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Les amis de plume des condamnés à mort aux USA

Ursula Corbin écrit à des condamnés à mort depuis près de 20 ans. (Doc Productions) swissinfo

C’était la Journée internationale contre la peine de mort, vendredi. swissinfo a parlé à ces femmes dont les lettres sont souvent le seul contact avec l’extérieur pour des condamnés à mort aux Etats-Unis.

Elles sont membres de Lifespark, une organisation suisse qui fête ses trente ans.

Sans leurs «amis de plume», les prisonniers se trouvant dans un couloir de la mort aux Etats-Unis seraient bien seuls.

Le mérite revient, notamment, à Lifespark dont la principale activité est de leur trouver des correspondants.

L’organisation a vu passer son effectif de 150 à 250 membres, ces dernières années. Elle est aussi de plus en plus active dans ses campagnes contre la peine de mort.

De multiples débats

«Plusieurs personnes, qui écrivent des lettres depuis longtemps aux condamnés, nous ont demandés de faire plus au nom de Lifespark», explique à swissinfo Evelyne Giordani, présidente de l’organisation.

Une demande qui a mené à l’organisation d’une série de débats autour de la peine capitale, en 2000, en collaboration avec d’autres associations comme Amnesty International.

Lifespark est aussi impliquée dans des campagnes internationales contre la peine de mort. Parallèlement, elle fournit également une assistance juridique aux prisonniers.

Mais sa principale mission est de trouver des correspondants aux condamnés à mort. Parmi ces amis de plume suisses, certains ont même fait le voyage des Etats-Unis pour rencontrer les prisonniers.

Visites aux condamnés

«Je me suis liée d’amitié avec mon premier correspondant et je lui ai rendu visite, se souvient Ursula Corbin, l’une des fondatrices de Lifespark. Quand il a été exécuté, j’ai eu très mal et j’ai décidé de ne plus jamais écrire à des condamnés à mort.»

«Mais, ensuite, plusieurs prisonniers, qui avaient entendu dire que j’avais eu cette correspondance, m’ont demandé de leur écrire, poursuit-elle. J’ai reçu des dizaines de lettres.»

Plutôt que de répondre à tous, Ursula Corbin a créé Lifespark, avec deux autres Suissesses, en s’inspirant d’une organisation similaire en Grande-Bretagne.

Conditions inhumaines

Opposés à la peine capitale, les membres de Lifespark dénoncent aussi les conditions de détention dans le couloir de la mort, particulièrement au Texas où les détenus sont maintenus dans un isolement total.

Leurs cellules n’ont pas de fenêtres. Leurs affaires personnelles doivent tenir dans une petite boîte. Et ils ont droit à seulement deux heures de visite par semaine.

C’est pour cette raison qu’Ursula Corbin et les autres membres de Lifespark écrivent ces lettres et pas nécessairement parce qu’ils sont convaincus de l’innocence de leurs amis de plume.

D’ailleurs, elle-même est convaincue de la culpabilité de deux de ses correspondants condamnés pour meurtre.

Cela dit, comme beaucoup d’autres, Ursula Corbin est persuadée que de nombreuses peines de mort ont été prononcées sur la base de preuves peu convaincantes.

Quoiqu’il en soit, ces lettres permettent aux prisonniers «de s’évader sans s’évader vraiment». Et Ursula Corbin trouve le temps, entre son travail et sa vie familiale, de consacrer cinq heures par semaine à ses correspondants.

Un lien très fort

Maria Eggimann est institutrice et vit dans un petit village des Alpes bernoises. Elle aussi a un ami de plume.

«Quand j’ai commencé à lui écrire, je n’étais pas consciente de l’impact que cette correspondance aurait sur ma propre vie. J’ai découvert aussi qu’il n’avait personne d’autre. Il était seul.»

Ursula Corbin et Maria Eggimann ont toutes deux rendu visite à leurs correspondants, ce mois-ci, au Texas. Probablement la dernière occasion pour elles de les rencontrer, puisque presque toutes les procédures d’appel ont été épuisées.

Ecrire contre la mort

Le réalisateur suisse Rolf Lyssy a accompagné Ursula Corbin durant l’une de ses visites au Texas, l’année dernière. Il a tourné un film sur cette correspondance hors du commun.

«C’est facile de critiquer les autres pays et leurs systèmes, explique Rolf Lyssy à swissinfo. Mais là, on réalise à quel point tout cela est intolérable, particulièrement la façon dont ils traitent les prisonniers au Texas.»

Le film «Schreiben gegen den Tod» (Ecrire contre la mort) a été diffusé par la télévision suisse et il devrait être projeté pour la première fois aux Etats-Unis, à New York, cet automne.

Rolf Lyssy a décidé de réaliser une dernière interview avec Stephen Moody, le condamné à mort qui apparaît dans le reportage, si le dernier recours est rejeté. Le réalisateur ajoutera l’extrait à la fin de son film.

La colère pour moteur

Même si Stephen Moody est exécuté, Ursula Corbin a l’intention de continuer ses correspondances avec des condamnés.

«J’ai tellement de colère en moi. La colère de voir comment un pays civilisé traite ses habitants. Ils tuent leurs propres citoyens. Mais cette colère me donne l’énergie de continuer. Parce qu’on ne peut pas changer le monde si l’on se dit ‘de toute façon on ne peut rien y faire’.»

«Je veux participer à ce changement, conclut Ursula Corbin. Et même si je ne suis plus là pour le voir, j’espère que les générations futures en bénéficieront.»

swissinfo, Dale Bechtel
(Traduction: Alexandra Richard)

– Quelque 3500 condamnés à mort sont détenus dans les prisons américaines.

– Près d’un tiers des condamnés à mort se trouvent en Californie et au Texas.

– Une étude américaine a démontré que dans plus de 80% des cas, «la race influence la probabilité d’être ou non condamné à la peine capitale».

– Le 10 octobre a été déclaré Journée mondiale contre la peine de mort.

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