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Les Portugais de Suisse sont inquiets

Beaucoup de Portugais travaillant en Suisse sont actifs dans le secteur de la construction. Keystone

Le résultat de la votation de dimanche qui a vu les citoyens suisses accepter une limitation de l’immigration provoque des inquiétudes parmi les Portugais résidant dans le pays. Les associations de Portugais n’ont pas encore réagi officiellement, mais swissinfo.ch s’est entretenu avec l’un de leurs représentants et avec un ancien syndicaliste.

Mercredi, le gouvernement suisse a fixé un délai courant jusqu’en juin pour présenter un plan d’application de l’initiative contre l’immigration de masse approuvé trois jours plus tôt à 20’000 voix près. Le pas suivant sera l’élaboration d’une loi d’application par le ministère de Justice et Police. L’initiative stipule que des mesures contre l’immigration de masse doivent être prises dans un délai de trois ans, mais le gouvernement souhaite agir rapidement.

Aujourd’hui à la retraite, Manuel Beja a passé de nombreuses années en Suisse. En tant qu’ancien syndicaliste, il connaît bien le système de travail saisonnier ainsi que celui des contingents de travailleurs étrangers qui devrait être réintroduit, suite au vote de dimanche.

«Le système des travailleurs saisonniers, qui a été en vigueur en Suisse pendant 60 ans, était très injuste et discriminatoire pour les travailleurs. Les cadres étrangers des grandes entreprises ont toujours été protégés, mais pour les autres, c’était extrêmement difficile», juge-t-il.

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Ce qui pourrait revenir

Le pire du système des contingents était la difficulté de ce que l’on appelle le regroupement familial. Les permis de travail étaient saisonniers et duraient généralement neuf mois. Durant les trois mois restants, les travailleurs retournaient dans leur pays. Les travailleurs étrangers ne pouvaient pas amener leur famille. Cela ne devenait possible qu’après quatre contrats successifs de neuf mois comme travailleur saisonnier et l’obtention d’un permis B.

«Nous allons voir comment sera appliqué le résultat de la votation de dimanche, mais je crains que l’on veuille à nouveau poser des difficultés pour les regroupements des travailleurs étrangers», affirme Antonio Da Cunha, président de la Fédération des associations portugaises de Suisse. Ce dernier a indiqué à swissinfo.ch que jusqu’à présent, les organisations portugaises de Suisse n’avaient pas encore pris officiellement position.

Il existe aussi le problème de voir se développer le problème des travailleurs étrangers clandestins et exploités. «Je me souviens d’avoir assisté des concitoyens qui gagnaient 2 ou 3 francs de l’heure et qui avaient le courage de dénoncer leur patron», déclare Antonio Da Cunha.

Le ministre portugais des Affaires étrangères Rui Machete s’est exprimé mardi sur le «résultat préoccupant» du vote en Suisse.

«La Suisse et un partenaire privilégié et de longue date, mais ce vote représente un revers évident dans les relations entre l’Union européenne et la Suisse et remet en cause la libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services», a-t-il déclaré.

Le ministre a par ailleurs indiqué que le Portugal allait suivre la situation «avec une attention toute spéciale» compte tenu de l’importante communauté portugaise résidant en Suisse.

Paradoxe

Ce dernier, qui est également professeur et spécialiste des questions urbaines à l’Université de Lausanne, rejette certains arguments de ceux qui ont approuvé une limitation de l’immigration. L’un de ces arguments consiste à dire que les immigrés profitant de la libre circulation des personnes occupent les emplois des Suisses. «Le taux de chômage (3,5%) en Suisse continue d’être l’un des plus bas d’Europe. Par conséquent, le contingent idéal est celui de la libre circulation», juge-t-il.

Un autre argument consiste à dire que l’immigration provoquerait une énorme pression sur les transports et le secteur immobilier. «Les transports publics en Suisse sont ponctuels et font partie des meilleurs du monde. Quant au manque de logements dans les grands centres, il s’est peut-être aggravé, mais il existe depuis au moins quinze ans», rétorque Antonio Da Cunha.

Le paradoxe, selon lui, c’est que les régions qui ont le plus d’immigrés, comme la Suisse romande et les grands centres urbains, ont voté contre l’initiative. Alors, comment expliquer ce vote? «Il existe une peur diffuse en Europe, peut-être liée à la mondialisation, et certains partis profitent de cette insécurité avec un discours qui travestit la réalité, ce qui est au fond préoccupant», analyse Antonio Da Cunha.

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Des Portugais pour l’initiative

Il est connu que parmi les Portugais qui ont le droit de vote en Suisse, un certain nombre ont voté en faveur d’une limitation de l’immigration. Comment expliquer ce vote? Pour Manuel Beja, «il est égoïste de voter contre ses propres concitoyens et certains privilégiés d’aujourd’hui ont oublié toute une vie de lutte en faveur d’une vie digne».

Antonio Da Cunha déclare pour sa part qu’il a constaté «autour de lui» des votes favorables à l’initiative. Il considère que les personnes bénéficiant de certains privilèges et d’emplois stables ont tendance «à se protéger de la concurrence des autres», mais que cela peut aussi être vu comme un signal d’intégration dans le pays.

Croisée des chemins

«La libre circulation est avantageuse pour tout le monde, mais maintenant, la situation va être plus compliquée», prédit Manuel Beja. Celui-ci comprend l’existence d’un «certain mécontentement», mais il pense que la Suisse saura trouver un terrain d’entente avec l’Union européenne.

«Nous sommes à la croisée des chemins, juge l’ancien syndicaliste, en faisant référence au délai de trois ans pour la mise en œuvre de l’initiative. Mais avant cela, il sera essentiel d’entendre les communautés de migrants en Suisse.»

Les Portugais représentent la 3e communauté étrangère en Suisse, après les Italiens et les Allemands.

Les premières traces de la présence portugaise en Suisse remontent à la moitié du 20e siècle. Il s’agissait d’étudiants et d’intellectuels qui voulaient échapper au salazarisme. Ils se concentraient surtout dans la région de Genève.

Une première grande vague d’immigrants portugais est arrivée en Suisse dans les années 1980 avec le statut de «saisonniers», c’est-à-dire de travailleurs temporaires, principalement employés dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie et de l’agriculture.

Aujourd’hui, avec l’accord de libre circulation des personnes conclu entre la Suisse et l’Union européenne, les Portugais peuvent librement venir travailler et s’installer en Suisse.

Leur nombre a fortement augmenté au cours des dernières années: ils étaient 196’800 en 2008, 206’000 en 2009, 212’600 en 2010, 223’700 en 2011 et 237’900 en 2012, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. 

(Traduction du portugais: Olivier Pauchard)

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