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UBS doit-elle tirer un trait sur sa banque d’affaires?

Pris dans la toumente, Oswald Grübel, le patron d'UBS, ne compte pas démissionner. Reuters

La révélation d’une fraude ayant coûté 2 milliards de francs suisses à UBS relance le débat sur les risques systémiques encourus par les grandes banques suisses. Une majorité politique pourrait se dessiner en faveur d’une interdiction pure et simple de la banque d’investissement.

Est-ce le scandale de trop pour UBS et son patron Oswald Grübel? Depuis la révélation jeudi dernier d’une fraude commise par un trader londonien ayant entraîné deux milliards de francs suisses de perte, les pressions politiques se font de plus en plus fortes sur la première banque du pays.

Dès l’annonce de l’arrestation du «Kerviel suisse», comme l’a nommé une partie de la presse en référence à une affaire similaire qui avait affecté la Société Générale en 2008,  les journaux suisses ont évoqué une réduction massive de la taille de la banque d’affaires d’UBS. Selon le Tages Anzeiger, qui se base sur des sources internes, la restructuration devrait intervenir le 17 novembre, lors de la journée des investisseurs d’UBS. Des milliers de postes de travail pourraient être supprimés, s’ajoutant aux 3500 suppressions d’emplois déjà annoncés récemment.

Une évolution qui va certes dans la direction voulue par la grande banque. Depuis la crise financière, UBS a en effet abandonné son objectif de devenir la première banque d’investissement au monde et s’est à nouveau concentrée sur ses activités historiques, à savoir la gestion de fortune et les opérations de gestion d’actifs.

Cet été, lors de l’annonce des résultats du deuxième trimestre de la banque, Oswald Grübel a affirmé que la banque d’investissement serait réduite de l’ordre de 25 à 50%. Les prévisions du patron d’UBS, de plus en plus sur la sellette, pourraient pourtant se révéler sous-estimées, si l’on s’en réfère à l’onde de choc suscitée par l’arrestation de son courtier indélicat.

Les politiciens au créneau

La banque d’affaires (ou banque d’investissement) offre des perspectives de profits spectaculaires en comparaison avec la gestion de fortune lorsque les marchés fonctionnent sans à-coups. Mais comme beaucoup de banques l’ont appris à leurs dépens durant la crise financière, ce type de transactions peut également générer des pertes abyssales.

Les marchés font grise mine depuis le début de l’année et l’appétit pour la prise de risque est au plus bas. A cela s’ajoute une indignation de plus en plus forte au sein de la population suisse, relayée par les principaux acteurs politiques du pays. «Pour une banque qui a fait des erreurs dans le passé, c’est inacceptable», a ainsi affirmé Fulvio Pelli, président du Parti libéral-radical (PLR / droite), pourtant proche des milieux financiers.

La fraude subie par UBS survient à quelques semaines seulement des élections fédérales et alors que les parlementaires sont en train de débattre de nouvelles règles à appliquer aux deux grandes banques suisses – UBS et Credit Suisse – pour couvrir les risques en cas de faillite. Des mesures destinées à éviter une nouvelle injection de fonds publics, comme ce fut le cas il y a trois ans suite aux difficultés connues par UBS lors de la crise des subprimes.

Vers une alliance politique?

L’ancien ministre et leader charismatique de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), Christoph Blocher, a tenu des propos sans ambiguïté dans la SonntagsZeitung: «Dans le système actuel, les banquiers d’affaires, intégrés dans une banque universelle, disposent de liquidités trop bon marché face aux risques qu’ils prennent. Une externalisation de l’investment banking est, pour moi, une priorité».

Un discours très proche de celui de Christian Levrat, le président du Parti socialiste, qui a plaidé en fin de semaine pour l’interdiction de la banque d’investissement, «qui présente un risque systémique pour l’économie suisse». Le Matin Dimanche voit ainsi une alliance contre-nature entre le PS et l’UDC se dessiner: «Depuis ce week-end, le PS est prêt à soutenir l’UDC dans sa demande de séparation, voire d’interdiction de la banque d’affaires pour tous les établissements suisses qui pratiquent la banque de détail».

Sans aller aussi loin, le Parti libéral-radical (PLR) prend lui clairement ses distances à l’égard de Kaspar Villiger. L’arrivée de l’ancien ministre libéral-radical à la présidence du Conseil d’administration de la grande banque suite à la crise des subprimes en 2008 n’a pas eu les effets escomptés, d’après plusieurs parlementaires interrogés par la Tribune de Genève. «Kaspar Villiger a non seulement échoué face à la culture des bonus, mais il n’a pas eu la force de s’opposer à Oswald Grübel. Il s’est agenouillé», affirme ainsi le député argovien Philipp Müller.

Avec quel argent?

Les pressions politiques sonneront-elles le glas de la banque d’investissement telle que pratiquée jusqu’ici par UBS?  Certains experts rappellent que toutes les opérations liées à cette activité ne sont pas soumises à des risques aussi élevées que celles pratiquées au sein de la désormais fameuse unité «Delta One», au sein de laquelle travaillait le fraudeur. La plupart des opérations d’investissement réalisées par des banques suisses sont centrées sur le conseil aux entreprises en matière de stratégie de croissance et la gestion des fusions et acquisitions.

Analyste à la Banque cantonale zurichoise, Andreas Venditti souligne qu’UBS doit désormais se poser la question de savoir quelle banque d’investissement elle souhaite offrir à ses clients: «Les clients du secteur gestion de fortune voudront toujours vendre et acheter des instruments financiers. Mais cette activité sera davantage exposée à une réglementation plus stricte, tandis que les services de conseil seront à peine touchés».

L’autre grande incertitude qui plane sur la banque est celle de savoir si les placements de son trader indélicat ont été réalisés avec l’argent de la banque ou celui de ses clients. UBS a déclaré qu’aucune position de clients n’avait été affectée par cette fraude. Mais ceci peut tout aussi bien signifier que la banque a accepté de dédommager ses clients pour les pertes engendrées, estime Andreas Venditti.

Il y a trois ans, UBS avait promis de réduire considérablement ses activités de proprietary trading (réalisées avec son propre argent) après les pertes énormes subies aux Etats-Unis, en faveur d’un commerce orienté vers ses clients. Mais la distinction entre les deux activités est peu claire dans de nombreux cas, affirme Andreas Venditti. «Il y a toute une zone grise entre ces deux activités», dit-il.

Delta One apparaît comme l’une d’elles. En misant notamment sur les Exchanged Trades Funds (ETF), instruments ultrasophistiqués et risqués, l’unité spéciale de la banque basée à Londres promet au client un certain rendement de ses actifs, le surplus tombant dans la poche d’UBS et de ses traders. Dans son édition de lundi, Le Monde décrit cet instrument financier comme «une machine infernale», qui réunit toutes les caractéristiques d’une nouvelle bulle financière.

UBS a annoncé jeudi dernier qu’un courtier ayant causé une perte de l’ordre de deux milliards de dollars liée à des transactions non autorisées avait été appréhendé à Londres. Lundi, elle a revu à la hausse la perte engendrée, à 2,3 milliards de dollars (soit environ 2 milliards de francs suisses).

Cette perte a conduit l’agence de notation financière Moody’s à placer la note AA3 long terme d’UBS sous surveillance, en vue d’une possible dégradation en raison des «faiblesses dans la gestion du risque du groupe».

Une perte de 2 milliards de dollars serait certes «gérable» par la banque, note Moody’s, mais «ces pertes soulèvent des

questions sur la capacité du groupe à réussir la reconstruction de ses opérations de banque d’investissement».

La nouvelle de l’arrestation du courtier soupçonné d’être l’auteur de la fraude a fait l’effet d’une bombe dans le monde financier et le titre UBS a clôturé jeudi en chute de 10,80% à 9,75 francs suisses, dans un marché haussier.

La banque a précisé que cette affaire risquait de faire plonger dans le rouge ses résultats du troisième trimestre, mais que ses clients ne devraient pas en souffrir directement.

UBS a été la banque européenne la plus touchée par la crise des subprime, avec une perte d’environ 50 milliards de dollars entre la fin de 2007 et 2009.
 
2008 a été le pire exercice, avec des pertes totalisant 21 milliards de francs suisses.
 
Entre 2008 et 2010, la crise de confiance de la clientèle a coûté plus de 200 milliards de francs. En 2010, le retrait d’actifs est tombé à 14,3 milliards.
 
UBS a également été frappée par une amende de 780 millions de dollars au fisc américain en 2009.
 
De plus, la banque a été forcée de transmettre des informations sur des milliers de clients aux Etats-Unis.
 
En 2010, le Parlement suisse a ratifié l’accord passé entre la Suisse et les Etats-Unis sans qu’UBS doive répondre en Suisse de violation du secret bancaire. Cette année-là, la banque a renoué avec les chiffres noirs, dégageant un bénéfice de 7,16 milliards de francs suisses.

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