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Secret bancaire: «la Suisse agit de façon très prudente»

Pascal Saint-Amans: «le Forum n'a rien contre la Suisse !» AFP

La Suisse est sous la loupe du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale. Son secrétaire, Pascal Saint-Amans salue les «concessions» voulues par la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf, visant à adapter la Suisse aux règles de l’OCDE.

C’est dans un immeuble imposant des années 1990, donnant sur la Seine et jouxtant la tour de la chaine de télévision TF1, que s’est installé en 2009 le secrétariat du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Un nom à rallonge pour désigner le groupement de 98 Etats chargés d’évaluer l’état de leur coopération fiscale.

Cette pratique du «Peer Review» (examen par les pairs), typique de l’OCDE, réussit plutôt bien à la Suisse quand il s’agit d’aide au développement ou de politique environnementale. Le sujet fiscal est plus sensible. En témoigne la polémique qu’a provoqué la volonté de la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf qui envisage de faire des «concessions» sur l’entraide administrative en matière de fiscalité, afin de ne pas être placée sur la liste grise ou noire de l’OCDE.

«Les Suisses ne devraient pas faire d’un point secondaire une question grave de principe», estime le secrétaire du Forum mondial, Pascal Saint-Amans, qui salue le choix de la ministre. Interview.

swissinfo.ch: Où en est la procédure d’examen de la Suisse ?

Pascal Saint-Amans: Je ne peux pas communiquer sur les détails du calendrier, c’est de la cuisine interne, de l’information confidentielle. Mais résumons le processus d’examen par les pairs. Le Forum envoie un questionnaire au pays en question, qui a quatre semaines pour répondre. Ensuite, deux représentants des pays membres, en l’occurrence le Danemark et l’Argentine, et un délégué du secrétariat ont un mois pour écrire un rapport, lequel sera envoyé au Groupe d’examen par les pairs (Peer Review Group, PRG), constitué de 30 Etats membres, dont la Suisse.

Ce que nous observons, c’est que les pays changent rapidement leur législation, surtout quand ils sont soumis à la «pression» du Forum. Prenons l’exemple de San Marin, qui avait fait l’objet l’an dernier d’un rapport très critique. Le jour même de la réunion du Peer Review Group, le micro-Etat a assuré avoir entièrement changé sa loi. Que faire ? C’est bête d’écrire un rapport déjà dépassé, mais délicat de donner une prime au petit malin qui chamboule tout à la dernière minute. Il fallait donc fixer un délai: on arrêtera les compteurs juste avant l’envoi du rapport au PRG.

swissinfo.ch: C’est-à-dire, pour la Suisse, à la fin du mois de février. Et ensuite ?

P. S.-A. : Le PRG examine le rapport – la discussion est parfois très vive – et se prononce au consensus moins un. Le texte est enfin envoyé à l’ensemble des membres du Forum mondial pour approbation.

swissinfo.ch:En Suisse, certains se demandent pourquoi les conventions de coopération fiscale, laborieusement renégociées en 2009 et 2010, ne répondraient plus aujourd’hui aux critères de l’OCDE…

P. S.-A.: Les termes de référence n’ont pas changé. On les trouve dans le modèle d’accord d’échanges de renseignements de l’OCDE, qui date de 2002, et dans le modèle de convention fiscale (2004). Il y a deux ans, le secrétaire général de l’OCDE avait placé la Suisse sur la liste blanche – celle-ci ayant renégocié plus de 12 conventions – sans faire une analyse de détail. Aujourd’hui, on est dans une autre logique. Il s’agit d’une étude beaucoup plus approfondie, faite par les pairs.

swissinfo.ch: Faudra-t-il entièrement revoir les conventions de double imposition avec les partenaires de la Suisse ?

P. S.-A.: Non. Si les conventions s’avèrent clairement contraires aux standards, il faut les renégocier. C’était le cas de Panama. Pour la Suisse, il semble que c’est moins la convention qui coince que l’interprétation qu’en fait le gouvernement. Dans ce cas et suite à la correction que semble opérer la Suisse, il lui suffira de procéder à un échange de notes diplomatique avec ses partenaires.

swissinfo.ch: Les propositions conciliantes de la ministre suisse des Finances Eveline Widmer-Schlumpf ont provoqué une mini-crise politique en Suisse. Qu’en pensez-vous ?

P. S.-A.: Je n’ai pas à me prononcer sur une question politique interne. Tout ce que je peux dire, c’est que cette polémique est d’autant plus regrettable que la ministre agit de façon très prudente, avec rapidité et sans précipitation. En réagissant à temps, elle évite un rapport négatif.

swissinfo.ch: En Suisse, certains estiment que la ministre a anticipé inutilement sur le désir de l’OCDE…

P. S.-A.: La Suisse avait fait 95 % du chemin, mais pas les 5 % restant, à la différence de certains autres pays. Quand vous examinez la législation de Singapour, par exemple, vous voyez qu’elle respecte parfaitement l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Sa loi prévoit de donner des informations à un pays demandeur si celui-ci fournit le nom et l’adresse du contribuable. Mais aussi, dans certaines circonstances, sur la base d’un simple numéro de compte.

Après des échanges avec l’équipe d’assesseurs du Forum mondial, la Suisse a estimé qu’elle prenait un risque fort sur une question finalement secondaire.

swissinfo.ch: Quelles sanctions encourt la Suisse, si le rapport est négatif ?

 

P. S.-A.: Le Forum mondial n’impose pas de sanctions. Mais les fameuses listes blanches, grises et noires de l’OCDE existent toujours. Surtout, le G20 suit ce processus d’un œil très attentif. Dans ses conclusions, le récent G20 qui s’est tenu à Paris a demandé au Forum mondial de le tenir au courant de ses rapports.

swissinfo.ch: Qu’en est-il des centres financiers qui ne font pas partie du Forum mondial ?

P. S.-A.: Certains pays tentent de développer des centres financiers en dehors des normes internationales. Récemment, la république ex-yougoslave de Macédoine a lancé une campagne de publicité vantant son secret bancaire, son opacité, etc. Nous invitons ces pays à devenir membres du Forum mondial et, même s’ils ne le souhaitent pas, nous procédons à l’examen par les pairs. Nous suivons aussi de très près ce qui se passe au Liban. La Suisse, qui je le répète est membre du Groupe d’examen par les pairs, tient beaucoup à ce que tout le monde soit jugé sur un pied d’égalité.

swissinfo.ch: La prochaine réunion du Forum mondial se tiendra en mai aux Bermudes. Pourquoi les Bermudes ?

P. S.-A.: Cet état est vice-président du Forum. Il a déjà fait l’objet d’un rapport, qui lui permet de passer en phase 2 (l’étape au cours de laquelle sera examinée, dès 2012, non plus la législation, mais l’application des standards, ndlr), mais avec un certain nombre de recommandations. Au cours de cette réunion aux Bermudes seront examinés les rapports concernant la Suisse, mais aussi Singapour, le Liechtenstein, les Etats-Unis et la France. On étudiera de près la question sensible de l’Etat américain du Delaware et celle des trusts au Royaume-Uni. Vous voyez que le Forum n’a rien contre la Suisse !

En réponse à l’appel du G20 en vue d’accroître la transparence fiscale, le Forum mondial a publié en février dix nouveaux rapports.

Quatre juridictions, La Barbade, les Seychelles, San Marin et Trinité et Tobago sont loin d’appliquer intégralement la norme internationale et devront mettre en œuvre les recommandations figurant dans les rapports qui les concernent avant de passer à la prochaine phase de leur évaluation.

Le rapport sur Guernesey indique qu’un cadre juridique satisfaisant a été mis en place mais il reste quelques questions mineures que l’on a demandé à Guernesey de régler.

Les quatre examens « combinés » indiquent que les régimes mis en place en Australie, au Danemark, en Irlande et en Norvège permettent un échange efficace de renseignements.

Toutefois, il y a des questions mineures concernant les renseignements sur les actions au porteur et les prête-noms auxquelles il faudra s’attaquer. Ces examens portent à 18 le nombre de rapports adoptés et indique que le Forum mondial continue d’assurer la réalisation du programme du G20.

Parapher. La convention de double imposition (CDI) doit d’abord être paraphée, c’est-à-dire ratifiée provisoirement par les responsables des négociations. Le contenu de la CDI est ensuite communiqué aux cantons et au milieux économiques intéressés sous la forme d’un rapport.
 
Approuver. Ensuite, le Conseil fédéral (gouvernement) doit donner l’autorisation de signer la CDI. Puis, celle-ci doit alors être approuvée par les deux Chambres fédérales.
 
Ratifier. Si elle est approuvée par le Parlement et l’Etat partenaire, elle peut alors être ratifiée et entrer en vigueur à la date convenue entre les deux parties.

Conventions de double imposition internationales selon l’article 26 de l’OCDE.
 
En vigueur
Danemark
Finlande
Norvège
France
Grande-Bretagne
Qatar
Luxembourg
Mexique
Autriche (depuis le 1er mars 2011)
Espagne
Canada
USA (pas encore entré en vigueur, doit être approuvé par le Parlement américain)
 
A approuver par le Parlement
Pays-Bas
Turquie
Japon
Pologne
Inde
Allemagne
Kazakhstan
Uruguay
Grèce
 
Signées
Hong Kong
Corée du Sud
Slovaquie


Paraphées
Irlande
Malte
Oman
Roumanie
Suède
Singapour
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