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La finance suisse observe les élections britanniques

Les candidats du Parti conservateur David Cameron (gauche), du Parti Libéral-démocrate Nick Clegg et du Parti travailliste Gordon Brown (droite) se sont retrouvés réunis à l’occasion d’un débat télévisé à Birmingham. Reuters

La Grande-Bretagne s’apprête à vivre ce jeudi l’une des élections législatives les plus indécises de son histoire. Un événement qui suscite beaucoup d’intérêt en Suisse, où les propositions en matière de politique financière et fiscale de chaque parti sont observées à la loupe.

Dans le contexte de crise économique de ces derniers mois, la Grande-Bretagne a rejoint le rang des principaux opposants aux paradis fiscaux. Des propositions en matière de politique fiscale visant les personnes aisées et les bonus des banquiers ont ainsi alimenté les spéculations quant à une fuite des talents de la finance britannique vers la Suisse.

Ian Roxan, directeur du «Tax Programme» de la prestigieuse London School of Economics, estime qu’il est impossible de mesurer précisément lequel des trois partis en course pour les législatives de ce jeudi pourrait le plus profiter à la Suisse ou au contraire l’embarrasser s’il arrivait au pouvoir.

«Difficile de dire qui des travaillistes (Labour), des conservateurs (Conservatives) ou des libéraux-démocrates (Liberal Democrats) provoqueraient le plus de larmes de joie ou de tristesse en Suisse», affirme Ian Roxan.

Evasion fiscale

La Grande-Bretagne fait partie des nations puissantes qui ont forcé la Suisse, ainsi que d’autres pays, à changer sa position en matière d’échange d’informations fiscales.

Le gouvernement travailliste a introduit une amnistie fiscale pour les comptes «offshores», mis en place un impôt pour les résidents non-domiciliés en Grande-Bretagne et, plus récemment, doublé le montant des amendes à l’encontre des fraudeurs du fisc.

Les libéraux-démocrates de Nick Clegg ont quant à eux affirmé durant leur campagne qu’ils récupéreraient dix pour cent des 40 milliards de livres (66,5 milliards de francs) perdus chaque année en raison de la fraude et de l’évasion fiscale, sans toutefois donner de détails sur la manière dont ils s’y prendraient.

Les conservateurs se sont montrés les plus discrets sur cette question, mais John Christensen, directeur du «Tax Justice Network» (Réseau pour la Justice Fiscale), ne se laisse pas impressionner par les promesses des différents candidats: «On s’attend à ce que les libéraux-démocrates soient les plus intransigeants dans les négociations internationales. Mais les principaux partis britanniques semblent avoir perdu l’espoir d’imposer la transparence dans le secteur financier et de mettre fin à l’exode des sièges de multinationales vers des pays comme la Suisse et les Bermudes.»

Taxes sur les banques et les bonus

Le gouvernement suisse a récemment annoncé la mise en place d’une taxe sur les bonus des banquiers, mais a jusqu’ici rejeté l’idée d’une taxe sur le secteur financier ou d’un fond d’assurance obligatoire pour se prémunir contre les faillites futures.

La Grande-Bretagne a déjà introduit un impôt annuel de 50 pour cent sur les bonus dépassant 250’000 livres. Le gouvernement travailliste est également en faveur d’une taxe générale sur les profits bancaires et les transactions financières importantes, mais seulement si d’autres pays sont d’accord de faire la même chose.

Les conservateurs, eux, ne sont pas convaincus par une taxe sur les bonus. Mais ils s’affichent en faveur de l’introduction d’un impôt sur les banques qui rapporterait un milliard de francs, ceci indépendamment des actions entreprises par les autres pays.

Les libéraux-démocrates plaident quant à eux pour la suppression des bonus en nature excédant 2500 livres et pour l’interdiction de verser des bonus aux cadres et employés d’une banque qui fait des pertes. S’il accédait au pouvoir, le parti imposerait également un impôt sur les profits bancaires, qui rapporterait deux milliards de livres.

Taxer les riches

Quant à un nouvel impôt de 50% sur les revenus de plus de 150’000 livres, cette idée inciterait certainement quelques personnes fortunées à déménager à Genève, Zoug et Zurich. Mais une proposition libérale-démocrate d’imposer les gains en capital pourrait conduire à un exode encore plus important des gérants de «hedge fund», puisque cela réduirait massivement le montant de leurs honoraires.

Les libéraux-démocrates veulent également créer un impôt sur les propriétés valant plus de deux millions de livres. Les conservateurs proposent d’abolir l’impôt sur les successions, mais également de renforcer l’imposition des résidents non-domiciliés en Grande-Bretagne. Une proposition qui vise avant tout les hommes d’affaires travaillant à Londres.

Ian Roxan trouve toutefois davantage intéressant les propositions que les partis ne préfèrent pas révéler. Aucune des idées susmentionnées n’est en effet suffisante pour effacer la dette nationale. Pour lui, une augmentation de l’impôt sur le revenu, de la taxe sur la valeur ajoutée ou des primes d’assurance, qui affecterait tout le monde, est inévitable.

Quant aux riches, ils n’ont pas beaucoup à espérer de cette élection, estime Ian Roxan. «Une politique fiscale contraignante est déjà en place et personne ne propose d’y mettre un terme. La question pour les personnes à haut revenu est la suivante: quel parti est-il le plus inamical?»

Parlement sans majorité absolue

La Grande-Bretagne fait face à la perspective de n’avoir aucune majorité absolue au Parlement pour la première fois depuis 1974. Cette situation pourrait créer une paralysie dans le processus décisionnel, ce qui pourrait profiter à des agences suisses de promotion économiques, comme la «Greater Zurich Area».

Responsable du volet britannique de l’agence zurichoise, Marc Rudolf estime que l’incertitude joue un rôle dans les décisions de certaines compagnies de venir s’installer en Suisse. «Le débat va au-delà des impôts. Il touche bien plus à l’insécurité, à l’incapacité de planifier sur le long-terme. Les Britanniques ont peur de ce qu’il pourrait arriver.»

Les exportateurs suisses ne vont, eux, certainement pas profiter d’un Parlement britannique sans majorité. Suite aux résultats d’un sondage récent montrant qu’il n’y aurait pas de vainqueur clair, la livre britannique a chuté. Le même effet pourrait être observé si cette prévision se transformait en réalité jeudi.

La Grande-Bretagne est le cinquième plus grand marché d’exportation pour la Suisse. En 2008, elle a exporté pour 11,15 milliards de francs suisses de biens et services.

Matthew Allen, swissinfo.ch, Londres
(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

Les électeurs britanniques se rendent aux urnes jeudi pour élire un nouveau parlement. Différents sondages donnent les conservateurs gagnants avec 35-37% des voix, devant les travaillistes (29-30%) et les libéraux-démocrates (24-26%).

Si ces prévisions se confirmaient lors de l’élection, les conservateurs prendraient le pouvoir mais ne détiendraient pas une majorité claire au Parlement. Ce serait le premier Parlement britannique sans majorité absolue depuis 1974.

Le gouvernement travailliste du Premier ministre Gordon Brown est au pouvoir depuis 1997 et a dû faire face à la crise financière et à la récession économique qui s’en est suivie.

Le conservateur (centre-droit) Davis Cameron est le candidat le mieux placé pour succéder à Gordon Brown.

Les libéraux-démocrates, menés par le jeune Nick Clegg, ont été écartés du pouvoir durant des décennies, mais pourraient cette année joué un rôle majeur dans l’équilibre politique en tant que troisième force du pays.

En 2008, les échanges commerciaux entre la Suisse et la Grande-Bretagne ont atteint 18,3 milliards de francs suisses, avec une balance favorable de 3,9 milliards en faveur de la Suisse.

Les exportations suisses vers la Grande-Bretagne ont augmenté de 5,9% à 7,98 milliards. Les importations ont elles connu une hausse de 10% à 7,2 milliards.

La Grande-Bretagne est le cinquième pays le plus important pour les exportateurs suisses. Pour les Britanniques, la Suisse se situe en 13e position.

Les derniers chiffres qui englobent les 10 premiers mois de 2009 montrent une chute des échanges commerciaux entre les deux pays. Les exportations vers la Grande-Bretagne ont diminué de 16,7% à 7,99 milliards, alors que le niveau des importations a diminué de 20% à 4,9 milliards.

En 2007, la Grande-Bretagne figurait en deuxième place des investissements directs suisses (de 57 milliards de francs) après les Etats-Unis. Les entreprises britanniques ont investi 17,1 milliards de francs en Suisse la même année.

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