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Les juifs de Suisse consomment leur divorce

Alfred Donath (gauche) et François Garaï. swissinfo.ch

L'association faîtière des juifs de Suisse refuse d'intégrer en son sein la communauté libérale.

Alfred Donath, président de la Fédération des communautés israélites et le rabbin libéral genevois François Garaï confient leurs réactions à Vanda Janka.

Réunie jeudi à Berne, l’assemblée des délégués de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) a tranché. Pas question d’intégrer en son sein la communauté libérale.

Elle s’est prononcée en effet à une courte majorité contre la demande d’adhésion des communautés libérales de Zurich et de Genève: 67 voix contre 40 à l’entrée de l’organisation libérale de Zurich et par 66 voix contre 41 pour celle de Genève. Une majorité des deux tiers était nécessaire.

Ce refus d’incorporer l’aile libérale du judaïsme en Suisse conforte les positions des orthodoxes. Deux paroisses zurichoises menaçaient en effet de quitter l’association faîtière en cas d’acceptation.

La parole à François Garaï, rabbin de la Communauté israélite libérale de Genève et à Alfred Donath, président la Fédération des communautés israélites.

swissinfo: Comment interprétez-vous le vote des délégués?

Alfred Donath: Il s’agit avant tout d’un réflexe de défense de la part des Communautés traditionnelles. On assiste aujourd’hui à une polarisation du judaïsme. La tendance les plus extrêmes ont le vent en poupe alors que les centristes, eux, sont en perte de vitesse.

De toute évidence, les conservateurs ont préféré maintenir leur alliance avec les ultra-orthodoxes. De crainte de perdre trop de membres au profit des libéraux.

François Garaï: Nous avons obtenu une majorité simple et c’est un point positif. Toutefois, il existe toujours une forte minorité de blocage qui se cramponne à une vision fondamentaliste du judaïsme.

swissinfo: Est-ce qu’on peut parler d’un véritable schisme au sein du judaïsme en Suisse?

Alfred Donath: L’éventualité d’un schisme entre les ultra-orthodoxes et les libéraux est évoquée au plan mondial. On peut admettre que le vote des délégués de la FSCI reflète cette tendance.


François Garaï: Je n’utiliserai pas le terme de schisme mais celui de clivage important. Les tenants d’une approche plus ouverte du judaïsme prônaient la diversité au sein de la FSCI. Ils ont échoué à faire passer le message.

swissinfo: Quelle est la principale pomme de discorde entre l’aile orthodoxe et l’aile libérale du judaïsme?

Alfred Donath: Il existe des divergences religieuses et d’autres plus politiques. Pour les uns, la Thora a un caractère divin et ne peut donc pas être remise en cause. Pour les autres, les réalités du monde actuel permettent de reconsidérer certains principes.

Par ailleurs, une frange du judaïsme craint le pouvoir de séduction de la pensée libérale. Elle préfère donc tenter d’isoler le mouvement.

François Garaï: La discorde porte essentiellement sur la question de l’immuabilité ou non de la tradition. L’aile libérale considère pour sa part que la tradition représente une source d’inspiration qui peut être évolutive.

swissinfo: La transmission de l’identité juive (qui dans la tradition ne peut se faire que par la mère) ne représente-t-elle pas l’un des points forts de l’opposition entre les libéraux et les orthodoxes?

Alfred Donath: En effet. Le judaïsme libéral tend à faciliter les conversions. Les conservateurs, ultra-orthodoxes en tête, estiment de leur côté que ce principe porte atteinte à la survie du judaïsme. Pour eux, l’assimilation entraîne à terme l’abandon de la religion et de l’identité juive. C’est donc un risque qu’il faut combatte à tout prix.

François Garaï: Ceux qui préconisent une rigueur absolue en matière de transmission de l’identité juive sont prêts, sans s’en rendre compte, à soutenir le principe de l’épuration ethnique. Je crois toutefois que ce point est secondaire dans la querelle qui oppose fondamentalistes et libéraux.

swissinfo: Les buts déclarés de la Fédération suisse des communautés israélites sont avant tout politiques. Est-ce que la décision de jeudi ne souligne pas une certaine incohérence de cet organe?

Alfred Donath: J’utiliserai plutôt le terme d ambiguïté. Et ce phénomène n’est pas nouveau. Il pose la question de la différenciation entre le peuple juif et la religion juive, le politique et le religieux.

François Garaï: Le refus d’intégrer les communautés libérales n’a rien à voir avec la vocation politique et sociale de la FSCI. Il s’agit avant tout d’un vote éminemment religieux.

swissinfo: Peut-on être juif sans être croyant ?

Alfred Donath: La pratique de la religion est un point d’ancrage primordial. Elle permet à l’individu de confirmer son appartenance à la communauté juive.

François Garaï: De nombreux juifs sont inscrits dans des Communautés sans pour autant être croyants. Le paradoxe vient du fait que certains d’entre eux se sont probablement prononcés contre l’intégration de l’aile libérale au sein de la FSCI.

Cette attitude témoigne de l’incohérence dont fait preuve une partie des juifs aujourd’hui. Ils ne sont pas pratiquants au sens propre du terme mais ils espèrent que leurs responsables religieux le seront pour eux.

swissinfo: La Fédération suisse des communautés israélites ne perd-elle pas de sa légitimité en excluant 13% des juifs vivant en Suisse?

Alfred Donath: En France, la proportion de juifs affiliés à une Communauté, (le CRIF) ne dépasse pas 30%. Le taux n’est pas plus élevé en Angleterre. Et il tombe même à moins de 5% en Europe de l’Est. En Suisse, toutes tendances confondues, 80% des juifs sont membres d’une Communauté.

Quand bien même nous ne représenterions plus que 60 à 70% de ces adhérents, nous restons tout de même représentatifs des juifs de Suisse.

François Garaï: Pour moi, la FSCI est devenue une fédération «exclusiviste» et «rejectioniste». Suite à ce vote, elle ne peut décemment plus prétendre représenter les juifs de Suisse.

swissinfo: Le divorce consommé ce jeudi entre libéraux et orthodoxes suisses reflète-il la tendance du judaïsme au plan international?

Alfred Donath: La Suisse s’aligne sur la tendance européenne. On constate que la plupart des Communautés sont composées d’un mouvement traditionnel et d’une aile plus extrême, qu’elles soient ultra-orthodoxes ou libérales.

François Garaï: Les libéraux comptent aujourd’hui le plus grand nombre de Communautés au plan mondial. Par ailleurs, de très nombreux pays ont des organisations faîtières qui intègrent toutes les tendances. C’est le cas par exemple du CRIF, le Conseil Représentatif des Institutions juives de France.

Interview swissinfo: Vanda Janka

La FSCI réunit 18 communautés juives et compte environ 14 000 membres.

Les Communautés israélites libérales de Zurich (Or Chadasch) et de Genève représentent 13% des juifs de Suisse.

Les Communautés ultra-orthodoxes de Zurich comptent 15% des Juifs de Suisse.

Les grandes Communautés centristes comptent près de 20% d’ultra-orthodoxes.

-La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) est l’organisation faîtière des communautés juives de Suisse.

-Elle a été fondée en 1904 dans le but de lutter contre l’interdiction de l’abattage rituel ancrée dans la Constitution fédérale.

-FSCI se définit comme un organe visant à défendre les intérêts des juifs en Suisse notamment face aux autorités fédérales.

-La Fédération s’engage également dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Elle est notamment représentée dans la Commission fédérale contre le racisme (CFR).

-Les représentants de la FSCI sont en outre présents dans divers groupes de discussion avec les églises.

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