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«La politique extérieure de la Suisse donne une image brouillée du pays à l’étranger»

Particpants à la table ronde Annecy 2023
Les participant-es à la table ronde de swissinfo.ch: Jean-Jacques Richard, Maggy-Laure Giorgini, Jean-Paul Aeschlimann et Paolo Lupo. swissinfo.ch

Image de la Suisse, droit de vote, vote électronique, politique extérieure: lors de la table ronde organisée par swissinfo.ch dans le cadre du 66e Congrès de l’Union des associations suisses de France (UASF), qui s’est tenu fin avril à Annecy, aucun des thèmes brûlants des élections fédérales à venir n’a été épargné par les Suisses de l’étranger.

Ils sont quatre – une femme et trois hommes, dont trois binationaux.

Ils connaissent bien la Suisse – tous sont présidente et présidents de cercles suisses en France. Mais ils connaissent aussi la vie de Suisse de l’étranger: l’un d’entre eux depuis toujours, les autres depuis plusieurs années.

Dans l’assistance, les spectatrices et spectateurs ont un parcours similaire.

Jean-Paul Aeschlimann, Maggy-Laure Giorgini, Paolo Lupo et Jean-Jacques Richard ont accepté de discuter avec swissinfo.ch des thèmes qui les préoccupent particulièrement en cette année d’élections fédérales.

Des sujets helvético-helvétiques

Ces derniers mois, les sujets qui ont bousculé la Suisse n’ont pas manqué. Le dernier en date étant la débâcle de Credit Suisse. Mais, à en croire Jean-Jacques Richard, président de l’Union helvétique de Lyon et délégué au Conseil des Suisses de l’étranger de l’OSE (Organisation des Suisses de l’étranger), «il s’agit plus d’une préoccupation des Suisses vis-à-vis de l’étranger que d’un sujet qui intéresse à l’international». Maggy-Laure Giorgini, présidente du Cercle suisse du Pays de Gex – une région pourtant limitrophe de la Suisse – abonde dans le même sens: «C’est un thème dont on n’a pas vraiment beaucoup parlé au sein de notre association». 

Au tableau des sujets controversés également, la neutralité, qui agite la classe politique suisse depuis le début de la guerre en Ukraine, d’une part en raison de la reprise des sanctions de l’Union européenne envers la Russie, d’autre part à propos du débat sur la réexportation d’armes fabriquées en Suisse. Aux yeux de Paolo Lupo, qui en tant que président de l’association Genevois sans frontière défend les droits des frontaliers suisses de France, la neutralité «n’est plus adaptée au mode de fonctionnement de l’Union européenne et des pays qui composent l’Occident» et il faudrait donc la repenser.

Reste qu’aux yeux de nos quatre invité-es, il s’agit là aussi surtout d’une préoccupation helvético-helvétique. Pour Jean-Jacques Richard, «c’est un vrai débat en Suisse, qui ne sait plus comment se positionner face à cette neutralité», mais l’image de la neutralité helvétique en France n’a pas été écornée.

Une politique extérieure «peu audible»

D’ailleurs, selon Jean-Paul Aeschlimann, président de la Société helvétique de Montpellier, c’est davantage «la politique extérieure du gouvernement qui donne une image brouillée du pays». Le Neuchâtelois, actif dans le monde de la recherche, estime que, depuis l’étranger, «on ne comprend pas très bien ce que le gouvernement entend faire dans toute une série de dossiers», alors que «l’Europe traverse une série de crises qui remettent beaucoup de choses en question». Il pense que la Suisse est en «décalage», restée bloquée sur «une doctrine héritée de la Guerre froide».

Paolo Lupo parle quant à lui d’une politique extérieure «peu audible». Il regrette que les succès rencontrés par la Suisse trouvent peu d’écho en France voisine, faisant notamment référence à l’accord pérenne sur le télétravail conclu en décembre 2022 entre les deux pays.

>> À lire: Le télétravail depuis l’étranger restera une exception

«La question européenne est également très peu traitée en dehors de la Suisse», souligne Paolo Lupo. Pour Jean-Paul Aeschlimann, la Suisse doit adapter sa politique à l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui: «Je vois que nous avons du mal à nous intégrer, et cela tient à cette attitude du gouvernement qui ne sait pas très bien où il va». 

Les meilleurs ambassadeurs

Selon Paolo Lupo, les citoyennes et citoyens suisses de l’étranger permettent justement que la Suisse soit mieux comprise en dehors de ses frontières. Ainsi, les quatre participant-es au débat s’accordent à dire qu’il est indispensable que les Suisses de l’étranger puissent conserver leur droit de vote, même après plusieurs années, voire décennies, de vie à l’étranger. «Faire usage de son droit de vote permet de maintenir le lien avec la mère patrie. Le supprimer équivaudrait à nous retirer la nationalité suisse», déclare Paolo Lupo.

Il rappelle que les frontaliers – près de 105’000Lien externe, toutes nationalités confondues – qui travaillent dans le canton de Genève «participent aussi à la richesse de la Suisse». Mais, pour Jean-Jacques Richard, la nationalité ne doit pas se résumer à un aspect économique: «Beaucoup pensent que, comme les Suisses de l’étranger ne paient pas d’impôts dans leur mère patrie, ils ne devraient pas avoir les mêmes droits». Or, selon le Lyonnais, la nationalité est intangible. Elle consiste «simplement [en] la fierté d’être Suisse» et de représenter à l’étranger la démocratie suisse, «un modèle qui devrait être mondial».

Conscient que seule une proportion assez faible de ses compatriotes de l’extérieur exerce régulièrement ses droits politiques – sur les plus de 631’000 Suisses de l’étranger en âge de voter, seul-es environ 8,5% en moyenne font usage de leur droit de vote – Jean-Paul Aeschlimann estime que les Suisses de l’étranger «s’abstiennent de voter sur des objets qui ne les concernent pas» et n’influent donc pas sur la vie quotidienne en Suisse. En ce sens, il considère comme «capital» que les Suisses de l’étranger puissent continuer à «exprimer un avis bien souvent différent de celui des Suisses de l’intérieur» sur des sujets qui les affectent plus directement.

>> À lire: Les Suisses de l’étranger ont-ils assez de pouvoir?

Une avancée très attendue

Maggy-Laure Giorgini rappelle toutefois les difficultés rencontrées pour voter. Bien qu’elle n’habite qu’à quelques kilomètres de la frontière suisse, il lui est dernièrement arrivé de recevoir son matériel de vote si tardivement qu’elle n’a pas pu le renvoyer à temps. «C’était extrêmement simple et stimulant de pouvoir voter par voie électronique», regrette pour sa part Jean-Paul Aeschlimann.

Sans surprise, les quatre protagonistes plaident pour la réintroduction du vote électronique. Pour Jean-Jacques Richard, «c’est une question de modernité, tout simplement. Cela fait partie de la marche normale des choses».

>> À lire: La Suisse dispose à nouveau d’un système d’e-voting

Quelles revendications pour les élections?

Au-delà du sujet du vote électronique, qui sera à nouveau utilisé par quatre cantons lors des votations du 18 juin, le délégué du Conseil des Suisses de l’étranger s’étonne que la diaspora helvétique ne soit pas mieux prise en compte par les partis politiques: «Les Suisses de l’étranger devraient systématiquement faire partie de leurs discours et projets. 800’000 personnes, ce n’est quand même pas rien!». Ainsi, il espère que les élections fédérales de l’automne représenteront «une occasion de changer la donne».

Jean-Paul Aeschlimann s’inquiète quant à lui des relations avec l’Union européenne et du préjudice subi par les programmes de recherche scientifique à la suite de l’arrêt unilatéral par la Suisse des négociations sur l’accord-cadre en mai 2021. Aussi, il souhaite qu’une solution pragmatique soit rapidement trouvée.

Deux autres sujets animent plus particulièrement Paolo Lupo. Le premier est celui du retour au pays des Suisses de l’étranger: «Aujourd’hui le sujet n’est pas bien traité, notamment en termes d’assurances sociales». Le second objet a une portée plutôt bilatérale entre la France et la Suisse. Il s’agit de l’harmonisation de certaines cotisations ou assujettissements fiscaux. «Je pense qu’il est important que les deux pays aient cette vision puisque la France accueille la plus grande communauté de Suisses à l’étranger».

Un regard extérieur sur les élections fédérales

Avant les élections fédérales du 22 octobre 2023, swissinfo.ch part à la rencontre des Suisses de l’étranger dans cinq pays différents. Nous souhaitions découvrir les revendications, les besoins spécifiques et le regard sur la politique de la Cinquième Suisse. Des journalistes se rendront ainsi dans des sociétés et clubs helvétiques en France, en Italie, en Allemagne, au Mexique et en Grande-Bretagne.  Tables rondes, portraits et interviews sont à découvrir sur swissinfo.ch ainsi que sur Instagram, Facebook et Twitter avec les hashtags #SWIontour et #WeAreSwissAbroad.

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