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Doctrine Obama versus doctrine Monroe?

A la santé des temps nouveaux? Un toast entre les présidents des Etats-Unis Barack Obama et du Mexique Felipe Calderon, à Mexico City. Keystone

Le président vénézuelien Hugo Chavez a offert, voici un mois, une île à l'Etat du New Jersey pour en faire une réserve écologique. Derrière ce geste, l'ébauche d'une relation nouvelle entre les Etats-Unis et ses voisins du sud. Un rapprochement sans comparaison historique.

Plusieurs voix s’élèvent pourtant pour avertir que l’optimisme est encore prématuré. Celle, entre autres, de l’ex-ambassadeur suisse Walter Suter, lié à l’Amérique latine depuis 40 ans.

«Par rapport à ce que nous avons connu, il y a un changement très important, ne serait-ce qu’au niveau de l’atmosphère. Le langage et la manière d’entrer en contact sont différents», dit-il. «Mais nous ignorons s’il existe un changement de stratégie. Il pourrait s’agir seulement d’un changement de tactique, des moyens mis en œuvre pour parvenir à des objectifs déjà fixés.»

Barack Obama a pourtant suscité beaucoup d’espoirs et d’illusions, relève-t-on. «Il représente un espoir pour moi aussi et je ne veux pas sous-estimer le dénouement de cette première rencontre. Mais si on considère les décennies et les siècles passés, si on remonte jusqu’à la doctrine Monroe…» répond-il.

Cette première rencontre s’est déroulée durant le 5e Sommet des Amériques à Trinidad et Tobago d’où les participants sont repartis sans avoir signé aucune déclaration finale mais sur la promesse d’un nouveau dialogue avec la première puissance du monde.

La fin de «l’arrière-cour»

«Les déclarations d’Obama aux leaders d’Amérique latine en faveur d’un dialogue entre égaux est un pas énorme comparé au registre de la confrontation que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui, et en particulier avec le président précédent. Cela me semble très significatif.»

A tel point que, à en croire l’ambassadeur, «avec Obama, il est possible que l’Amérique latine cesse d’être l’arrière-cour des Etats-Unis.»

Walter Suter était au Chili après le coup d’Etat de Pinochet; il se trouvait au Paraguay au moment de la chute de Stroessner et en Argentine au retour de Peron… Autant dire qu’il a vécu de près l’impact des stratégies «made in USA» comme les dictatures militaires, l’Opération Condor, l’Ecole des Amériques (le centre de formation militaire le plus important d’Amérique latine qui a permis aux Etats-Unis d’entraîner et de former idéologiquement des dizaines de milliers de militaires).

«Ce que j’ai vécu depuis mon arrivée en Amérique Latine en 1970, m’inspire certaines réserves à propos de l’avenir. Certes, les opportunités existent mais on ignore si elles seront saisies. Il s’agit maintenant de la possibilité d’un changement de paradigme et d’ici à ce qu’il produise des effets, de nombreux efforts restent à accomplir.»

En particulier si on considère le fait que la nation la plus puissante du monde a transformé la revendication de James Monroe, «L’Amérique aux Américains», en «L’Amérique aux Etas-Unis», mot d’ordre de son impérialisme. Ce qui a contribué au développement culturel d’un rapport de dominants-dominés que le temps s’est chargé d’enraciner.

La domination oui, mais sélective

«Je crois que la stratégie qui consiste à entretenir une bonne relation tout en maintenant une certaine forme de domination va se poursuivre. Parce que finalement le fait que les Etats-Unis soit une grande puissance dicte un peu son comportement», explique notre interlocuteur. Les grands pays, dit-il, ont tendance à se percevoir comme ayant plus de droits que les petits.

A son avis, c’est dans les moyens mis en œuvre que le changement de tactique se fera sentir. Washington abandonnera l’usage de la force armée en Amérique Latine pour se rapprocher de ses voisins et maintenir son influence dans la région à travers la coopération.

«Celle-ci a toujours existé mais elle est en train d’être renforcée. La formule clé c’est désormais ‘US AID’. Les Etats-Unis vont établir une relation d’amitié et de confiance à travers la coopération pour continuer à exercer une influence importante, ne serait-ce que culturelle, mais qui contribuera au maintien d’une forte présence économique.»

Un devoir de collaboration avec le Mexique

A cet égard, l’exemple du Mexique et de sa lutte contre le trafic de drogue est parlant. Ici aussi, le discours de l’administration Obama est nouveau et fondamental: il reconnaît la coresponsabilité.

«Je reconnais qu’il s’agit d’une déclaration très importante, franche et honnête. La coresponsabilité a toujours existé mais c’est la première fois qu’un président l’exprime et promet de partager cette responsabilité, à travers une lutte commune contre le fléau.»

Cette déclaration prend toute sa mesure si on prend en compte le fait que la moitié des consommateurs de drogues vit aux Etats-Unis et que, comme le veut la logique de base du marché, sans consommateurs pas de vente et sans vente pas de production.

Point de départ: la levée de l’embargo

Barack Obama s’est rendu au Mexique avant de s’adresser à ses voisins de l’hémisphère sud à Port of Spain, capitale de Trinidad et Tobago, une réunion à laquelle, sans y avoir assisté, Cuba était pourtant très présente: l’Amérique Latine dans son ensemble a demandé la fin de la marginalisation de la «Perle des Caraïbes» et la levée de l’embargo commercial imposé par les Etats-Unis.
«Chaque pays d’Amérique Latine a ses particularités mais s’il y a un sujet qui fait consensus entre eux sans aucune équivoque, c’est la levée de l’embargo et la reconnaissance de Cuba par les Etats-Unis.»

Walter Suter partage l’opinion, de plus en plus répandue, tant à l’extérieur des Etats-Unis qu’à l’intérieur, que le blocus est à la fois une mesure caduque et un échec (compte tenu du but recherché, à savoir le renversement du régime révolutionnaire) et qu’il pénalise pourtant sévèrement le peuple cubain. Selon lui, la levée de l’embargo serait la première mesure qu’Obama pourrait adopter dans le cadre d’une relation renouvelée avec ses voisins.

«Le premier pas concret susceptible d’être suivi d’effets et de faire une différence dans le quotidien entre les Etats-Unis et l’Amérique latine sera la régularisation de la situation cubaine. Un premier pas concret et réalisable.»

Reconnaissance de Cuba par Obama

Pour Walter Suter, une telle mesure n’est pas pour aujourd’hui, ni pour demain, «mais pour après-demain, si». Quoi qu’il en soit du ping-pong de déclarations de ces derniers jours entre Washington et La Havane, un fait doit être souligné: la reconnaissance tacite de la politique de santé cubaine, parmi les meilleures du monde, que La Havane partage avec de nombreux pays.

Parmi lesquels, entre autres, la Bolivie dont le président Evo Morales, a récemment été victime d’une tentative d’assassinat. Fait inédit: dans les déclarations du premier président métisse des Etats-Unis au premier président indigène du pays andin, Washington a pris ses distances et condamné fermement cette tentative d’assassinat.

Le sommet de Trinidad et Tobago n’a certes vu aucun accord se conclure mais de nouvelles espérances y ont vu le jour.

En même temps qu’il lui offrait «Las venas abiertas de América Latina» («Les veines ouvertes de l’Amérique Latine») d’Eduardo Galeano, Hugo Chavez a déclaré à Obama: «Je veux être ton ami!»

«Il me semble qu’au bout du compte, c’est aux États-Unis de faire la preuve par l’acte de cette nouvelle attitude de respect et d’acceptation des pays de la région. Les pays d’Amérique Latine sont plutôt dans l’attente et ils l’ont été depuis 200 ans.»

Marcela Águila Rubín, swissinfo.ch
(Traduction de l’espagnol: Elizabeth Gilles)

La Citgo, filiale de la compagnie pétrolière vénézuélienne, a offert à l’Etat du New Jersey une île lui appartenant et où était installé une raffinerie, avec l’idée que cette île soit transformée en réserve écologique.

L’île Petty, 214 hectares, est située sur le fleuve Delaware, près de la ville de Philadelphie et appartenait à la Citgo depuis que cette entreprise a été acquise par la compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA, en 1990.

Washinton rompt ses relations avec La Havane le 3 janvier 1961.

Depuis lors, c’est la Suisse qui représente les intérêts des Etats-Unis à La Havane.

Trente ans plus tard, depuis 1991, elle représente également ceux de Cuba à Washington.

«Après 50 ans de représentation des Etats-Unis à Cuba et 20 ans de représentation des intérêts cubains à Washington, il me semble que la politique des bons offices a fait la preuve de son efficacité»: Walter Suter

Luis Inacio Lula da Silva, Président du Brésil: «Si les Etats-Unis en ont la volonté, l’opportunité existe d’ouvrir dans l’Histoire un nouveau chapitre non pas d’ingérence mais d’association et de construction de relations positives avec les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes.»

Hugo Chavez, Président du Véénézuela: «Sans être parfait, le sommet s’est approché de la perfection. Sous le signe de la cordialité, il s’est terminé sur un succès et dans un climat nouveau.»

Felipe Calderon, Président du Mexique: «Ce qui est venu enrichir ce sommet, c’est la pluralité.»

Alan Garcia, président du Pérou: «Certains pensent que ce Sommet est un nouveau départ dans les relations entre les pays de la région et les Etats-Unis. Tout dépend du point de vue idologique et des échanges de tirs verbaux. Nous autres avons déjà une relation harmonieuse et fluide avec les Etats-Unis.»

Hillary Clinton, secrétaire d’Etat: «La politique de Washington envers le Vénézuela ces huit dernières années n’a pas donné de résultats productifs (….) Sans abandonner ni ses principes ni ses valeurs, les Etats-Unis peuvent chercher des «opportunités» avec Chavez.»

L’opposition républicaine a critiqué durement le président Barack Obama pour son rapprochement et sa disposition au dialogue avec le Venezuela et Cuba, exprimés durant le Sommet des Amériques, prétendant qu’il donnait ainsi un signal de soutien aux «ennemis» du pays.

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