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«Pas assez de moyens pour la démocratie»

Pour Jacques Frémont, la Suisse fait partie des pays qui évitent d'investir dans la Francophonie politique et des droits. swissinfo.ch

La Francophonie et ses 56 pays-membres font de la démocratie une exigence. Mais sur le terrain, l'organisation internationale n'a pas les moyens de son mandat, selon Jacques Frémont, constitutionaliste réputé en Amérique du Nord de l'Université de Montréal, interviewé en 2008.

«Francophonie et démocratie sont indissociables: il ne saurait y avoir d’approfondissement du projet francophone sans une progression constante vers la démocratie», affirme la Déclaration de Bamako.

«C’est pourquoi, poursuit le texte, la Francophonie fait de l’engagement démocratique une priorité qui doit se traduire par des propositions et des réalisations concrètes.»

Encore faut-il que l’organisation ait les moyens d’assumer ce mandat. Ce que conteste Jacques Frémont, expert auprès de l’Agence canadienne du développement international, de l’Organisation internationale de la Francophonie et de la Banque mondiale.

swissinfo.ch: Que prévoit l’organisation de la Francophonie (OIF) en matière de démocratie et de processus de démocratisation?

Jacques Frémont: Elle agit sur la base d’un grand texte fondateur- la Déclaration de Bamako, de l’année 2000. Cette déclaration présente un certain nombre d’engagements de la part des 56 Etats francophones: respect de la démocratie, des processus électoraux, des droits et libertés en général.

En cas de non-respect de ces dispositions de la déclaration, le Secrétaire général de la Francophonie peut saisir les instances de l’organisation et demander au pays de rectifier, de mettre fin aux violations des droits et libertés ou de corriger les éléments de la démocratie qui ne fonctionnent pas.

swissinfo.ch: Par rapport à ce qui se fait ailleurs sur la planète, la Francophonie est-elle en pointe dans ce domaine?

J.F.: Ce mécanisme a un équivalent au niveau du Commonwealth par exemple, qui a opté pour la suspension du «membership» du Zimbabwe récemment ou du Nigeria il y a quelques années.

La Francophonie n’a pas recouru très souvent à ce moyen depuis 2000. A au moins deux reprises cependant, elle a suspendu la participation d’un de ses membres – le Togo à l’époque [2005], la Mauritanie actuellement. Et ceci, à la suite de coups d’Etat, lorsque la démocratie ne parvenait pas à être rétablie.

Mais ce n’est pas uniquement le geste – la suspension – qui compte. C’est aussi l’offre au pays de travailler au rétablissement de l’ordre démocratique et des droits et libertés. Des missions techniques sont envoyées sur place, un dialogue est établi avec les autorités politiques pour tenter de les convaincre de rétablir la situation.

swissinfo.ch: La grande force de l’OIF, c’est son système de réseaux…

J.F.: C’est assez unique à l’Organisation internationale de la Francophonie. Depuis quinze à vingt ans, elle a regroupé les différentes institutions nationales – par exemple les cours constitutionnelles, les hautes autorités de l’audiovisuel, les médiateurs et ombudsmans de la Francophonie.

En tout, une quinzaine de réseaux [ou associations regroupant les institutions de compétences similaires des pays francophones], et les réseaux de réseaux, se réunissent sur une base régulière. Ce qui fait que leurs membres se connaissent les uns les autres et sont au fait de leur situation respective.

Lorsqu’une crise survient, quelle qu’elle soit, lorsqu’une violation des droits et libertés ou des problèmes de démocratie sont observés, ces gens peuvent intervenir très rapidement.

La Francophonie peut donc agir directement à partir des acteurs présents sur le terrain. Tout se passe dans la famille francophone, et on peut aller plus loin au sein d’une famille qu’entre simples voisins. Ces réseaux sont la force de frappe principale de la Francophonie.

swissinfo.ch: Ceci dit, les effets se font-ils sentir sur le terrain? La Francophonie a-t-elle réellement les moyens d’agir?

J.F.: La question est excellente, la réponse l’est un peu moins. La Francophonie s’est donnée certains moyens, mais ces moyens n’ont aucune commune mesure avec les ambitions et les engagements qu’elle a pris à l’égard de la démocratie, des droits et libertés et, plus récemment en 2006 [Déclaration de Saint-Boniface], qu’elle a pris à l’égard de la sécurité humaine, des sorties de crise et de la prévention des conflits.

Un immense agenda est sur la table et la Francophonie n’a pas les moyens de l’assumer. C’est une petite organisation internationale. Si elle veut vraiment remplir les mandats reçus des Etats et des gouvernements, elle va devoir se doter des moyens nécessaires. Certains pays vont évidemment devoir les lui octroyer.

swissinfo.ch: C’est à dire?

J.F.: On ne se racontera pas d’histoires: jusqu’à présent, pour l’essentiel, c’est la France qui a donné les euros nécessaires à l’OIF pour s’investir dans le domaine de la démocratie et des droits et libertés.

Le Canada a donné très peu d’argent, il commence un peu à ouvrir son gousset, mais sans commune mesure avec les défis. La Suisse, la Belgique, le Canada – les pays qui ont les moyens de payer – évitent actuellement d’investir du côté de la Francophonie des droits, de la Francophonie politique. Pour toutes sortes de raisons.

Ces pays sont en général très critiques sur les façons de faire. Mais à un moment donné, si on critique, il faut aussi donner les moyens de faire les choses autrement.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

La Francophonie a mis en place en 1990 des programmes d’appui à l’Etat de droit et à la démocratie.

Outre un soutien aux institutions judiciaires, de contrôle, de régulation et de médiations de ses pays-membres, l’organisation a voulu favoriser les échanges entre ces institutions. D’où la création d’associations et des réseaux qui les regroupent.

Ces réseaux, qui sont des ensembles d’institutions de compétences similaires des différents pays, permettent la circulation des textes et des expériences, la formation, l’observation et l’évaluation.

Exemples de réseaux, celui des Cours constitutionnelles (ACCPUF), des Commissions nationales des droits de l’homme (AFCNDH), des Conseils économiques et sociaux (UCESIF) ou le Réseau francophone des régulateurs des médias (REFRAM).

Fondée sur le partage du français, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) compte 56 États et gouvernements membres et 14 observateurs, totalisant une population de plus de 800 millions de personnes.

Membre de l’OIF depuis 1989, la Suisse participe à l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Association internationale des Maires francophones (AIMF), TV5 Monde, l’Université Senghor d’Alexandrie.

La Suisse est aussi représentée au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (AUF), de la Conférence des ministres de la Jeunesse et des sports des pays francophones (CONFEJES) et de celle des ministres de l’éducation des pays francophones.

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