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Offensive de l’armée contre l’illettrisme

L'armée compte sur la nouvelle formule de recrutement pour dépister l’illettrisme. Keystone Archive

Dès 2004, l'armée va quintupler son effectif de professeurs-miliciens pour s'attaquer à l'illettrisme. Outre-Sarine aussi.

Et cela alors que des cours, destinés aux recrues romandes, existent depuis huit ans déjà. Un problème de société.

200 000 à 300 000 Suisses souffrent d’illettrisme, selon les évaluations les plus optimistes. Et le phénomène n’est pas près de disparaître. Comme l’a montré, récemment, une étude Pisa, selon laquelle un élève sur cinq quitte l’école obligatoire en maîtrisant mal la lecture et l’écriture.

Si l’on considère les seuls conscrits nationaux, le nombre d’illettrés est forcément important. Bien qu’aucun chiffre officiel n’existe, ce phénomène paraît suffisamment significatif pour que l’armée décide de quintupler son effectif de professeurs-miliciens.

Forte d’une expérience de huit ans à la caserne fribourgeoise de la Poya, l’Ecole de recrue de formation pour adultes (ERFA) étend ses structures à la Suisse alémanique. L’ERFA accueille environ 25 recrues par an. Ce qui est finalement très peu.

Vingt-six professeurs au lieu de cinq

Dès 2004, l’ERFA qui fait partie du Service psychopédagogique de l’Armée (SPP) comptera vingt-six professeurs au lieu de cinq.

Cette extension Outre-Sarine va de pair avec la création des huit centres de recrutement permanents dans le cadre d’Armée XXI. Ils remplaceront les vingt-trois centres cantonaux.

Le colonel Peter Bolliger est épaulé dans sa démarche par ses supérieurs. «C’est d’ailleurs la philosophie du SPP dans son entier. Nous poussons les jeunes à faire face aux difficultés et à les surmonter. L’armée se doit de leur donner cette dernière chance d’apprendre à lire et à écrire», souligne le colonel.

Et cela, même si quelques heures par semaine durant l’école de recrue ne sont pas suffisantes pour combler de telles lacunes.

Il faut dire que l’Etat-major a aussi pris conscience de ce problème en raison de la technicité croissante des équipements militaires. A l’image de celle de notre environnement civil.

Pas de dépistage systématique

Peter Bolliger compte sur la nouvelle formule de recrutement pour dépister l’illettrisme. Trois jours dès 2004, contre un actuellement. «Les tests seront plus stricts et détaillés, affirme le colonel. Actuellement, les conscrits n’écrivent pas beaucoup.»

A ce stade, l’armée hésite encore à incorporer les recrues qui échoueraient aux tests écrits. Et, selon les armes choisies, elles pourraient même être déclarées inaptes.

D’autant plus que la plupart de ces recrues présentent souvent des problèmes de comportement.

Puissant tabou

«Reconnaître qu’on a des difficultés de lecture et d’écriture, c’est encore tabou, constate l’officier supérieur. Certains arrivent très bien à se débrouiller. Ils préfèrent feinter et contourner le problème.»

Patrick Minder, le chef et initiateur de l’ERFA, surenchérit: «Ce n’est que quand ils se trouvent face à de graves difficultés, licenciement ou impossibilité de passer un permis de conduire par exemple, qu’ils acceptent d’affronter le problème.»

La démarche restera donc volontaire, comme d’ailleurs tous les autres services proposés par le SPP.

Peter Bolliger envisage même un dépistage actif de l’illettrisme si le projet mis en place dès 2004 ne rencontre pas suffisamment de succès. Il va sans dire, qu’en parallèle de cette augmentation des effectifs des professeurs, l’information des conscrits sera renforcée.

La pointe de l’iceberg

L’expérience vécue par Patrick Minder est, à ce titre, significative. Lors de son propre recrutement à Fribourg, son voisin était incapable de remplir son formulaire d’admission pédagogique. Il l’a donc fait à sa place, sans quoi il n’aurait pas pu être admis.

C’est d’ailleurs à la suite de cette expérience qu’il a lancé l’idée d’un cours de français pour adultes.

Le pédagogue a en outre remarqué que la plupart de ses élèves ont aussi d’autres problèmes, familiaux en général. Ils ont souvent souffert d’un manque de stimulation durant l’enfance.

Patrick Minder est d’ailleurs un fervent défenseur de l’apprentissage de la lecture dès le plus jeune âge.

Plus difficile en Suisse-alémanique

On peut toutefois s’étonner que la Suisse alémanique affiche huit ans de retard sur la Romandie. Peter Bolliger doit reconnaître qu’il a eu quelques difficultés à trouver des miliciens sensibles à l’illettrisme et susceptibles de s’engager.

«Mais j’ai fini par en trouver», s’exclame-t-il soulagé. La perle rare se nomme Hans-Jörg Abegglen. Cet éducateur spécialisé bernois va s’inspirer des cours de Patrick Minder.

«Je tiens par ailleurs à créer un pont entre les cours militaires et civils de Lesen und Schreiben, l’équivalent alémanique de Lire et écrire.»

On peut néanmoins se demander si cette prise de conscience tardive des Alémaniques ne découle pas de leur propre langue. Le suisse-allemand étant essentiellement oral, le rapport à l’allemand, donc à l’écrit, est certainement plus problématique Outre-Sarine.

swissinfo/Anne Rubin

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