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Mouammar Kadhafi est tombé, «la Libye est libre»

Les ex-rebelles célèbrent la libération de Syrte, dernier bastion aux mains des partisans de l'ex-dictateur. Reuters

Après des mois de traque, Mouammar Kadhafi a été tué jeudi près de sa ville natale de Syrte. Durant sa fin de règne, l’ancien dictateur libyen a nourri une haine féroce à l’égard de la Suisse, dont il est allé jusqu’à exiger le démantèlement devant l’ONU.

«Nous annonçons au monde que Kadhafi est mort aux mains des révolutionnaires. C’est un moment historique, c’est la fin de la tyrannie et de la dictature. Kadhafi a rencontré son destin», a annoncé jeudi 20 octobre 2011 en début d’après-midi un porte-parole du Conseil national de transition (CNT).

Selon un responsable militaire du CNT, l’ancien «guide» libyen avait été blessé à la tête et aux jambes par une attaque aérienne de l’Otan alors qu’il tentait de fuir Syrte, prise dans la journée par les forces du Conseil national de transition (CNT). Son ancien porte-parole, Moussa Ibrahim, a été arrêté. «Il y a eu des tirs nourris contre son groupe, et il est mort», a dit le responsable militaire.

Plusieurs chaînes de télévision ont diffusé des images de Mouammar Kadhafi, le visage ensanglanté, présentées comme prises après sa mort. La chaîne de télévision Al-Djazira a par la suite diffusé des images de Mouammar Kadhafi en vie au moment de sa capture, le visage en sang, entouré de combattants des forces du Conseil national de transition.

Syrte est le dernier bastion du régime déchu à tomber aux mains des ex-rebelles. Le Conseil national de transition, l’ex-rébellion qui a renversé le régime Kadhafi le 23 août, attendait la chute de cette ville stratégique à 360 km à l’est de Tripoli, pour proclamer la «libération totale» de la Libye.

«La Libye est libre»   

«Syrte a été totalement libérée et avec la confirmation de la mort de Kadhafi, la Libye a été totalement libérée», a déclaré Khalifa Haftar, un haut responsable militaire, affirmant que «ceux qui combattaient aux côtés de Kadhafi ont été soit tués, soit capturés».

Le 15 septembre, six jours après l’expiration de l’ultimatum lancé par les nouvelles autorités aux pro-Kadhafi pour déposer les armes, les combattants du CNT avaient lancé l’assaut sur cette ville, appuyés par des frappes de l’Otan.

C’est aux alentours de ce grand port de pêche et commercial, connu depuis l’Antiquité, qu’est né en juin 1942 l’ex-leader libyen. Il y avait créé un grand centre de conférences, au style grandiloquent et moderne, tranchant avec la vétusté et la simplicité architecturale du reste de la ville.

Du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon au président de la Commission européenne José Manuel Barroso, de nombreux dirigeants ont salué jeudi la mort de Mouammar Kadhafi. Elle marque pour de nombreux pays occidentaux «la fin du conflit» et devrait entraîner la fin de la mission de l’Otan entamée au mois de mars, considérée comme «un succès».

Une crise sans précédent

Pour la Suisse, le décès du dictateur déchu devrait permettre de tourner définitivement la page de relations bilatérales empoisonnées. De juillet 2008 à juin 2010, la Libye a en effet été un sujet de préoccupation majeur pour le gouvernement suisse. Deux ressortissants suisses, Max Göldi et Rachid Hamdani, ont été retenus en otage pendant près de deux ans par le régime du colonel Kadhafi par mesure de rétorsion à l’arrestation à Genève d’Hannibal Kadhafi, le fils de l’ex-raïs, et de sa femme Aline, soupçonnés d’avoir maltraité leurs deux domestiques.

Malgré une visite en août 2009 du président de la Confédération d’alors Hans-Rudolf Merz et des excuses accordées au premier ministre libyen Baghdadi A.El-Mahmudi, la crise a longtemps semblé insoluble. En septembre 2009, Mouammar Kadhafi ira jusqu’à demander devant l’assemblée générale de l’ONU que la Suisse soit rayée de la carte et ses régions linguistiques réparties entre ses voisins.

L’implication d’autres pays européens dans l’épineux dossier va finalement faire avancer les choses. En février 2010, Tripoli, mettant ses menaces à exécution, affirme que la Libye ne délivre plus de visas d’entrée aux Européens, à l’exception des Britanniques. L’Italie accuse la Suisse d’avoir pris les autres membres de l’espace Schengen en otage. Réfugié à l’ambassade, Max Göldi se rend quelques jours plus tard aux autorités libyennes pour être incarcéré. Rachid Hamdani quitte quant à lui le pays par la Tunisie et arrive en Suisse le 23 février.

45 milliards gelés  

En mars 2010, la Suisse réduit drastiquement sa «liste noire» de ressortissants libyens interdits de séjour dans l’espace Schengen. La Libye et l’Union européenne annoncent la levée des restrictions à l’octroi de visas des deux parties. Le 10 juin, Max Göldi sort de prison. Quatre jours plus tard, il est accueilli en Suisse par Micheline Calmy-Rey, la ministre suisse des Affaires étrangères, venue la veille signer un accord à Tripoli.

Durant la querelle diplomatique qui a éclaté entre les deux pays, des milliards de francs de dépôts libyens ont été retirés de Suisse. En juin 2011, le gouvernement suisse a indiqué avoir gelé un total de 650 millions d’actifs libyens. Une bonne partie de ces fonds appartiennent à des entreprises publiques libyennes et non à des individus.

Environ 45 milliards de francs ont été gelés au total dans le monde, dont la moitié aux Etats-Unis et un peu moins de 8 milliards en Allemagne. La Suisse, comme d’autres Etats, s’est dite prêt à restituer rapidement ces fonds une fois que les restrictions internationales auront été levées.

L’ambassade à nouveau ouverte

Les nuages planant sur les relations entre Berne et la Libye avaient commencé à se dissiper dès le début de l’insurrection contre Mouammar Kadhafi en février, puis avec sa chute en août. Les plus récents contacts entre Berne et Tripoli laissent augurer d’une collaboration sans ombre.

Deux sessions de négociations entre le Conseil national de transition (CNT) libyen et des représentants des touaregs du Niger et du Mali ont été organisées par des diplomates helvétiques en août et en septembre en Suisse.
 
En outre, des blessés de guerre vont être soignés aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a annoncé le nouvel ambassadeur libyen en Suisse, Slimane Bouchuiguir. Des discussions sont en cours avec le CHUV à Lausanne et l’Hôpital de l’Ile à Berne. Et samedi dernier, la Suisse a rouvert son ambassade à Tripoli, fermée depuis près de huit mois.

Révolution verte. Né en 1942, Mouammar Kadhafi a dirigé la Libye d’une main de fer de 1969 à 2011. Suite au coup d’état de 1969, il devient de facto le dirigeant de la Libye qu’il transforme en Jamahiriya («Etat des masses») théoriquement gouvernée par un système de démocratie directe.

Attentats. Il aura été l’un des dirigeants les plus longtemps en place en Libye. Son régime était à la fois l’un des plus répressifs et les plus corrompus du monde arable. Sur le plan international, il a milité pour le panarabisme et le panafricanisme, n’hésitant pas à financer des actions terroristes, comme les attentats de Lockerbie en 1988 et contre le vol 772 UTA en 1989, qui ont fait 440 morts.

Soulèvement. En février 2011, suite aux révolutions tunisienne et égyptienne, la contestation prend à son tour forme en Libye. Elle sera soutenue par des frappes de l’OTAN. Après la prise de Tripoli par les rebelles en août 2011 et l’arrivée au pouvoir du Conseil national de transition (CNT), il prend la fuite.

Abattu. Depuis la fin juin, Mouammar Kadhafi était sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité. Il a finalement été tué le 20 octobre 2011 près de sa ville natale de Syrte.

La Suisse a appelé «au respect des droits humains et du droit humanitaire international en Libye», après l’annonce de la mort du colonel Kadhafi. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a exhorté les différents acteurs «à la retenue» et à renoncer aux «actes de représailles».

Berne a en outre invité les parties «à entamer un dialogue inclusif en vue d’instaurer la stabilité de la région». Selon les services de la ministre Micheline Calmy-Rey, la disparition de l’ex-dictateur permettra au Conseil national de transition (CNT) «de poursuivre son travail vers une transition démocratique».

L’ancien otage suisse en Libye Rachid Hamdani s’est quant à lui déclaré soulagé de la mort à Syrte du dictateur déchu Mouammar Kadhafi. «C’est sa fin, il l’a bien mérité», a-t-il estimé jeudi sur les ondes de la Radio suisse romande (RSR).

«J’ai souffert d’une injustice qu’il avait lui-même conduite. Pour moi, sa mort est un soulagement», a-t-il dit. Le double national suisse et tunisien a toutefois précisé qu’il aurait préféré que l’ancien «Guide suprême» passe devant un tribunal.

Rachid Hamdani avait été arrêté par les autorités libyennes le 19 juillet 2008 en même temps qu’un autre homme d’affaires suisse, Max Göldi, en représailles à l’arrestation d’Hannibal Kadhafi à Genève. Rachid Hamdani avait été libéré en janvier 2010 et Max Göldi cinq mois plus tard.

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