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Le WEF comme baromètre de la libre expression

Keystone

Le Forum économique de Davos a pris fin il y a une semaine. Il a servi de cadre de discussion à des centaines de dirigeants. Mais il constitue aussi un indicateur pour la liberté d'expression en Suisse. Et cette année, le bilan à ce niveau est plutôt mitigé.

Organisées chaque année en parallèle du grand raout davosien, les traditionnelles manifestations anti-WEF ont bien eu lieu cette année dans plusieurs villes de Suisse. Mais, fait nouveau, elles se sont doublées de rassemblements en faveur de la liberté d’opinion.

A Berne le 29 janvier dernier par exemple, entre 250 et 500 personnes se sont réunies, spontanément et dans le calme, pour manifester…en faveur de la liberté de manifester.

Deux jours plus tard à Genève, 500 à 700 personnes ont bravé l’interdiction de se rassembler prononcée par le gouvernement. Parmi elles, plusieurs étaient présentes pour dire leur opposition au WEF. Mais aussi leur attachement à la liberté de parole.

«Je ne suis pas un casseur, je suis un homme libre», proclamait ainsi une banderole. Comme pour renvoyer leur argumentation aux autorités genevoises qui avaient interdit la manifestation par peur de voir se reproduire les déprédations commises en juin 2003 parallèlement au G8 à Evian.

Incident diplomatique en 1999

A Berne, c’est la cause tibétaine qui a fait descendre dans la rue. La venue en Suisse du premier ministre chinois Wen Jiabao, d’abord dans la capitale puis à Davos, n’a en effet pas manqué de susciter des protestations de la part des pro-tibétains.

Or là aussi, les autorités fédérales ont privilégié le réflexe sécuritaire. Histoire d’éviter le scénario catastrophe de 1999, lorsque la visite du président chinois de l’époque Jiang Zeming avait été troublée par des manifestants pro-tibétains. D’où un incident diplomatique mémorable entre Berne et Pékin.

Cette fois, la Place fédérale a été totalement bouclée et ses environs ont été placés sous très haute surveillance pour éviter tout contact, même visuel, entre la délégation chinoise et les militants pro-tibétains. Une vingtaine d’entre eux ont néanmoins été brièvement arrêtés par la police bernoise pour n’avoir pas respecté les restrictions mises en place.

Un Etat de droit ?

Mais c’est à Davos – l’étape suivante de la visite de Wen Jiabao –, que la prévention policière est allée le plus loin.

En faisant ôter un drapeau tibétain de la vitrine d’un magasin de souvenirs et en exigeant de sa propriétaire qu’elle retire les livres du Dalaï Lama et les ouvrages tibétains qu’elle vendait, la police grisonne a mené une action «totalement excessive» pour laquelle il n’existe aucune base juridique, a réagi Catherine Weber, secrétaire générale des Juristes démocrates de Suisse (JDS).

Quant à la Société de l’amitié Suisse-Tibet et à l’Association des jeunes Tibétains en Europe, elles ont dénoncé ensemble «un scandale». S’indignant qu’il soit interdit d’exposer un drapeau dans un espace privé dans un Etat de droit, elles ont aussi demandé une enquête.

«C’est en tout cas un bon exemple de la nervosité et de l’intolérance des autorités. C’est vrai que l’affaire du drapeau confine au ridicule», souligne Catherine Weber. Et de juger ce zèle policier complètement déplacé, d’autant que, tient-elle à rappeler, le Forum économique est une réunion privée.

Ne pas imiter la Chine

Même son de cloche auprès de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG). La porte-parole de la section helvétique d’Amnesty International Manon Schick estime par exemple que l’intervention contre une commerçante de Davos constitue «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.»

«Nous n’avons pas à adopter les mêmes mesures qu’adopte la Chine vis-à-vis de ses propres opposants. Les Chinois doivent pouvoir accepter qu’en Suisse, les gens ont le droit de manifester ou de mettre un drapeau tibétain dans une vitrine», relève-t-elle.

A ses yeux, les autorités helvétiques sont donc allées trop loin dans la restriction à la liberté d’expression pour prévenir tout conflit avec le premier ministre chinois. Manon Schick qualifie d’ailleurs cette visite d’«occasion ratée de parler des droits humains».

Porte-parole de la Déclaration de Berne (DB), Raphaël de Riedmatten juge également que l’action de la police grisonne – pour laquelle la ministre cantonale de la justice a récemment présenté des excuses à la commerçante concernée – était disproportionnée. Selon lui, elle constitue «une grave atteinte à la liberté d’expression dans le pays dépositaire des Conventions de Genève.»

Pour une manifestation nationale

A l’instar de Catherine Weber, il met par ailleurs en avant le fait que la Confédération dépense entre 8 et 9 millions de francs selon ses propres chiffres – jusqu’à 20 millions selon certaines sources de la DB – pour la sécurité des entrepreneurs et des chefs d’Etat présents à Davos, alors que le WEF n’a aucun caractère officiel.

Pourquoi dans cette logique-là ne pas consacrer également une somme pour sécuriser une manifestation d’ampleur nationale contre cet événement? Catherine Weber en est certaine, assurer ainsi la libre expression de chacun permettrait de faire baisser la tension qui règne en Suisse au moment du WEF.

A l’heure où, crise oblige, les dirigeants du monde politique et économique réunis à Davos se sont vus obligés de se pencher sur des problématiques chères aux altermondialistes, cette solution leur fournirait peut-être de nouvelles pistes de réflexion.

swissinfo, Carole Wälti

Fin. Le Forum économique mondial (WEF) qui s’est terminé le 1er février a accueilli cette année 2500 personnes, ainsi que plus de 40 chefs d’Etat et de gouvernement.

C02. Les déplacements des 2600 participants au total environ vers la station grisonne, et retour, ont occasionné des émissions de CO2 de 8100 tonnes.

Médias. Du côté des médias, on a dénombré 450 journalistes en provenance du monde entier.

Poutine&C0.Le Premier ministre russe Vladimir Poutine était accompagné par 60 représentants de la presse de son pays, de même pour le Premier japonais Taro Aso, et 30 pour le Premier ministre chinois Wen Jiabao.

L’interprétation a mobilisé 21 traducteurs qui ont travaillé dans huit langues.

Armée. Au total, 4500 militaires de l’armée suisse ont assuré des tâches de sécurité pour les organisateurs et le canton des Grisons.

Anti-Wef. Les manifestations anti-WEF ont réuni un total d’un millier de participants à travers la Suisse, sur plusieurs jours. La plus importante s’est déroulée à Genève, malgré l’interdiction des autorités.

Libertés. La liberté d’opinion et d’information, ainsi que la liberté de réunion et d’association sont garanties par la Constitution suisse. Elles font partie des droits fondamentaux liés à la citoyenneté.

Historique. La liberté d’expression est un héritage du siècle des Lumières et des révolutions anglaise, américaine et française du 17ème et 18ème siècles.

Constitutions. La plupart des textes nationaux et internationaux protégeant les droits de la personne accordent à cette liberté une place privilégiée. Mais la législation l’assortit généralement de restrictions afin de faire respecter les droits et la réputation d’autrui.

Enjeux. Si le principe de la liberté d’expression est généralement protégé, les frontières de celle-ci ont toujours fait débat, en particulier lorsque des enjeux politiques ou religieux entrent en ligne de compte.

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