Des perspectives suisses en 10 langues

Neuchâtel Xamax désormais à l’heure tchétchène

Le nouveau président Andreï Rudakov a réitéré jeudi soir les ambitions de son patron Bulat Chagaev de «refaire de Xamax l’équipe qui a brillé dans les années ’80 et de disputer à nouveau la Coupe d’Europe». Keystone

Au terme d’une semaine agitée à Neuchâtel, l’homme d’affaires tchétchène Bulat Chagaev a officiellement repris jeudi soir les rênes de Neuchâtel Xamax. Expédiée en 24 minutes, l’assemblée générale n’aura pas permis de lever tous les doutes.

Il a surtout brillé par son absence. Bulat Chagaev, nouvel homme fort de Neuchâtel Xamax, n’était pas présent jeudi soir à l’assemblée générale extraordinaire du club dans les salons du stade de la Maladière.

La veille au soir, l’homme d’affaires tchétchène était encore à Grozny pour l’inauguration d’un nouveau stade de 30’000 personnes. C’est lui qui avait organisé la rencontre opposant une sélection d’anciennes gloires composée notamment de Luis Figo et Diego Maradona, et une équipe formée autour du jeune président tchétchène Ramzan Kadyrov.

Le lendemain, toutes ces anciennes idoles étaient attendues à Neuchâtel pour un cocktail dînatoire organisé par Bulat Chagaev. Elles n’ont finalement pas répondu présent. Motif invoqué: l’avion privé de l’homme d’affaires tchétchène n’a pas pu décoller à temps de Grozny. Pas de Maradona donc à Neuchâtel, dont le nom avait circulé dans la presse pour occuper le poste d’entraîneur. Ni de Bulat Chagaev, désormais actionnaire majoritaire, qui a laissé le soin à son bras opérationnel Andreï Rudakov, intronisé président du Conseil d’administration, de se voir remettre les clés du club.

Les nouveaux dirigeants n’ont pas tardé à prendre leur première décision. Exit l’entraîneur Didier Ollé-Nicole, à qui l’on n’a pas pardonné la sévère défaite concédée face à Thoune (1-4) mercredi soir dans un stade plein, l’entrée ayant été offerte par les nouveaux propriétaires. Il sera remplacé par Bernard Challandes, homme du crû, qui aura pour rude mission d’assurer le maintien du club en première division.

Augmenter le budget

Le nouveau président Andreï Rudakov a insisté sur l’importance de voir Neuchâtel Xamax rester en première division. Il a également réitéré les ambitions de son patron de «refaire de Xamax l’équipe qui a brillé dans les années ’80 et de disputer à nouveau la Coupe d’Europe».

Pour cela, il faudra augmenter le budget du club, a-t-il affirmé, sans donner de chiffres précis. «Regardez le budget du FC Bâle», a-t-il dit pour donner un ordre d’idée. 

Andreï Rudakov a en revanche balayé d’un revers de main toutes les critiques à l’égard de Bulat Chagaev, dont l’origine opaque de la fortune et les liens qu’il entretient avec le président tchétchène ont soulevé la polémique depuis l’annonce de la reprise du club. «La Suisse est un pays démocratique, ceux qui veulent s’exprimer le font. Nous sommes concentrés sur le football», a déclaré Andreï Rudakov.

Peu d’oppositions

Durant l’assemblée, un seul homme, détenteur de trois des 300’000 actions, s’est opposé à la remise du club à Bulat Chagaev. Le président-mécène sortant Sylvio Bernasconi  s’est à cet instant fendu d’une plaisanterie qui a peu fait rire l’assistance: «C’est comme en Tchétchénie, trois voix contre, ce n’est rien».  

Michel Reymond, actionnaire depuis 10 ans et supporter de toujours, a été «surpris» quand il a constaté qu’il était le seul à lever son bulletin de vote – il y a eu en revanche plusieurs abstentionnistes. «D’autres pensent comme moi, mais ils n’ont pas eu le courage de s’opposer. J’estime que la présidence devrait rester dans le canton. Avec tout ce qu’on entend sur Monsieur Chagaev, j’ai un peu peur. L’avenir de Xamax s’annonce sombre».   

Depuis l’annonce de l’arrivée de Bulat Chagaev, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la nouvelle mainmise tchétchène sur le club. Une manifestation réunissant une cinquantaine de personnes a été organisée mercredi soir à Neuchâtel à l’instigation d’un professeur d’université, qui avait auparavant dénoncé dans un tract virulent les liens de Bulat Chagaev avec Ramzam Kadyrov.

Le club a immédiatement réagi, convoquant la presse et annonçant le dépôt d’une plainte pénale pour diffamation. Paolo Urfer, le directeur sportif de Xamax, justifie une telle mesure: «Monsieur Chagaev a désiré se manifester face à la gravité du tract car ça ne l’a pas laissé insensible. Il nous a demandé de prendre position. La brèche est belle pour certaines organisations qui ne font pas beaucoup parler d’elles. Mais nous sommes un simple club de football, nous refusons d’être diabolisés».

Des inquiétudes

Bulat Chagaev, qui serait à la tête d’une fortune de plusieurs milliards de francs, n’a pas véritablement levé les doutes sur l’origine de sa fortune lors de sa seule interview accordée à un média suisse: «Du temps de l’Union soviétique, j’ai travaillé durant 12 ans dans l’industrie d’Etat et ensuite j’ai fait du business. J’étais dans la construction, le bâtiment, la vente de terres et beaucoup d’autres choses. Mais je n’ai jamais été dans le gaz et le pétrole, croyez-moi.»

Le sénateur tessinois Dick Marty s’est inquiété dans les colonnes du Matin «de tout cet argent qui afflue en Suisse en provenance de dictatures, qu’elles soient tchétchène, ouzbek ou kazakhe comme on l’a vu récemment». Et d’ajouter: «Ce monsieur (Chagaev) fait ce qu’il veut, mais il devrait plutôt se soucier de son pays qui vit encore largement dans la misère et où les droits de l’homme sont gravement violés. J’ai moi-même témoigné lors d’un procès contre Kadyrov accusé d’être mêlé à des assassinats en Tchétchénie. Il faut se souvenir que son régime a déjà été condamné 200 fois devant la Cour européenne des droits de l’homme!»

Et que pensent les autorités suisses de l’arrivée sur le devant de la scène médiatique d’un investisseur tchétchène qui se dit proche du pouvoir en place? «Objectivement, ce n’est pas un sujet de discussion au Conseil fédéral», a affirmé le ministre Didier Burkhalter sur les antennes de la radio suisse romande. «Je suis lié par le cœur au club, j’y ai joué toutes mes années de junior. Je n’ai pas d’avis sur le reste, je fais confiance aux dirigeants.»

Retrouver la sérénité

Quant à Sylvio Bernasconi, le président-mécène qui quitte ses fonctions après six ans passées à la tête du club, il s’est montré très amer tout au long de la soirée, fustigeant «l’amnésie» des médias à son égard et jouant souvent sur le registre de la provocation. «Je suis sûr que je me serais aussi bien entendu avec Monsieur Kadyrov», a-t-il ainsi répondu à une question de swissinfo.ch concernant les liens supposés du nouvel homme fort du club avec le président tchétchène.

Mais à Neuchâtel, la volonté est désormais à l’apaisement des esprits, essentielle pour que l’équipe retrouve une certaine sérénité. Gilbert Facchinetti, président de Xamax de 1979 à 2003, résume ainsi le sentiment d’une bonne partie des actionnaires et des supporters:  «Je suis à la fois heureux que l’on ait trouvé un repreneur, mais aussi triste de voir le club s’éloigner de son ancrage cantonal.  Comme je suis un homme fondamentalement positif, je fais confiance en nos nouveaux dirigeants».

Succession. L’homme d’affaires tchétchène Bulat Chagaev est depuis jeudi le nouvel actionnaire majoritaire de Neuchâtel Xamax. Il succède à l’entrepreneur neuchâtelois Sylvio Bernasconi, qui a passé six ans à la présidence du club et qui a décidé de ne pas briguer un troisième mandat. Ce dernier garde toutefois une participation minoritaire dans le club.

Président. Le nouvel homme fort de la Maladière a placé Andreï Rudakov à la présidence du Conseil d’administration. Ancien footballeur, Andreï Rudakov est arrivé en Suisse à l’été 1990 comme joueur du FC Fribourg, en même temps que deux autres sportifs russes, les hockeyeurs Slava Bykov et Andreï Khomoutov. Il possède la double nationalité suisse et russe, est marié et père de trois enfants.

Adjointe. Andreï Rudakov sera épaulé au sein du Conseil d’administration par Olga Danese, qui dit avoir déjà une petite expérience du travail avec Bulat Chagaev. Elle a toutefois refusé de dire si elle était employée de l’une des sociétés de l’homme d’affaires tchétchène.

Equipe. Les nouveaux dirigeants du club ont dès la passation de pouvoir décidé de limoger l’entraîneur en place, Didier Ollé-Nicole. Il sera remplacé par le Neuchâtelois Bernard Challandes, qui aura pour mission de maintenir l’équipe en première division et de remporter la Coupe de Suisse le 29 mai prochain face à Sion.

Suisse. Installé avec sa famille à St-Sulpice, dans le canton de Vaud, et présent sur la place genevoise depuis 1990, Bulat Chagaev possède deux sociétés figurant au registre du commerce: Envergure Management SA et Envergure Real Estate 1 SA, réunie sous Envergure Holding SA et actives dans les domaines de l’immobilier, de la finance ou encore des matières premières. 
 
Liens étroits. Il se dit très proche du président tchétchène Ramzan Kadyrov, qui est du reste le président du club du Terek Grozny – dont le vice-président est Khaydav Alkhanov, le Ministre des sports -, un club alimenté financièrement par Bulat Chagaev depuis novembre 2010. C’est lui qui a réussi à convaincre l’ancien international néerlandais Ruud Gullit, en janvier dernier, de devenir entraîneur de l’actuel 11e du championnat de Russie pour 900’000 euros par an.
 
Matches de gala. Homme influent, Chagaev avait notamment organisé cette année un match de gala en l’honneur du président tchétchène, grand fan de football, avec d’anciennes gloires brésiliennes. Cette semaine, il a réédité l’opération lors de l’inauguration d’un nouveau stade qui porte le nom d’Akhmad Kadyrov, père de Ramzan. Etaient présents notamment Diego Maradona, Luis Figo, Fabien Barthez ou encore Franco Baresi.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision