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Malgré Fukushima, Obama n’ordonne aucun moratoire

Dans le Vermont, une centrale nucléaire identique à celle de Fukushima. DR

Barack Obama demande une enquête sur la sûreté des centrales nucléaires américaines et maintient que les retombées du Japon ne seront «pas nocives». La réaction du président du pays le plus nucléarisé du monde est moins décisive que celle de la Suisse. Enquête.

Aux premières loges du nuage radioactif en provenance du Japon, les autorités locales d’Hawaï assurent qu’elles ne sont pas inquiètes et qu’en cas de hausse de radioactivité, elles disposent d’assez de comprimés d’iodure de potassium.

En Hawaï comme ailleurs dans l’ouest des Etats-Unis, de nombreux habitants se ruent sur ce produit qui protège la glande thyroïde de certaines radiations.

«Je ne suis pas du tout préoccupée», déclare Theres Ryf Desai, consul honoraire de Suisse à Honolulu. Cette mère de deux adolescents observe cependant que «les pharmacies sont en rupture de stock d’iodure de potassium» et qu’il «doit y avoir beaucoup de gens inquiets».

Relance de nouvelles centrales

A cinq heures d’avion de là, Gene Boscacci, président d’un club suisse de San Francisco, est «préoccupé par de possibles retombées radioactives» et connaît d’autres Californiens qui le sont.

Inquiets ou pas, ces Américains d’origine suisse prônent l’arrêt des centrales nucléaires en service ou de la construction de nouvelles usines relancées l’an dernier par Barack Obama.

«Les risques des centrales nucléaires l’emportent sur leurs avantages, je souhaite qu’on n’en construise plus», dit Gene Boscacci. «Je suis pour l’arrêt de toutes nos usines nucléaires jusqu’à ce que nous en sachions plus sur la situation au Japon», ajoute Theres Ryf Desai.

Mais la réaction de Barack Obama est en retrait face à ces attentes, face au désastre japonais désormais classé comme le plus grave après Tchernobyl, et face aux mesures prises par la Suisse et d’autres pays.

Le nucléaire injustement vilipendé?

Le président américain «demande une étude complète» à l’instance de règlementation, mais n’ordonne aucun moratoire. Il garantit que les Etats-Unis ne recevront pas de «niveaux nocifs de radiation».

Hans Bichsel, chercheur suisse à l’université de l’Etat de Washington, avertit que l’étude annoncée par le président américain «devra faire appel aux plus grands experts hors industrie, comme l’étude qui suivit l’explosion de la navette spatiale» Columbia.

Le physicien s’oppose pourtant à l’abandon de l’énergie nucléaire qui lui semble injustement vilipendée «par un préjugé fondé sur la peur». «On ne peut se passer du nucléaire, vu notre consommation d’énergie, les alternatives qui ne sont pas prêtes et le pétrole et le charbon qui contribuent au réchauffement», affirme Hans Bichsel, selon lequel «la seule solution à long terme est la réduction de la population mondiale».

Mais pour Christoph Ebell, attaché scientifique à l’ambassade de Suisse, «le nucléaire est très différent du charbon ou du gaz naturel car les dégâts causés par un accident sont infiniment plus graves».

Responsabilité unique

Dans le réexamen du nucléaire suscité par le désastre nippon, les Etats-Unis assument en tout cas une responsabilité unique.

Les Etats-Unis sont le pays le plus nucléarisé. Ils ont connu un accident grave, celui de Three Mile Island, en 1979. La plupart de leurs centrales ont été conçues par le constructeur de Fukushima, l’Américain General Electric. Vingt-trois sont du même modèle. Par ailleurs, des centrales américaines sont situées près de failles géologiques.

Éditeur d’un rapport sur Tchernobyl publié par les Annales de l’Académie des Sciences de New York, Janette Sherman considère que Fukushima «peut supplanter Tchernobyl en gravité» et que «la position d’Obama est totalement erronée».

«Il n’y a pas de niveaux inoffensifs de radiation», lance ce médecin toxicologue. «D’importantes quantités de radiation sont libérées par Fukushima, y compris dans les formes les plus toxiques comme le strontium et le césium,  et étant donné ce que nous savons de Tchernobyl et des vents, ces radiations feront le tour de l’hémisphère nord», affirme-t-elle.

Lobbying à Washington

Cette experte doute aussi de la fiabilité du gouvernement américain. «Le nucléaire, c’est beaucoup d’argent et de lobbying à Washington», dit-elle.

Ses doutes sont partagés par Beyond Nuclear. Linda Gunter, porte-parole de cette organisation non gouvernementale, estime que «la mollesse de la réaction d’Obama à la catastrophe japonaise n’est pas une surprise».

«Exelon, le plus gros opérateur privé avec 17 réacteurs, est basé à Chicago, fief d’Obama. L’entreprise a été créée avec l’aide de Rham Emanuel, ancien chef de cabinet d’Obama, et pendant longtemps, le porte-parole d’Exelon fut David Axelrod, conseiller d’Obama chargé de sa campagne présidentielle de 2012. Or ce sont ces gens-là qui ont accès à Obama, pas les mouvements écologistes», déplore Linda Gunter.

Janette Sherman et Beyond Nuclear recommandent aux Etats-Unis de combler leur retard de 30 ans sur l’Europe et de remplacer la part de 20% d’électricité fournie par le nucléaire en investissant lourdement dans les sources renouvelables et les économies d’énergie.

Par ailleurs, Linda Gunter appelle la Maison Blanche à «fermer immédiatement les 23 usines de type Fukushima, de préférence pour toujours».

104 réacteurs nucléaires produisent 20% de l’électricité.

23 sont identiques à ceux de Fukushima.

Certains réacteurs se situent en zone sismique.

Suite à la crise nucléaire nipponne, Barak Obama «ne s’attend pas à ce que des niveaux nocifs de radiation arrivent» aux Etats-Unis.

Il «demande une étude complète» à la Nuclear Regulatory Commission.

Il ne peut pas donner d’ordre à l’instance de règlementation mais il aurait pu ordonner une enquête indépendante par décret.

Scénarios. Au lendemain de la catastrophe nucléaire au Japon, La Suisse a ordonné un réexamen de la sécurité de ses réacteurs, gelé la procédure d’autorisation des 3 projets de nouvelles centrales et inclus un scénario de sortie du nucléaire dans sa réflexion sur l’avenir

Cinq réacteurs.

La Suisse dispose de 5 réacteurs nucléaires qui assurent 40% de ses besoins en électricité.  Le reste provient presque exclusivement des installations hydroélectriques.

Quand? Les Etats-Unis n’ont pas bâti de centrales depuis l’accident de Three Mile Island en 1979.

Propre. Barack Obama a déclaré en 2010 que le nucléaire est «une énergie propre»

Relance. Il a dégagé 8 milliards de dollars pour relancer la construction de centrales nucléaires.

Rallonge. Dans son projet de budget 2012, il demande au Congrès 36 milliards de rallonge.

2030. Son gouvernement examine les candidatures de 11 opérateurs pour la construction de 20 réacteurs d’ici 2030.

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