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Pas de compromis, mais des zones d’ombres

En 1986, le ministre des Affaires étrangères sud-africain Roelof Botha (à gauche) était reçu par son homologue Pierre Aubert. Keystone

Un 3e rapport parlementaire sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud blanchit les services secrets helvétiques et leur ancien chef, Peter Regli.

Le renseignement suisse ne s’est pas compromis avec le régime de l’apartheid. Pour autant, son attitude peu critique est montrée du doigt.

«La délégation n’a trouvé aucun indice confirmant l’existence d’un accord secret, oral ou écrit, entre les services de renseignement suisses et l’Afrique du Sud en matière biologique et chimique.»

Ce sont, en substance, les conclusions du rapport de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales présenté mardi à Berne.

La délégation n’a pas non plus découvert le moindre élément de preuve d’une implication de Peter Regli dans «Coast», le projet sud-africain sur des «substances ethniquement sélectives destinées à réduire la population noire».

Une confiance aveugle

Il apparaît toutefois que l’ancien patron des services secrets a fait preuve d’une confiance «totalement incompréhensible» envers son ancien camarade de service Jürg Jacomet, dont les activités paraissaient suspectes.

Marchand d’armes, ce dernier avait notamment eu de nombreux contacts avec le tristement célèbre «docteur de la mort» Wouter Basson.

Jürg Jacomet disposait en outre d’un réseau de connaissances en Afrique australe, dans les Balkans et dans certains pays de l’Est, qu’il a mis à disposition du chef des renseignements helvétiques.

Pourtant, rien ne permet de douter de la probité de Peter Regli. Et cela même s’il a fait preuve de certaines omissions lors de précédentes enquêtes.

Il a, entre autres, «oublié» de mentionner l’acquisition de deux missiles sol-air de fabrication soviétique par le Groupe de renseignements. Ou encore caché les relations entretenues avec l’UNITA, l’ancienne rébellion angolaise.

Un contrôle politique lacunaire

Toutefois, pour la Délégation des commissions de gestion du Parlement, il aurait dû appartenir au gouvernement suisse de juger de la légitimité militaire des contacts avec l’Afrique du Sud ainsi que de leur opportunité politique.

Ces questions ont très largement été laissées à l’appréciation des services secrets. Qui ont fait prévaloir la logique militaire sur celle des autorités politiques qui, elles, prônaient la neutralité.

Ils ont ainsi eu tout loisir de développer une sorte de diplomatie parallèle et discrète échappant à tout contrôle politique.

Or, Alexander Tschäpät met en doute ce dernier point. «Nous pensons que certains conseillers fédéraux étaient au courant de ces agissements mais n’ont pas réagi», déclare à swissinfo le chef de la délégation parlementaire.

Plusieurs zones d’ombre

La délégation reconnaît, malgré tout, des zones d’ombre. «Pour certains événements, il est vraisemblable que la lumière ne pourra sans doute jamais être entièrement faite.»

Pour nombre de ces événements, il n’existe tout simplement aucun document. Et, si ces documents ont existé, ils ont été détruits.

Les éléments à charge sont malgré tout peu nombreux. Tout au plus la délégation constate-t-elle que les services de renseignement «ont fait preuve d’une attitude peu critique, voire bienveillante, vis-à-vis du régime de Pretoria».

De manière générale, les informations récoltées présentaient un «faible intérêt», au vu des moyens engagés et des risques politiques encourus.

Depuis 2001, les enquêteurs n’ont pu mener l’enquête qu’en Suisse. Ils n’ont pas été autorisés à faire des recherches en Afrique du Sud même.

Le président Thabo Mbeki a opposé une fin de non-recevoir à leur requête, au motif que ces investigations ne sont pas dans l’intérêt de l’Afrique du Sud et que le gouvernement sud-africain souhaite se concentrer sur l’avenir.

Clore définitivement le chapitre

De son côté, après trois rapports sur les relations entre les services de renseignement suisses et l’Afrique du Sud dès la fin des années 70, la délégation estime qu’«il est temps de clore définitivement le chapitre».

D’autant que les leçons de cette affaire semblent avoir été tirées au niveau politique. Les commissaires notent que ce dossier a terni la réputation de la Suisse.

«S’il est manifeste que des erreurs ont été commises dans les années 80 et 90, elles sont sans commune mesure avec les accusations, parfois diffamatoires, portées contre certaines personnes et notamment contre le divisionnaire Regli.»

S’estimant «totalement blanchi une fois de plus», l’ancien chef du renseignement helvétique pointe du doigt certains journalistes.

Dans un communiqué, il exige que ceux qui ont mené campagne durant quatre ans contre lui «reconnaissent que leurs informations étaient fausses».

swissinfo et les agences

– La Délégation des commissions de gestion du Parlement a mené son enquête pendant deux ans.

– Elle a auditionné 46 personnes en Suisse et dépouillé tous les documents auxquels elle a pu avoir accès.

– Point de départ: les révélations de l’ancien chef du projet Coast, le «docteur la mort» Wouter Basson.

– C’est le 3e rapport parlementaire sur ce dossier depuis 1993 sur ce dossier.

– Mais le travail d’investigation de la délégation a souvent été entravé.

– Par Peter Regli d’abord, qui a biaisé sur beaucoup de questions ou en a omis d’autres lors des précédentes enquêtes.

– Et par l’administration fédérale qui ne l’a informée qu’à contrecœur et de manière partielle.

– Pour certains événements, la lumière ne sera sans doute jamais entièrement faite car les documents n’existent pas ou ont été détruits.

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