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Maintenir un canal diplomatique entre ennemis

Policiers anti-émeute en face de la section des intérêts américains au sein de l'ambassade de Suisse à Téhéran, le 13 Septembre 2012. Keystone

L'ancien ambassadeur de Suisse en Iran, où la Suisse défend les intérêts des États-Unis, explique à swissinfo.ch l’intérêt du mandat de puissance protectrice pour la diplomatie helvétique. Un mandat qu’il a exercé à Téhéran de 2004 à 2008.

A la retraite, Philippe Welti revient sur les 4 ans passés en Iran comme ambassadeur de Suisse. Ce poste comporte la représentation des intérêts américains auprès du régime des mollahs. Philippe Welti est ainsi devenu l’un des diplomates les plus en vue de Téhéran.

Philippe Welti nait à Zurich en 1949. Il rejoint le service diplomatique en 1979.

En 1996, il est nommé chef de mission adjoint à l’ambassade de Suisse à Bonn, en Allemagne.

Plus tard, il dirige la Direction de la politique de sécurité du ministère de la défense à Berne et représente fréquemment le ministre de la défense lors des réunions du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA).

De 2004-2008, il est ambassadeur de Suisse en Iran et jusqu’en 2011 ambassadeur en Inde.

Philippe Welti est le père de la chanteuse à succès Sophie Hunger.

swissinfo.ch: Le nombre de mandats de puissance protectrice de la Suisses est en baisse. Pourquoi?

Philippe Welti: De 1940 à 1945 vous avez eu une situation de guerre générale dans le monde – en particulier le monde qui entoure la Suisse. Et c’est dans ce contexte que les bons offices, les mandats de puissance protectrice, sont absolument nécessaires.

Lorsque deux pays se déclarent la guerre, la première chose qu’ils font est de rompre les relations diplomatiques. C’est la plus grosse bêtise qu’ils peuvent faire, mais c’est ce qui arrive toujours. La meilleure chose serait le contraire: si vous êtes en guerre, vous devriez renforcer la voie diplomatique.

Donc, dès que deux pays rompent leurs relations diplomatiques, ils ont besoin d’un tiers pour maintenir un canal avec leur ennemi. Un type de mandat que la Suisse neutre a pu remplir.

swissinfo.ch: Pourquoi le gouvernement suisse poursuit-il la stratégie des bons offices?

P.W.: Tout d’abord, nous voulons être utiles. Si le monde a besoin de bons offices, nous sommes heureux de les fournir. Cela peut paraître naïf, mais c’est vrai.

C’est aussi une bonne occasion de rester dans le champ de vision des autres gouvernements pour quelque chose d’utile, parce que normalement quand les pays sont en guerre les uns avec les autres, les Etats tiers sont marginalisés. Dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, la marginalisation a été dramatique, car elle s’est transformée en une attitude hostile contre la Suisse: «vous n’êtes pas dans notre coalition, un allié, vous devez donc être utile pour les autres». En 1945, après la guerre, le sentiment général envers la Suisse n’était pas si positif, car ce conflit mondial a été considéré comme une guerre morale plus que la Première Guerre mondiale.

Il y a donc toujours un intérêt à fournir des services qui sont utiles à d’autres. Cela renforce notre position: nous ne sommes pas simplement des profiteurs, mais nous essayons d’être utiles.

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Ce contenu a été publié sur Un Etat assume la fonction de puissance protectrice lorsque deux Etats en conflit rompent leurs relations diplomatiques. La puissance protectrice reprend alors une partie des tâches de la représentation ordinaire. Elle représente les intérêts d’un Etat dans un Etat tiers. Elle assure la protection des ressortissants du premier sur le territoire du second. Ses services…

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swissinfo.ch: Donc, les bons offices ont amélioré la réputation de la Suisse?

P.W.: Bien sûr. Ils ont toujours été considérés comme un outil pour améliorer notre réputation.

swissinfo.ch: De 2004 à la fin de l’année 2008 vous étiez ambassadeur à Téhéran, l’une des missions diplomatiques suisses les plus notoires. Quelles ont été les plus grands défis?

PW: Par définition, le mandat de puissance protectrice consiste à exécuter les ordres du pays représenté et rien de plus.

Dans le cas de Cuba, nous représentons les intérêts américains à Cuba et les intérêts cubains aux États-Unis. Dans le cas de l’Iran, ce n’est pas le cas, ce qui est plus normal. Nous nous occupons des intérêts américains. En 1980, les Iraniens ont choisi l’Algérie comme puissance protectrice. Puis l’Iran a annulé ce mandat, pour le remettre au Pakistan. Ainsi, l’ambassade du Pakistan à Washington s’occupe des intérêts iraniens et l’ambassade de Suisse à Téhéran s’occupe des intérêts américains.

Pour être en mesure de fournir un canal de communication, trois conditions doivent être remplies: être en mesure de transmettre les messages 24h/24; la procédure doit être totalement confidentielle; la transmission du message, y compris au niveau oral, doit être totalement impartiale et fidèle au message.

La Suisse a ouvert un consulat à Téhéran en 1919 (devenu ambassade en 1936).

Du fait de sa neutralité, la Suisse a représenté en Iran les intérêts italiens (1946), australiens, canadiens, britanniques, irlandais et néo-zélandais (1952), sud-africains (1952, 1979-1995) et libanais (1984).

Elle a également assumé la représentation des intérêts iraniens auprès des puissances de l’Axe (1941-1946), d’Israël (1958-87), d’Irak (1971-1973) et d’Afrique du Sud (1979-1994).

Depuis 1980, la Suisse assure les intérêts consulaires et diplomatiques des Etats-Unis en Iran, et depuis 1979 ceux de l’Iran en Egypte.

Source : DFAE

swissinfo.ch: La Suisse a joué un rôle significatif dans la libération en 2011 de deux otages américains détenus en Iran.

PW: Je ne parle pas d’otages, mais de personnes arrêtées, parce que ces cas peuvent attirer beaucoup d’attention du public. Ils peuvent mettre le gouvernement américain sous pression domestique. L’affaire qui devrait être fondamentalement consulaire risque ainsi de devenir diplomatique.

swissinfo.ch: Quelle genre de pression s’exerce-t-elle dans ces situations?

PW: Il ne s’agit pas d’une pression morale pour réussir. C’est la pression de faire les choses et parfois d’agir sur une base quotidienne.

swissinfo.ch: Quel regard rétrospectif jetez-vous sur vos années à Téhéran?

PW: Il s’agit de l’apogée de ma carrière en termes d’intérêt. J’en garde de très bons souvenirs, car mon travail était reconnu, tant par Washington que par l’Iran.

Vous voyez, il y a un aspect particulier dans le mandat de puissance protectrice: lorsque le gouvernement américain a demandé au gouvernement suisse s’il était prêt à assumer ce mandat, c’était l’expression d’un très haut degré de confiance envers la diplomatie suisse.

Mais ce n’est jamais qu’une question bilatérale – c’est toujours une affaire trilatérale, car un tel mandat ne peut être effectué que si l’État de résidence, dans ce cas, l’Iran est d’accord. Donc, il a fallu aussi un très haut degré de confiance de l’Iran.

(Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand)

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