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La crise, l’occasion d’améliorer le frein à l’endettement?

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© Keystone / Ti-press / Gabriele Putzu

La Suisse se distingue au niveau international par la faiblesse de sa dette, obtenue grâce à l’introduction du frein à l’endettement. Un mécanisme qui se retrouve au cœur du débat à l’heure du bilan financier de cette première année de pandémie.

En 2017, la detteLien externe de la Suisse ne s’élevait qu’à 29% de son produit intérieur brut (PIB), l’un des taux les plus bas d’Europe. Ce bon résultat, la Confédération le doit au mécanisme du frein à l’endettement, entré en vigueur en 2003 après avoir été accepté par le peuple à près de 85%. Le principe est simple: sur l’ensemble d’un cycle conjoncturel, le montant total des dépenses ne doit pas dépasser le montant total des recettes. Les comptes peuvent être parfois positifs, parfois négatifs, mais ils doivent s’équilibrer sur plusieurs années.

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La crise provoquée par la pandémie de coronavirus vient mettre son grain de sable dans ces rouages bien huilés et relancer le débat sur une éventuelle adaptation du frein à l’endettement. Avec près de 80 milliardsLien externe de francs débloqués cette année en lien avec la Covid-19, plusieurs parlementairesLien externe se demandent comment adoucirLien externe les règles pour éviter des budgets d’austérité ces prochaines années.

«Le frein à l’endettement est un mécanisme assez souple qui peut continuer de jouer son rôle même en pleine pandémie, estime l’économiste Beat KappelerLien externe. Il faut traiter cette crise du coronavirus comme une crise conjoncturelle, avec des dépenses importantes et peu de recettes fiscales. La situation devrait se rétablir ces prochaines années, car la structure économique de la Suisse n’a pas été ébranlée.»

>> Mieux comprendre le fonctionnement du frein à l’endettement, en images:

Rembourser ou mettre de côté

Beat Kappeler rappelle que la Suisse était bien préparée à cette crise, justement grâce à son seuil minimal de dettes. Mais elle aurait pu être encore mieux préparée, indique pour sa part Bernard DafflonLien externe, professeur émérite en finances publiques à l’Université de Fribourg. Lors de l’élaboration du principe du frein à l’endettement, le Parlement a choisi d’utiliser les excédents budgétaires pour rembourser la dette et non pour augmenter le plafond des dépenses.

Une décision que regrette Bernard Dafflon, car si les surplus des bonnes années avaient été mis de côté, ils pourraient être directement utilisés en ces temps difficiles. «Si nous avions alimenté le fonds de compensation, il se monterait à environ 20 milliards de francs aujourd’hui et couvrirait sans doute les dépenses liées à la première et à la deuxième vague, précise le professeur. Nous n’aurions donc pas besoin d’emprunter ni d’amortir ces nouvelles dettes.»

«Il ne faut pas assouplir le frein, on ne modifie pas une règle structurelle à chaque situation extraordinaire.»

Bernard Dafflon

Bernard Dafflon souligne que le frein à l’endettement a permis de résister plutôt bien — et sans changement majeur — aux crises successives de 2008 (choc pétrolier) et 2009 (crise des surprimes). «Ma prévision est qu’il sera aussi adéquat lors de cette crise, compte tenu d’une réduction de la pandémie à l’horizon 2022 avec le vaccin et des conséquences économiques qui perdureront sans doute un peu plus longtemps», affirme-t-il.

Des règles à respecter

Bernard Dafflon garde l’espoir que cette pandémie conduise le Parlement et le Conseil fédéral à revenir au mécanisme de base du frein à l’endettement et à alimenter le fonds de compensation. Mais il met en garde: «Il ne faut pas assouplir le frein, on ne modifie pas une règle structurelle à chaque situation extraordinaire». Le professeur cite le canton de Genève, qui a adouci son mécanisme à plusieurs reprises face à des difficultés budgétaires persistantes. «Résultat: un endettement très lourd qui pèse sur les finances publiques et qui pèsera encore longtemps sur les générations futures», constate-t-il.

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Les États-Unis sont un autre exemple à ne pas suivre, mentionne Beat Kappeler: «Ils ont un mécanisme fantôme de frein à l’endettement, qui est toujours prolongé par le Congrès. Depuis plus de 8 ans, ils jonglent avec sans le respecter.» L’économiste s’oppose à toute réforme du frein à l’endettement en Suisse. «Il est prévu pour contrer des situations défavorables. Il n’y a pas besoin de l’alléger ou de l’abolir, même en période de crise.»

«Une garantie étatique contre toute velléité économique serait néfaste, car cela donnerait à penser qu’il n’y a plus de risque.»

Beat Kappeler

Cédric TilleLien externe, professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, pense aussi que le frein à l’endettement est un bon outil, suffisamment souple pour continuer à jouer son rôle en période de crise. «Mais on sent une certaine crispation au niveau politique autour de l’idée d’augmenter la dette», indique-t-il. Cédric Tille s’inquiète pour les années à venir: «J’ai peur que l’on décide de se serrer la ceinture pour rembourser la dette, alors qu’on n’en a pas besoin puisqu’une fois le gros creux 2020-2021 passé, l’économie va continuer à croître et cette dette Covid va gentiment descendre par rapport au PIB.»

Cédric Tille souligne que malgré la remontée de la dette en 2020, elle reste bien en dessous de son niveau de la première moitié des années 2010. Selon lui, la Confédération doit faire le choix entre soutenir les secteurs les plus affectés ou alors laisser une vague de faillites frapper le pays et provoquer une profonde récession. «Nous allons devoir nous endetter, à nous de savoir si on préfère le faire en limitant la casse ou dans un scénario bien plus pénible», affirme le professeur.

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Les aspects positifs de l’endettement

Une vision que ne partage pas Beat Kappeler, qui voit dans cette crise l’occasion de rappeler aux entreprises et aux individus l’importance d’économiser avant de commencer une activité. «Une garantie étatique contre toute velléité économique serait néfaste, car cela donnerait à penser qu’il n’y a plus de risque, qu’il est possible de se lancer dans n’importe quelle activité et que l’on pourra ensuite être sauvé par l’État», précise l’économiste.

«Cette crise pourrait être l’occasion d’améliorer le frein à l’endettement en fixant un objectif de stabilisation de la dette en fonction du PIB.»

Cédric Tille

«La vision selon laquelle moins on a de dettes, mieux on se porte n’est pas vraie pour un État», signale Cédric Tille. Si une dette excessive est effectivement dangereuse, le manque de dette est aussi problématique, assure le professeur, car elle représente un actif de référence pour les marchés financiers et un placement sans risque pour les investisseurs.

Il estime que le frein à l’endettement a été interprété et implémenté de manière trop restrictive. Depuis les années 2000, les prévisions budgétaires ont été exagérément prudentes, relève Cédric Tille, provoquant ainsi des excédents utilisés pour diminuer la dette. «Le problème en Suisse, c’est qu’il y a cette volonté de stabiliser la dette en valeur absolue. Cette crise pourrait être l’occasion d’améliorer l’outil du frein à l’endettement en fixant explicitement un objectif de stabilisation de la dette sur le long terme en fonction du PIB», conclut Cédric Tille.

D’après les estimations de l’Administration fédérale des finances, la dette brute devrait augmenter de 8,7 milliards de francs en 2020 pour atteindre 105,6 milliards. Le Conseil fédéral entend décider fin 2020 comment gérer cette hausse. Un choix qui ne manquera pas de relancer le débat au Parlement sur le rôle et le fonctionnement du frein à l’endettement.

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