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Offensive tropicale

Caulerpa taxifolia ou algue tueuse. (Alan Millar, Royal Botanic Gardens, Sydney) Alan Millar, Royal Botanic Gardens, Sydney

Soutenues par le réchauffement du climat, des espèces de plantes exotiques envahissent progressivement la végétation helvétique. D'ici à un siècle, le paysage et l'économie agricole du pays pourraient ainsi subir de profondes mutations.

Caulerpa taxifolia: un nom qui fait frémir les spécialistes de l’environnement. En effet, il n’aura pas fallu plus de quinze ans à cette espèce des mers du Sud, surnommée l’algue «tueuse», pour coloniser la Méditerranée et infliger de lourdes pertes tant à la biodiversité sous-marine qu’à l’économie locale.

Ce type d’invasion est désormais enregistré, avec plus ou moins d’intensité, sur les terres comme dans les mers de toutes les régions du globe.

En Suisse, depuis quelques années déjà, les botanistes observent le constant développement du solidage du Canada. Malgré tous les efforts pour freiner son expansion, cette espèce envahit progressivement les tourbières du nord de la Suisse.

Même constat pour la pueraria, une sorte de liane en provenance d’Extrême-Orient, qui prend ses quartiers au Tessin. «Pour l’heure, il n’y a pas de situation de crise, précise Gabriele Carraro, consultant en environnement. Mais il faut surveiller le phénomène pour ne pas se laisser déborder». De l’avis de tous les spécialistes, il est en effet très difficile d’éradiquer ces intrus.

Le Tessin est l’une des régions les plus touchées par la migration des espèces végétales. «Les plantes tropicales poussent dans les parcs et les jardins depuis le 18ème siècle déjà», explique Gabriele Carraro. «Mais aujourd’hui, les hivers plus doux favorisent leur régénération spontanée. Et les variétés les plus diverses sont disséminées dans la nature».

Enrichissement ou contamination pour l’environnement? La question reste ouverte. Mais une chose est certaine: la transformation est en marche. Et un programme de recherche scientifique, lancé dans les années 60, démontre clairement la métamorphose des forêts au Tessin.

«Une végétation à feuilles persistantes s’impose progressivement dans cette région», affirme le professeur Franz Klötzli. «Les espèces indigènes ne sont pas en voie de disparition, précise-t-il. Mais progressivement, elles s’installent en altitude et laissent la place aux nouvelles venues».

Et le spécialiste de l’écologie végétale de rajouter: «A ce rythme là, il ne faudra pas plus de 50 ou 70 ans pour que la forêt soit totalement modifiée».

Non content d’entraîner une transformation de la végétation, le réchauffement climatique favorise également la multiplication des parasites et autres bactéries. Une situation qui risque d’accélérer ce processus de mutation et de porter atteinte à l’équilibre qui prévaut encore entre le règne végétal indigène et les espèces venues d’ailleurs.

En effet, les colonisateurs exotiques se montrent bien souvent plus résistants que les espèces locales. «De plus, constate Gabriele Carraro, le comportement envahissant de certaines espèces est très étroitement lié à un déséquilibre écologique préexistant. Les intrus prennent plus facilement possession des zones où la végétation a été fragilisée par la maladie ou la pollution».

Une fois encore, l’activité humaine n’est pas étrangère aux mutations en cours. L’homme peut aussi contribuer à préserver la biodiversité existante. Pour cela, il lui faudrait veiller au maintien, voire au développement des espèces locales.

Une attitude d’autant plus raisonnable que les conséquences d’une «tropicalisation» de la végétation ne concernent pas uniquement le paysage. A terme, elles influencent la qualité des sols autant que le développement de la faune et celui des micro-organismes. C’est donc toute l’activité agricole qui risque d’être perturbée.

«La Suisse ne tient pas de comptabilité en la matière, souligne Gabriele Carraro. Mais les Etats-Unis ont évalué à 80 milliards de dollars les dégâts occasionnés par la dissémination d’espèces végétales et animales exotiques».

Vanda Janka

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