Des perspectives suisses en 10 langues

Nouvelles tensions entre la Suisse et la Turquie

Doğu Perinçek a réitéré ses propos négationnistes à l'occasion du 82e anniversaire du Traité de Lausanne. Keystone

La Turquie devrait enfin reconnaître le génocide arménien et cesser de pratiquer le chantage, estime le député socialiste Erwin Jutzet.

Mercredi, Ankara a une fois encore dénoncé les enquêtes ouvertes par la justice suisse contre un politicien et un historien turcs pour négation du génocide arménien.

La Suisse ne doit pas se laisser impressionner par la Turquie, estime le conseiller national Erwin Jutzet. Selon lui, Ankara devrait arrêter de réagir de manière aussi sensible dans l’affaire des enquêtes suisses pour négationnisme contre deux personnalités turques.

La Turquie «ferait mieux de reconnaître enfin le génocide arménien», a déclaré le socialiste fribourgeois dans une interview publiée mercredi par le journal alémanique «Tages-Anzeiger». C’est à Ankara de faire un geste, au lieu de «toujours s’estimer vexée et de pratiquer le chantage», a ajouté le président de la Commission de politique extérieure du Conseil national.

De son côté, Berne doit accepter que ses relations avec Ankara soient difficiles, estime encore le député. Par ailleurs, la séparation des pouvoirs en Suisse est «sacrée» et cela devrait être expliqué à l’étranger, selon Erwin Jutzet.

Enquêtes pour négationnisme

Les relations entre la Suisse et la Turquie se sont dégradées depuis l’audition samedi à Winterthour du chef du Parti des travailleurs turcs Doğu Perinçek. Le politicien fait l’objet de deux enquêtes pour négationnisme. Ankara proteste aussi contre l’enquête ouverte contre l’historien Yusuf Halacoglu pour ses propos sur le génocide arménien de 1915.

Mercredi, les autorités turques auraient convoqué l’ambassadeur de Suisse à Ankara. Le secrétaire d’Etat Nabi Sensoy a «vivement» fait part à Walter Gyger de «la mauvaise humeur des autorités et de l’opinion publique turques», a annoncé le ministère turc des affaires étrangères.

Selon Ankara, les enquêtes du Ministère public de Winterthour contre l’historien Yusuf Halacoglu et le responsable du Parti des travailleurs turcs Doğu Perinçek vont à l’encontre du droit international, a expliqué Nabi Sensoy à l’ambassadeur suisse.

Suspendre les enquêtes

Aucun tribunal international ne s’étant prononcé sur la question arménienne, la justice suisse n’est pas habilitée à le faire, estiment les autorités turques qui demandent à la Suisse de suspendre immédiatement ces enquêtes.

Ankara considérerait toute autre action comme une entrave à la liberté d’expression. Traiter ainsi des citoyens turcs entraînerait «inéluctablement de graves dommages aux relations entre les deux pays».

Samedi, le ministre turc des affaires étrangères Abdullah Gül avait déjà fustigé l’audition de Doğu Perinçek par le juge d’instruction de Winterthur. Il l’avait qualifiée d’«inacceptable» et d’«absolument contraire au principe de la liberté d’opinion».

Rencontre jeudi à Berne

Le compte-rendu de la situation est très différent du côté de Berne. Selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), l’ambassadeur suisse n’a pas été convoqué.

Au contraire, c’est Walter Gyger qui a demandé l’entretien avec Nabi Sensoy pour que les deux parties exposent leurs positions, a affirmé mercredi Carine Carey, porte-parole du DFAE.

L’ambassadeur turc en Suisse a pour sa part souhaité rencontrer les autorités helvétiques, a poursuivi la porte-parole. Il s’entretiendra jeudi à Berne avec Jean-Jacques de Dardel, chef de la «Division politique I» du DFAE.

«Soi-disant génocide»

Ce week-end, le Ministère public de Winterthour a ouvert une enquête contre le chef du Parti des travailleurs turcs, une formation nationaliste de gauche, pour des propos négationnistes tenus vendredi devant la presse à Glattburg, dans le canton du Zurich.

Doğu Perinçek était arrivé en Suisse vendredi pour fêter l’anniversaire du Traité de Lausanne, à l’origine de la création de l’Etat turc en 1923. A cette occasion, il a réitéré ses déclarations, parlant de «soi-disant génocide arménien». Le politicien fait déjà l’objet d’une enquête de la justice vaudoise pour violation de la norme pénale contre le racisme.

L’historien Yusuf Halacoglu est également sous le coup d’une enquête du Ministère public de Winterthour pour violation de la norme antiraciste. Il se serait rendu coupable de négation du génocide arménien lors d’un discours tenu en mai 2004.

swissinfo et les agences

Entre 1915 et 1918, l’armée ottomane tue 800’000 à 1,8 millions de personnes.

Ce massacre survient dans les dernières années de l’Empire ottoman. En 1923, il cède sa place à la Turquie moderne.

La Turquie n’a jamais reconnu le génocide arménien.

En Suisse, le génocide arménien a été reconnu par le Conseil national (Chambre du peuple), mais pas par le Conseil des Etats (Chambre des cantons), ni par le Conseil fédéral (gouvernement).

Au niveau cantonal, le génocide a été reconnu par les parlements vaudois et genevois, ainsi que par le gouvernement genevois.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision