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Libérés de Guantanamo pour tomber dans un autre enfer

Haïtham Manaa (à gauche) et Rachid Mesli, représentants des deux ONG qui s'inquiètent de l'après-Guantanamo. Keystone

Des organisations de défense des droits de l'homme s'inquiètent du sort des détenus de Guantanamo libérés pour être renvoyés dans leur pays d'origine.

Deux ONG, «Al Karama pour les droits de l’homme», basée à Genève, et l’Organisation arabe pour les droits de l’homme (OADH) lancent une campagne internationale pour «l’après-Guantanamo».

Hier encore, les militants des droits de l’homme se battaient pour que les détenus de Guantanamo soient libérés. Aujourd’hui, ils demandent que certains d’entre eux ne le soient pas.

«Nous en sommes arrivés aujourd’hui au point de préférer la prolongation de l’existence du camp de Guantanamo pour éviter que ne se créent d’autres petits Guantanamo dans les pays arabo-musulmans et en Europe», a admis Haïtham Manaa, porte-parole de l’OADH, lors d’un conférence de presse la semaine dernière à Genève.

Risques de tortures

La raison de cet apparent revirement ? Les anciens détenus qui sont renvoyés dans leurs pays risquent des tortures encore plus brutales que celles qu’ils ont pu subir sur la base américaine.

«En tant que défenseurs des droits de l’homme, nous nous retrouvons dans une situation fort délicate. Nombre de détenus refusent d’être renvoyés vers leurs pays d’origine», explique l’avocat Rachid Mesli, de l’ONG Al-Karama (dont le nom signifie «dignité»).

Les ONG sont en effet en train de rechercher des pays européens disposés à accorder l’asile politique aux 276 hommes encore détenus à Guantanamo.

«Nous essayons de mobiliser l’opinion publique dans les pays européens pour les convaincre d’accueillir certains parmi ceux dont l’innocence a été établie et reconnue pour éviter qu’ils aient à subir des simulacres de procès dans leur pays d’origine, précise Rachid Mesli Et nous avons des contacts, dans le même sens, avec des militants des droits de l’homme en Afrique du Sud».

Mieux vaut en Arabie Saoudite qu’en Tunisie

Au classement des pays arabes qui bafouent le plus les droits de leurs citoyens libérés du camp de Guantanamo, la Tunisie occupe la première place. Les pressions montent aussi pour que les renvois soient interdits vers l’Algérie, la Libye, la Syrie et l’Egypte.

Etonnamment, l’Arabie Saoudite et le Koweït sont les deux pays où les anciens détenus ont le moins à craindre pour leur intégrité physique.

«Le compromis trouvé avec l’Arabie Saoudite est bon: les anciens détenus ont été libérés, même s’ils n’ont pas le droit de quitter le pays», affirme à l’agence Infosud Haïtham Manaa, porte-parole de l’OADH.

Interpeller les intellectuels américains

Ce qui s’est passé à Guantanamo «a détruit tout ce qui a été édifié pendant des années dans le domaine du respect de la loi aux Etats-Unis et dans le monde. C’est à ce titre que nous interpellerons les intellectuels américains sur leur silence à propos de cette affaire», souligne encore Haïtham Manaa.

Le porte-parole de l’OADH fait également état de contacts avec le parti démocrate américain. Là-bas, Guantanamo est un des thèmes de la campagne électorale et l’ONG ne peut que se réjouir du rôle assumé par certains intellectuels arabes aux Etats-Unis, comme Nader Ferdjani, Moncef Marzouki, Negib Naïmi et d’autres, qui ont apporté leur soutien à la campagne.

Al-Karama et l’OADH comptent également saisir les instances internationales concernées par les droits de l’homme avec cette fois-ci «des dossiers documentés», précise Haïthem Manaa. La délégation doit revenir à la fin novembre à Genève pour y rencontrer le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture.

Agir contre l’impunité

Les organisateurs entendent faire de cette campagne internationale qui s’étendra jusqu’aux Etats-Unis, un moyen d’amener les auteurs d’abus à rendre des comptes devant la justice.

Et de citer, parmi les actions déjà entreprises, la tentative de 32 organisations de la société civile de traîner l’ancien ministre de la défense américain Donald Rumsfeld en justice lors de son passage à Berlin et à Paris.

«Un document atteste que cet homme a légalisé seize méthodes de torture, indique Haïthem Manaa. Mais le parquet général en France n’a pas voulu, sous pression américaine, bouger sur ce dossier».

Les ONG y voient une démonstration supplémentaire de l’échec de l’application du principe de «compétence universelle». Au nom de ce principe, un pays doit pouvoir arrêter et juger l’auteur présumé de crimes et de violations de droits de l’homme commis dans un pays tiers.

swissinfo, Mohamed Cherif à Genève
(Traduction et adaptation de l’arabe Said Djaafer)

Dans la prison de la base militaire navale de Guantanamo Bay, sur l’île de Cuba, l’armée américaine détient depuis 2002 des membres supposés du réseau terroriste Al-Qaïda.

Selon les organisations de défense des droits humains, près de 300 hommes y sont encore détenus aujourd’hui.

Le gouvernement suisse et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui visite régulièrement les détenus, se sont inquiétés à maintes reprises de cadre légal qui régit ces détentions.

La question est très controversée. D’un côté, le gouvernement de Washington estime avoir le droit de détenir sans limites et sans chefs d’accusation tous les combattants illégaux qu’il a capturés. De l’autre, certaines ONG n’ont pas hésité à qualifier Guantanamo de «goulag moderne».

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