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La Suisse ne veut plus jouer les élèves modèles

Les armes ne sont pas un produit d'exportation tout à fait comme les autres. Keystone

Après la Chambre haute, la Chambre basse du Parlement a accepté jeudi d’assouplir les règles d’exportation d’armes à l’étranger. Le but est de soutenir une industrie suisse de l’armement actuellement à la peine. La gauche et les milieux de défense des droits de l’homme déplorent cette décision.

En septembre dernier, répondant à une motion de la Commission de la politique de sécurité de la Chambre haute en faveur d’un assouplissement des règles d’exportation, le gouvernement constatait que «les signes indiquant que la situation économique va en se détériorant pour l’industrie suisse de la sécurité et de l’armement se multiplient».

Marasme

Or, les fait lui donnent raison: en 2013, les exportations d’armes, de munitions et d’autres équipements ont représenté une valeur de 461,2 millions de francs, soit 239,2 millions de moins que l’année précédente, selon les chiffres de l’Administration fédérale des douanes.

La motion débattue jeudi au Conseil national vise justement à donner un bol d’air à cette industrie suisse de l’armement actuellement confrontée au marasme. L’idée est d’assouplir les règles en matière d’interdiction des exportations. Avec la nouvelle mouture de l’Ordonnance sur le matériel de guerre, les interdictions d’exporter, par exemple dans le cas de menace pour les droits de l’homme, ne seraient plus automatiques, mais jugées au cas par cas. (voir encadré)

La motion demande une modification l’article 5 alinéa 2 de l’actuelle Ordonnance fédérale sur le matériel de guerre.

La proposition de modification laisse une plus grande marge d’interprétation en ce qui concerne les règles justifiant un refus des exportations.

Voici les différences entre le texte original et les modifications proposées (entre parenthèses).

  • si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international (si le pays de destination est impliqué illégalement dans un conflit armé international ou s’il est en proie à un conflit armé interne)
  • si le pays de destination viole systématiquement et gravement les droits de l’homme (si le matériel de guerre risque fort d’être utilisé pour commettre de graves violations des droits de l’homme dans le pays de destination)
  • si le pays de destination figure parmi les pays les moins avancés sur la liste en vigueur des pays bénéficiaires de l’aide publique au développement établie pour le Comité d’aide au développement de l’OCDE (si l’acquisition du matériel de guerre à exporter risque d’entraver notablement le développement socioéconomique du pays de destination)
  • s’il y a de forts risques que, dans le pays de destination, les armes à exporter soient utilisées contre la population civile (si le matériel de guerre à exporter risque fort d’être utilisé contre la population civile en violation du droit international humanitaire ou des droits de l’homme dans le pays de destination)
  • s’il y a de forts risques que, dans le pays de destination, les armes à exporter soient transmises à un destinataire non souhaité (inchangé)

Un vote très serré

Le débat parlementaire a donné lieu à un affrontement assez classique entre la droite d’un côté et la gauche et une partie du centre de l’autre.

A droite, on a surtout insisté sur le danger de pertes d’emplois en Suisse. «Il en va de places de travail dans notre pays, à savoir plus de 10’000 places directes ou indirectes, a notamment déclaré le démocrate du centre (UDC / droite conservatrice) Raymond Clottu. Ce dernier a aussi averti qu’un trop grand affaiblissement signifierait «une perte de savoir-faire en Suisse» dans le domaine de l’armement.

La gauche et une partie du centre ont pour leur part rappelé que les armes n’étaient pas un matériel d’exportation comme les autres; dans ce domaine les aspects éthiques doivent primer sur les intérêts économiques, notamment en ce moment, avec la guerre en Syrie et la crise en Ukraine. «L’annonce de l’utilisation de munitions suisses contre les manifestants sur la place Maïdan, en Ukraine, montre l’acuité du problème», a notamment relevé le socialiste Pierre-Alain Fridez.

Entre ces deux positions, le ministre de l’Economie s’est voulu rassurant. «La Suisse n’enverra pas d’armes dans des pays qui violent les droits de l’homme, mais il s’agit aussi d’aider l’industrie d’armement suisse et de sauver des places de travail», a ainsi déclaré Johann Schneider-Ammann.

Au moment du vote, les députés étaient très partagés, puisque la motion comptait autant de partisans que d’adversaires. Celle-ci n’a passé la rampe que grâce au vote prépondérant du président de la Chambre basse, le démocrate-chrétien Ruedi Lustenberger, avec un résultat final de 94 voix contre 93.

La motion ayant été adoptée par les deux Chambres, il revient maintenant au gouvernement de modifier l’Ordonnance en conséquence.

Les ONG déplorent

Plusieurs organisations non gouvernementales protestent contre la décision du Parlement. Pour Alliance Sud, qui regroupe plusieurs organisations d’entraide aux pays du sud, «la Suisse met ainsi en danger sa réputation internationale en tant que héraut de la tradition humanitaire, la paix, la démocratie et les droits humains. Il faut être aveugle pour croire qu’on pourra éviter les risques importants en termes de réputation avec l’examen au cas par cas nouvellement décidé.»

Pour la section suisse d’Amnesty International, cette décision est carrément un scandale. «Il est scandaleux que la Suisse fasse passer les intérêts économiques avant la protection des droits humains. Avec cette décision nous mettons en danger la réputation de notre pays et son rôle de pionnier en matière de droits humains», écrit l’organisation de défense des droits de l’homme.

C’est en revanche la satisfaction du côté des milieux économiques. «Nous sommes contents, déclare à swissinfo.ch Ivo Zimmermann, responsable de la communication de Swissmem, l’organisation faîtière de l’industrie des machines. Avec cette décision, l’industrie suisse des techniques de sécurité et d’armement peut à nouveau évoluer sur le marché mondial avec les mêmes conditions que des pays comme la Suède ou l’Autriche.»

Un débat pour mieux comprendre

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