Des perspectives suisses en 10 langues

LoRa, la voix des immigrés en vingt langues

Située dans l'ancien quartier industriel de Zurich, le Kreis 5, radio LoRa est aussi colorée que ses locaux.

La plus ancienne radio communautaire pour étrangers de Suisse a ses locaux au centre de Zurich. Elle produit des émissions dans plus de 20 langues. Un moyen pour de nombreux immigrés de préserver leurs racines et de se faire aider dans leur parcours d'intégration. Reportage.

Dans le bâtiment bleu ciel aux façades parsemées de personnages façon bande dessinée, c’est l’effervescence. Ce mercredi, Kadri Ismajli, un animateur albanais, interroge un jeune DJ qui a gardé son uniforme de La Poste.

Situés dans l’ancien quartier industriel de Zurich, le Kreis 5, les locaux de radio LoRa comptent seulement deux studios. Dans le plus petit d’entre eux, Kadri Ismajli est au micro pour une émission d’une heure.

Entre deux morceaux de musique albanaise, les auditeurs peuvent poser des questions ou faire connaître leur opinion sur les ondes.

«Mon émission s’appelle ‘La voix des Albanais’. J’y donne des informations sur la politique, la culture et les arts, explique Kadri Ismajli. Mes invités sont des personnalités politiques ou culturelles connues avec lesquelles les auditeurs peuvent dialoguer.»

Et l’animateur de se dire opposé à toute censure. «Tout le monde peut dire ce qui lui plaît sur des sujets qui peuvent parfois être tabous pour les Albanais», ajoute-t-il. Il arrive même que l’humour soit au rendez-vous, quand un auditeur se prend à imiter quelques figures de la vie politique albanaise.

Des origines alternatives

Née avec les mouvements de jeunes, imprégnée de la contreculture en vogue dans les années 1970, radio LoRa a d’abord diffusé des émissions pirates destinées à la scène alternative. Ce n’est qu’en 1983 qu’elle a reçu une autorisation officielle d’émettre.

«Nous diffusons des contenus qui constituent une alternative par rapport à ce qu’on trouve dans les médias habituels. Alternative en termes de langues d’abord, puisque nous émettons en 20 idiomes différents, et aussi en termes de culture et de musique», explique Nadia Bellardi, chargée des relations publiques de radio LoRa.

Comme dans beaucoup d’autres radios communautaires, le budget est serré. Radio LoRa fonctionne grâce à des cotisations. Mais près de la moitié du financement provient de l’Office fédéral de la communication (Ofcom), qui prend en compte la diversité linguistique des programmes.

Au total, quelque 300 volontaires contribuent à l’élaboration de la centaine d’heures d’émissions. La participation des femmes est particulièrement encouragée.

Pour l’équipe permanente chargée de gérer la radio, voir coexister autant de personnes de culture et de provenance différentes est parfois un défi. Mais on ne s’y ennuie jamais. Dans la cour, des membres du service espagnol sont justement en train de peindre des banderoles pour protester contre le coup d’Etat militaire au Honduras.

Un laboratoire d’interculturalité

«Nous avons toujours eu un espace ouvert où les gens peuvent offrir leurs services et s’exprimer sur des questions qui les touchent», explique Nicole Niedermüller, en charge de la coordination des programmes destinés aux femmes.

Selon elle, les préoccupations des immigrés sont largement absentes des médias traditionnels. «Tout le monde parle d’interculturalité et dit que l’intégration est importante, mais cela ne se fera pas si on ne crée pas d’espace pour cela.»

Bien qu’aucune mesure d’audience ne soit effectuée, certains programmes, comme ceux en espagnol par exemple, sont devenus des institutions parmi les expatriés. Outre les émissions traitant de sujets politiques, il est aussi question du système de santé helvétique ou des pratiques en vigueur dans le monde professionnel suisse sur les ondes de radio LoRa.

D’autres programmes enfin sont nettement plus ciblés. A l’instar de ceux qui s’adressent à la scène gay, lesbienne et transsexuelle en Turquie. Et l’allemand a aussi sa place. L’émission qui s’adresse aux Iraniens en exil est ainsi diffusée en farsi et dans la première langue nationale.

La Voix de l’Opposition

Baptisée «La Voix de l’Opposition», le programme en farsi est diffusé le mercredi. Il donne des informations sur la situation politique en Iran.

«Notre émission parle des prisonniers politiques et rend compte des condamnations à mort prononcées par le régime. Nous passons aussi de la musique engagée. Les questions des droits humains et des réfugiés sont également abordées», explique Mehrzad Khalili.

«Au début, nous pensions que nos seuls auditeurs seraient des Iraniens, c’est pourquoi nous avons commencé en farsi. Mais il s’est vite avéré que l’intérêt existait aussi de la part des Suisses. Des gens nous ont appelés pour nous demander de faire 15 minutes en allemand. Cela nous a semblé une bonne idée», poursuit-il.

A l’étranger, radio LoRa, qui peut être captée via Internet, compte aussi des auditeurs qui sont à la recherche d’une vision différente et qui ne trouvent pas leur compte dans les versions officielles. C’est le cas notamment pour les Tamouls et les Somaliens.

Pour plus de soutien

Aux yeux des animateurs du programme en farsi, radio LoRa est très importante, en particulier eu égard aux récentes élections présidentielles contestées en Iran.

«Cela fait presque deux ans que nous travaillons avec radio LoRa. Nous pouvons y parler de nos problèmes afin que tout le monde puisse comprendre ce qui se passe chez nous», indique Arsalan, un collègue de Mehrzad Khalili.

Pour sa part, Kadri Ismajli estime que radio LoRa, compte tenu de son importance, de son audience et de son ancienneté, devrait être mieux soutenue par les autorités. «C’est tellement dommage que la Suisse donne une si petite place à radio LoRa, et ceci depuis plus de vingt ans», déplore-t-il.

Isobel Leybold-Johnson à Zurich, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Carole Wälti)

Il y a sept radios communautaires pour les migrants en Suisse (sans compter les radios sur Internet). A l’exception d’une seule, elles émettent toutes depuis la Suisse alémanique.

La langue la plus représentée est l’espagnol, suivie par les programmes destinés aux populations des Balkans, aux Turcs (en turc et kurde), puis viennent l’italien et le portugais. L’anglais est aussi bien représenté.

Selon une étude publiée en mai dernier par l’Université de Zurich, la plupart des programmateurs d’émissions des radios communautaures sont d’origine étrangère. Ils possèdent une bonne formation. 75% sont des hommes.

Environ la moitié des migrants interrogés dans le cadre de cette étude prétendent utiliser un média destiné aux immigrés (radio, Internet, journaux).

Diffusion. Radio LoRa est diffusée sur Internet (voir lien ci-dessous). A Zurich et dans les environs, il est possible de la capter via le câble ou sur 97.5 FM.

Bénévolat. L’essentiel du projet fonctionne grâce à du travail volontaire. Il existe toutefois un noyau dur de sept personnes environ qui s’occupent du travail technique, administratif, des relations publiques, de l’organisation et de la coordination des programmes.

Expérimentation. L’expérimentation est également importante à radio LoRa. En juillet, le personnel prend une pause estivale, mais des émissions expérimentales sont produites hors locaux à Zurich.

Cette année, «Electromagnetic Summer» s’est ainsi déroulé du 13 au 26 juillet.

Indépendance. Radio LoRa fait partie d’Unikom, l’association suisse des radios locales non commerciales.

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SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

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