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Les politiciens négligent trop les consommateurs

Pour Sara Stalder, la Suisse a une vingtaine d’années de retard par rapport à l’UE en matière de droits des consommateurs. SKS©Monika Flueckiger

L’ouverture des marchés internationaux rend les consommateurs plus vulnérables. Leur protection n'est pas un priorité pour les politiciens, même en vue des élections fédérales, déplore Sara Stalder, directrice de la principale organisation de consommateurs.

Sara Stalder a pris en 2008 la direction de la Fondation pour la protection des consommateurs (Stiftung für Konsumentenschutz / SKS), active en Suisse alémanique. Conjointement avec d’autres associations régionales, la SKS défend avec peu de moyens financiers les droits des consommateurs face au monde économique, aux entreprises, aux producteurs et aux distributeurs.

C’est ainsi que la principale organisation des consommateurs suscite beaucoup de sympathie auprès de la population. La socialiste Simonetta Sommaruga, élue l’an dernier au gouvernement, est devenue une femme politique très populaire notamment en sa qualité d’ancienne directrice et présidente de la SKS.

swissinfo.ch: En octobre, le peuple se choisi un nouveau Parlement. Quelles sont les attentes des associations de protection de consommateurs?

Sara Stalder: Nous attendons en particulier que le nouveau Parlement instaure un marché plus sûr et plus transparent pour les consommateurs. C’est pour cette raison que nous avons préparé une Charte des consommateurs que nous soumettons à tous les candidats. Ceux qui y souscrivent s’engagent à défendre les droits des consommateurs durant la législature.

Nous sommes cependant conscients du fait que nous ne pourrons pas avoir au Parlement un lobby aussi fort que celui de l’économie, qui dispose d’immenses moyens financiers.

swissinfo.ch: Sara Stalder, souhaitez-vous aussi profiter du tremplin offert par la SKS pour suivre les traces de Simonetta Sommaruga?

S. S. : Pour l’instant, cette question ne se pose pas. Du moment que mon activité auprès de la SKS me satisfait et m’occupe pleinement. Il s’agit d’une activité qui me conduit souvent à travailler en contact étroit avec les politiciens, mais actuellement, je ne vois pas pour moi de débouchés dans cette direction.

swissinfo.ch: Autrefois, on parlait de consommation surtout pour dénoncer le consumérisme. Comment se fait-il que depuis quelques années, les questions tournant autour des consommateurs sont au contraire devenues très populaires?

S. S. : Je crois que cet intérêt a débuté avec l’arrivée des premiers grands centres commerciaux en Suisse, dans les années 1960 et 1970, lorsque la consommation s’est transformée en un phénomène de masse. De nombreux consommateurs ont commencé à réaliser qu’ils n’étaient pas défendus face au pouvoir des producteurs et des grands distributeurs. Ils se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas se fier aveuglément à ce qui figurait sur les emballages et que certains produits étaient même nocifs.

Il ne faut par ailleurs pas oublier qu’aujourd’hui, la protection des consommateurs concerne tous les citoyens. Nous sommes tous des consommateurs, même les producteurs, les acteurs économiques et les politiciens.

swissinfo.ch: La protection des consommateurs est probablement l’un des rares secteurs qui transcende tout fossé politique, toute barrière régionale ou culturelle en Suisse…

S. S. : Les questions liées aux consommateurs sont en effet identiques pour toute la population, à part quelques petites différences régionales. Une personne victime d’un contrat-piège s’énerve de la même façon en Suisse alémanique que dans les autres régions du pays. La protection des consommateurs ne rentre pas non plus dans le schéma politique gauche-droite. Il s’agit ici plus qu’ailleurs d’une question de prise de conscience de ses propres droits de consommateur et de citoyen.

swissinfo.ch: La population est très sensible à la protection des consommateurs. Comment se fait-il qu’elle ne fasse en revanche pas partie des priorités des politiciens?

S. S. : C’est effectivement très surprenant. Au moment de l’ouverture des marchés dans l’Union européenne, les politiciens des pays européens ont compris qu’il était nécessaire d’améliorer les droits des consommateurs. C’est logique: plus le marché est grand, plus grand est aussi le risque d’être confronté à des produits d’origine inconnue qui ne respectent pas les normes de sécurité et de fiabilité.

Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi cette manière de voir ne s’est pas encore étendue aux politiciens suisses. Alors que le marché s’est largement ouvert chez nous aussi, les droits des consommateurs sont restés les mêmes qu’il y a dix ou vingt ans.

swissinfo.ch: La Suisse est-elle donc un pays en voie de développement en matière de droits des consommateurs?

S. S. : Oui et c’est dommage, car il y a encore une vingtaine d’années, la Suisse était considérée comme un pays de référence dans ce domaine. Dans différents pays européens, on consultait alors souvent la législation suisse quand survenaient des cas juridiques difficiles à résoudre.

Aujourd’hui, cela n’arrive quasiment plus, car notre législation est en retard. Elle l’est en particulier dans les secteurs des accords tarifaires, de la responsabilité, du droit contractuel et des normes de garantie. En Suisse, par exemple, les producteurs peuvent annuler ou limiter à seulement un mois la durée de garantie sur leurs produits. Les normes de l’UE imposent par contre un minimum de deux ans.

swissinfo.ch: Ce sont généralement des parlementaires liés au monde de l’économie qui se battent contre une meilleure protection des consommateurs. N’est-il pas possible de concilier intérêts économiques et protection des consommateurs?

S. S. : C’est possible, même si en Suisse, de nombreux politiciens ne veulent pas s’en rendre compte. Dans l’UE, ce changement de paradigme s’est déjà en grande partie produit: le marché fonctionne mieux lorsque les droits des consommateurs sont respectés et que les règles sont claires. Les consommateurs qui ont confiance dans l’économie et dans les commerçants sont de bons consommateurs.

swissinfo.ch: Votre vision de la politique a-t-elle changé depuis que vous travaillez pour la SKS?

S. S. : D’un côté positif, j’ai remarqué que beaucoup de politiciens suisses assument généralement leur tâche de manière dynamique et qu’en Suisse, les décisions prises sont généralement appliquées.

D’un autre côté, ayant d’abord travaillé comme enseignante, j’ai pu constater que l’image du Parlement présentée dans de nombreux manuels scolaires ne correspond pas à la réalité. Plus que des représentants du peuple, de nombreux politiciens sont des représentants d’intérêts économiques. Un jour, il faudra donc écrire un manuel scolaire pour expliquer ce qu’est véritablement la répartition du pouvoir dans la politique suisse.

Née en 1966 à Dürrenroth, dans le canton de Berne, Sara Stalder a d’abord suivi une formation en pédagogie. Elle a obtenu un diplôme d’enseignement pour les écoles primaires, puis en économie d’entreprise.

Après avoir travaillé comme enseignante et responsable d’un institut scolaire, elle a repris la direction de la Fondation pour la protection des consommateurs (SKS) en 2008.

Mariée et mère de trois filles, Sara Stalder vit à Sumiswald dans le canton de Berne.

Fondée en 1964, la Fondation pour la protection des consommateurs (Stiftung für Konsumentenschutz / SKS) est devenue la plus grande organisation suisse qui se bat pour la défense des droits des consommteurs.

La SKS, qui se définit comme indépendante, est active en Suisse alémanique et dispose d’un budget de 1,2 million de francs provenant principalement de dons, de la vente de magazines et d’autres matériels d’information.

La Confédération soutient également la Fondation avec une contribution qui correspond à 15% de son budget annuel.

En vue des élections fédérales du 23 octobre, l’Alliance des organisations des consommateurs – qui regroupe la SKS, la Fédération romande des consommateurs et l’Associazione consumatrici e consumarori delle Svizzera italiana – a décidé de soumettre à tous les candidats une Charte avec huit revendications destinées à renforcer les droits des consommateurs en Suisse.

Ceux qui y souscrivent s’engagent à soutenir au Parlement les principes énoncés dans le document. Les noms des signataires seront publiés avant les élections fédérales, de manière à aider les électeurs à faire leur choix.

Parmi les revendications principales: extension du droit contractuel au moins au niveau de protection garanti par l’UE, garantie de la protection des clients en cas de difficultés financières d’une banque, tarifs plus transparents et plus modérés dans les secteurs de l’énergie et des télécommunications, promotion de la santé et de la sécurité des produits alimentaires.

Traduction de l’italien: Olivier Pauchard

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