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Les troubles en Syrie, vus de l’ambassade suisse

La situation précaire dans leur pays pousse de nombreux Syriens à fuir vers la Turquie. Keystone

La violence en Syrie augmente de jour en jour, et l’information circule mal. Sur place, l’ambassadeur suisse remarque que le calme règne à Damas, mais que les gens parlent de plus en plus ouvertement de politique et que les opinions se polarisent.

Les nouvelles en provenance de Syrie sont contradictoires et difficiles à vérifier. Ainsi, selon la télévision officielle, l’armée a lancé vendredi «à l’appel des habitants» une opération sur la ville de Jisr Al-Choughour pour la débarrasser des «bandes armées».

Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent quant à eux un nouveau coup de force contre les opposants au président Bachar el-Assad. Depuis le mois de mars, les troubles auraient fait plus de 1100 morts, selon les chiffres des Nations Unies. La vision de l’ambassadeur Martin Aeschbacher.

swissinfo.ch: Depuis l’ambassade suisse, que perçoit-on des troubles dans le pays?

Martin Aeschbacher: Directement ici à Damas, je ne sens rien. Le centre-ville est absolument tranquille. Il y a de petites manifestations en périphérie et de plus grosses dans les banlieues. Mais le centre de la capitale est une étonnante oasis de paix. Et c’est la même chose à Alep, où je viens de me rendre.

Cela dit, je ressens clairement la tension quand je parle avec des connaissances syriennes, qui sont particulièrement inquiètes.

swissinfo.ch: Comment vous informez-vous sur la situation dans le pays?

M.A.: La situation sur le front de l’information est extrêmement difficile et contradictoire, comme je l’avais rarement vécu depuis que je suis ici. Je regarde la télévision d’Etat syrienne, les chaînes panarabes Al Jazira et Al Arabiya et le service arabe de la BBC. Il y a aussi les journaux gouvernementaux, un journal privé semi-officiel et l’Internet, où l’on trouve de très bons sites spécialisés sur la Syrie.

Mais à côté de ça, ce qui est particulièrement important pour moi, c’est de parler avec des gens, de toutes provenances. Les rumeurs qui circulent sont particulièrement troublantes. Cela peut aussi être une arme politique, de répandre des rumeurs de manière ciblée. D’autres rumeurs naissent de la peur des gens, et elles en disent long sur l’état d’esprit de la population.

swissinfo.ch: Est-ce que le ton des conversations a changé ces derniers mois?

M.A.: Les gens sont beaucoup plus ouverts et parlent de politique, ce qui est nouveau et étonnant. Quand on rencontre des gens, la conversation vient immédiatement sur des sujets politiques. Les gens sont inquiets, car il y a beaucoup d’incertitudes. J’ai aussi remarqué une certaine polarisation des opinions.

swissinfo.ch: Cela voudrait-il dire que la peur de la répression en cas d’opinions critiques a disparu?

M.A.: Oui, jusqu’à un certain point. Avant, les Syriennes et les Syriens étaient extrêmement prudents avec leurs opinions. Ça a changé, ils sont devenus plus ouverts. Mais bien sûr cela dépend toujours qui et en quelles circonstances.

swissinfo.ch: Y-a-t-il beaucoup de Suisses qui ont quitté la Syrie?

M.A.: Le Département des Affaires étrangères recommande aux Suisses de quitter le pays si leur présence n’y est pas indispensable. Une grande partie des 210 Suissesses et Suisses vivant en Syrie sont de toute façon des doubles nationaux établis ici de façon permanente. Leur situation n’est pas comparable avec celle d’expatriés qui viennent vivre quelques temps en Syrie pour leur job.

swissinfo.ch: Il y a deux ans, l’ambassade suisse à Damas a organisé un concert avec le rappeur Greis, qui a pas mal enthousiasmé la jeunesse locale. Un tel concert serait-il encore possible aujourd’hui?

M.A.: A Damas, en principe, ce serait possible, et il y aurait certainement du public. Mais l’ambiance n’est pas trop à la fête. Dans des situations comme celle-ci, la question se pose toujours de continuer ou non à organiser des événements culturels. Parce qu’ailleurs dans le pays, la situation est dramatique par endroits, et le sang coule.

Personnellement, je suis d’avis que même dans des situations difficiles, on doit essayer de continuer. Mais certainement avec mesure. Dans la plupart des manifestations culturelles auxquelles j’ai assisté récemment, on commence toujours par une minute de silence pour les victimes, quel que soit leur camp.

swissinfo.ch: Etes-vous davantage surveillé que par le passé?

M.A.: En tous cas, je n’ai rien remarqué de tel. Je me déplace librement à Damas, comme toujours. Ce qui a changé, c’est la situation sécuritaire en dehors de la capitale. Aujourd’hui, j’hésite à sortir de la ville en voiture si ce n’est pas indispensable. On peut être pris dans une manifestation, ou quelqu’un peut soudain se mettre à tirer à un barrage routier. On sait pas ce qui peut se passer, particulièrement les vendredis et les samedis. Je ne voudrais pas dramatiser, mais la situation n’est pas sûre. 

Jakob Kellenberger se dit prêt à se rendre personnellement en Syrie pour s’entretenir avec les autorités. Le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a demandé vendredi un accès immédiat aux victimes en Syrie, y compris aux personnes arrêtées ou détenues.

Une assistance humanitaire vitale doit être apportée sans attendre aux personnes vulnérables. «Nous sommes disposés à déployer nos collaborateurs dans les zones touchées afin d’apporter protection et assistance aux personnes dans le besoin», a insisté le président du CICR.

Insuffisant. En coopération avec le Croissant-Rouge arabe syrien, le CICR a effectué jusqu’ici des visites de courte durée à Daraa, Tartous et Homs le mois dernier. Toutefois, dans le cadre de ces visites limitées, il a été difficile de se faire une idée précise de la situation sur le terrain et de l’ampleur des besoins humanitaires, a indiqué Jakob Kellenberger.

A plusieurs reprises, le CICR a exhorté les autorités et tous ceux qui participent aux violences à respecter en tout temps la vie humaine et la dignité. L’organisation souligne que de nombreux rapports font état de centaines de personnes tuées ou blessées, de milliers de personnes détenues ou arrêtées, et de milliers d’autres personnes confinées chez elles en raison de la violence.

Source: ats

Une superficie de 185’180 km2 (Suisse: 41 290 km2) pour 21 millions d’habitants dont 50% de citadins et 52% de moins de 25 ans (taux d’alphabétisation: 75%).

Une population composée d’Arabes (89 %), de Kurdes 6 %), d’Arméniens (2 %), de Tcherkesses et d’Assyriens (3 %).

Une diversité confessionnelle répartie en musulmans sunnites (72%), alaouites (secte d’origine islamique, mais considérés comme hérétique tant par les sunnites que par les chiites, 12%), catholiques et protestants (6%), chrétiens orthodoxes (4%), druzes (secte d’origine islamique, mais considérés comme hérétique tant par les sunnites que par les chiites, 3%), musulmans chiites 3%).

Sources: Courrier International et Le Temps

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

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