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Les politiques saluent le dédommagement de H. Kadhafi

Hannibal Kadhafi lors de sa rencontre avec l'otage suisse Max Göldi. Reuters

Genève confirme: elle est prête à verser une indemnité à Hannibal Kadhafi pour la publication de ses photos d'identité judiciaire. La justice tranchera jeudi. Le monde politique salue cette décision, sans se faire trop d’illusions quant au dénouement prochain de la crise avec la Libye.

«Genève est prête à s’excuser et à payer pour la publication illégale de photos de police. Cela me semble logique, et les tribunaux vont le confirmer d’une manière ou d’une autre», déclare Christian Levrat, président du Parti socialiste suisse. Un avis assez généralement partagé parmi les parlementaires fédéraux.

«Nous avons déjà reconnu la responsabilité de l’Etat de Genève lorsque nous avons déposé plainte contre le fonctionnaire à l’origine de la fuite en octobre dernier», a rappelé mercredi en conférence de presse François Longchamp, président du Gouvernement du canton de Genève.

Suite à la plainte en protection de la personnalité déposée par Hannibal Kadhafi contre le canton et la Tribune de Genève, l’Exécutif a pris position dans un mémoire de réponse transmis dans les délais au Tribunal de première instance.

Le Gouvernement y déplore à nouveau que les photographies d’Hannibal Kadhafi soient parvenues au quotidien et admet que la responsabilité de l’Etat de Genève est engagée, dès lors qu’il est vraisemblable qu’un de ses salariés soit à l’origine de cette fuite.

«Pas admissible»

François Longchamp a répété que de tels agissements n’étaient pas admissibles et que le Gouvernement veillerait à ce que l’auteur soit sanctionné au plan administratif, si l’enquête ouverte contre inconnu permet de l’identifier.

Le Gouvernement est entré en matière sur le versement d’une «équitable indemnité» à titre de réparation morale. Son montant devra être fixé par le juge en conformité avec le droit suisse. Le juge devra également déterminer la part de cette indemnité à la charge du journal et celle à la charge du canton.

Pour le reste, le Gouvernement genevois n’a voulu faire aucun commentaire sur l’affaire, rappelant qu’il s’en remettait aux autorités fédérales pour sa gestion, aussi longtemps que le Suisse Max Göldi – retenu depuis plus de 600 jours en Libye – ne sera pas revenu en Suisse.

«Cette décision a été prise en toute indépendance, confirme François Longchamp. Mais compte tenu du fait qu’il y a un ressortissant suisse retenu contre sa volonté en Libye; il est évident que ce genre de décision se prend en étroite collaboration et en harmonie avec le Gouvernement fédéral».

Quant à savoir s’il n’est pas un peu tard, le président du Gouvernement cantonal rappelle que ce volet de l’affaire relève de la justice – «qui est indépendante, et fort heureusement» – et que l’Exécutif a répondu dans les délais qui lui était impartis.

Les politiques approuvent

«Il est tout à fait clair que cette photo n’aurait jamais dû être publiée», a dit mercredi matin la députée libérale-radicale Martine Brunschwig Graf sur les ondes de la Radio Suisse Romande. Sans vouloir parler de la responsabilité du journal, l’ancienne président du Gouvernement genevois a jugé que la responsabilité politique «avait été prise», et «qu’il était très important de le faire».

Pour Christophe Darbellay, président du Parti démocrate-chrétien, «ces excuses sont certainement un bon signal». Et de rappeler que «la publication de ces photos est arrivé au plus mauvais moment, alors que l’on était à deux millimètres d’une solution à la crise».

Autre démocrate-chrétien, Eugen David, président de la commission de politique extérieure de la Chambre haute, juge lui aussi qu’une photo d’identité judicaire «ne devrait pas se retrouver dans les médias».

Pour le sénateur, Genève ne fait pas ici «un geste» envers la Libye, mais «elle traite simplement une affaire d’atteinte à la personnalité». Ainsi, «la Libye peut voir maintenant que chez nous, quand une faute est commise, les tribunaux la corrigent.

Le député écologiste Geri Müller estime lui aussi que «la publication de la photo était illégale» et qu’un dédommagement est une chose normale. Mais comme le socialiste Christian Levrat, il n’admettrait pas si facilement de voir Hannibal Kadhafi dédommagé pour son arrestation. Qui est effectivement une autre affaire…

Prudence

Seule voix discordante: celle de la députée Natalie Rickli, de l’UDC (droite conservatrice), qui voit dans ces excuses et cette indemnisation «une manière de s’agenouiller». Pour elle, il aurait fallu «rester fermes, car c’est la seule attitude possible avec un dictateur».

La publication des photos était pourtant illégale. La député n’en disconvient pas, mais rappelle que «le premier acte criminel, c’est Kadhafi qui l’a commis, en se montrant violent avec ses domestiques. Et c’est là que tout le mal a commencé».

Quant à savoir si ce nouveau développement va accélérer la libération de Max Göldi – que tous appellent de leurs vœux -, les élus restent très prudents. Un sentiment que résume Christophe Darbellay en rappelant que les excuses présentées l’an dernier à Tripoli par Hans-Rudolf Merz, alors président de la Confédération ont appris aux Suisses «à ne pas faire de pronostics».

La Tribune «choquée»

De son côté, la Tribune de Genève se déclare «choquée» par certaines déclarations du Gouvernement genevois contenues dans le mémorandum remis au tribunal. Le quotidien estime «intolérable» d’être condamné par avance et demande que la justice puisse suivre son cours «dans les règles».

«L’Etat est parfaitement libre de reconnaître sa responsabilité dans la fuite des photos d’identité judiciaire d’Hannibal Kadhafi», réagit mercredi le rédacteur en chef Pierre Ruetschi sur le site internet du journal. «Mais cela n’implique évidemment en rien que la Tribune de Genève aurait violé le droit en publiant ces photos ainsi que l’insinue l’Etat de Genève dans son mémoire».

«Cette condamnation par avance est absolument intolérable et met en cause le fonctionnement même de la justice. Car l’action en cours devant les tribunaux vise justement à déterminer sur le plan du droit si le quotidien a agi conformément à la loi ou non en publiant ces photos», ajoute Pierre Ruetschi.

Plainte en décembre

Arrêté en juillet 2008 à Genève avec sa femme sur l’accusation d’avoir maltraité des domestiques, Hannibal Kadhafi a déposé plainte contre l’Etat de Genève et la Tribune de Genève en décembre dernier.

Il demande une indemnité de 100’000 francs pour la publication, le 4 septembre 2009, des photos d’identité judiciaires prises par la police genevoise suite à son arrestation – qui est à l’origine de l’actuelle crise entre la Suisse et la Libye. Mal rasé, les yeux cernés, les cheveux en désordre, il n’y apparaissait pas vraiment à son avantage.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch, avec Corinne Buchser au Palais fédéral et Mohamed Cherif à Genève

La Suisse risque d’entrer dans une spirale de concessions avec la Libye, met en garde Hasni Abidi. Le geste du gouvernement genevois ne répond qu’à une partie des exigences libyennes, relève-t-il.

«D’ailleurs, la Libye déclare sur son site ce matin que le canton de Genève a cédé», a dit mercredi le directeur du Centre d’étude et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERNAM), sur les ondes de la Radio Suisse Romande.

Pour Hasni Abidi, la Suisse est «en position de faiblesse». Et dans ces circonstances, Berne doit garder le soutien d’un pays «très important et respecté de la Libye, l’Allemagne». «Il ne faut pas multiplier les concessions sans avoir la moindre contrepartie», insiste le chercheur.

Amnesty International a lancé mercredi dans le monde entier une action urgente en faveur de la libération immédiate du Suisse Max Göldi par la Libye. Pour l’ONG, la reconnaissance par l’Etat de Genève de sa responsabilité dans la publication des photos d’Hannibal Kadhafi est «un pas supplémentaire vers la résolution de la crise».

Max Göldi est détenu depuis plus de trois semaines dans une prison en Libye, où il purge une peine de quatre mois pour «séjour illégal». Amnesty le considère comme «un prisonnier d’opinion, victime d’une accusation motivée par des raisons politiques et détenu arbitrairement», indique l’ONG dans un communiqué diffusé mercredi.

Durant ces prochains jours, «des milliers de militants dans le monde entier vont s’engager en faveur de la libération immédiate et sans condition de Max Göldi, par des lettres, des fax et des courriels aux autorités libyennes», précise l’organisation. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de l’ONG qu’une action de lettres urgentes est lancée pour un Suisse.

Plus de 14’000 personnes ont déjà signé en Suisse la pétition demandant sa libération. Les signatures ont été transmises la semaine dernière au ministre libyen de la Justice. Amnesty International n’a pour l’instant reçu aucune réponse à cette pétition.

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