ville a autorisé un cortège parallèle, pour autant qu’il se déclare comme «manifestation».

«Au début, nous ne demandions qu’à pouvoir faire partie du cortège officiel, explique la porte-parole de la corporation féminine Jeannette Derrer. On nous l’a toujours refusé.»

«Il s’agit d’un problème d’égalité sexuelle, affirme la porte-parole. Les corporations affirment que le cortège est une manifestation privée. Nous ne croyons pas qu’un festival organisé un jour férié pour un public payant puisse être considéré comme privé.»

«En conséquence, ajoute-t-elle, cet événement doit être régi par l’égalité constitutionnelle entre hommes et femmes.»

Impossibilité statutaire

De leur côté, les corporations ne semblent pas vouloir changer leur position. Mais elles nient farouchement l’accusation de discrimination sexiste.

«Nous ne pouvons admettre que deux types de corporations, explique leur porte-parole Christian Steinmann. A savoir, les guildes originales, fondées en 1336 et représentant des corps de métier, ou les corporations émanant de quartiers intégrés à Zurich au tournant du XXe siècle.»

Et d’ajouter: «Il nous est donc impossible d’admettre au titre de membre la corporation du Fraumünster». Le ZZZ dit ne plus avoir admis aucune nouvelle corporation depuis le début des années 80.

«Une honte» pour Zurich

Le refus persistant concernant la GzF a poussé le maire de la ville de Zurich (le socialiste Elmar Ledergerber) à critiquer ce qu’il considère comme le «dernier bastion appenzellois d’Europe» et «une honte imméritée pour la ville».

Après l’échec d’une tentative de médiation entre les deux parties, le maire a néanmoins maintenu sa participation au cortège officiel.

Egalement invitée officielle, la conseillère d’Etat zurichoise Rita Fuhrer de l’Union démocratique du centre ne partage évidemment pas les vues du maire.

«Tout cela a à voir avec la tradition, dit-elle. Je trouve honteux d’essayer d’appliquer le critère moderne d’égalité des sexes à un événement historique. S’il s’agit de problèmes sociaux ou politiques actuels, c’est différent.»

«Mais, poursuit-elle, concernant une tradition, je ne pense pas que nous devrions réclamer les mêmes droits que les hommes.»

Petite consolation pour le cortège féminin, en plus de la présence d’une conseillère fédérale: cette année, le parcours qui leur est dévolu a été rallongé de plusieurs centaines de mètres.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann et Mark Ledsom, Zurich

– Le «Sechseläuten» est la fête du printemps et signifie «qui sonne à six heures».

– Pendant des siècles, c’est l’équinoxe de printemps qui marquait le passage de 17 à 18 heures pour le signal de la fin du travail au clocher de la cathédrale.

– La fête du Sechseläuten commence le dimanche par un cortège des enfants et se poursuit le lundi avec le défilé des corporations et de leurs invités.

– Depuis 1999, un cortège féminin a lieu sur un parcours différent, avant celui des corporations masculines.

– La fête culmine l’après-midi par la mise à feu du bonhomme hiver, le «Böögg». La tradition veut qu’une combustion rapide signale un été beau et chaud.

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