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Pour mieux traquer l’argent des dictateurs

Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier (assis) et son entourage auraient volé plus de 100 millions de dollars au peuple haïtien, dont une partie a atterri en Suisse. AFP

Avec un nouveau projet de loi, la Suisse pourra prétendre au rang de leader mondial dans la restitution des fonds acquis illicitement par des dictateurs. Explication d’un haut fonctionnaire fédéral.

Valentin Zellweger, nouveau chef de la division Droit international public au ministère des Affaires étrangères, rencontrait la presse internationale mercredi à Genève pour discuter du projet de loi qui doit aider au rapatriement dans leurs pays des fonds illégalement acquis et déposés dans des banques suisses.

Ces 15 dernières années, la Suisse a restitué pour plus de 1,7 milliard de francs déposés par ce que le texte du projet de loi nomme des «personnes politiquement exposées». Selon Valentin Zellweger, cette somme représente la moitié des montants restitués dans le monde.

swissinfo.ch: En quoi la nouvelle loi va-t-elle simplifier le gel et la confiscation des biens illicites des dictateurs dans les banques suisses et leur restitution aux autorités légitimes des pays ?

Valentin Zellweger: Le but de cette loi n’est pas de simplifier les procédures, mais de les compléter. Le dispositif central de ce texte, c’est la possibilité de confisquer sans engager de procédures [criminelles] dans l’autre pays.

Nous agissons sur la base de présomptions très claires. Si, par exemple, on peut prouver une augmentation exorbitante de la fortune d’une personne politiquement exposée et que son pays est connu pour sa pratique de la corruption, nous pouvons demander à la personne de prouver l’origine légale de ces fonds.

swissinfo.ch: Pourquoi a-t-il fallu si longtemps à la Suisse pour en venir à cette nouvelle loi ?

V.Z.: Nos lois actuelles sont efficaces, mais nous sommes de plus en plus confrontés à des Etats défaillants, qui ne peuvent pas contribuer activement à l’assistance judiciaire mutuelle, qui est toujours la base de toute restitution de fonds volés. Cette nouvelle loi permet de faire face à ce phénomène relativement récent.

Comme nous sommes le premier pays à élaborer une loi pareille, je ne pense pas qu’on puisse demander pourquoi cela a pris si longtemps. Les autres pays observent ce que fait la Suisse dans ce domaine, mais autant que je sache, aucun n’a encore bougé.

swissinfo.ch: Quel tort ont causé à la Suisse les affaires Mobutu et Duvalier ?

V.Z.: C’est difficile à évaluer. Nous ne voulons simplement plus de cas de ce genre.

Nous n’avons pas pu régler ces deux cas, parce que les gouvernements respectifs ne voulaient pas nous assister activement, ou n’étaient pas en position de le faire à cause de la faiblesse de leurs institutions. C’est ce que la nouvelle loi veut éviter, afin que l’on puisse rendre les fonds aux populations concernées.

swissinfo.ch: Même avec une loi plus efficace, comment peut-on être sûr que les banques suisses ne sont pas des refuges pour les dictateurs et leurs fortunes mal acquises ?

V.Z.: Aucun pays ne peut en être sûr. Nous sommes la septième place financière au monde, mais le numéro un dans la restitution des fonds. On peut donc dire que la Suisse est un leader dans ce domaine. Mais personne en effet ne peut être sûr, et c’est pourquoi nous promulguons cette nouvelle loi.

Ces dernières années, nous avons mis en place une législation très stricte en matière de blanchiment d’argent. Et elle a prouvé son efficacité, nous avons nettement moins de cas.

Les intermédiaires financiers doivent être très vigilants quand ils reçoivent des fonds et savoir précisément qui est derrière l’argent. S’il détectent le moindre mouvement suspect, ils doivent alerter les autorités.

Il y a eu récemment une étude sur les pays où il est le plus facile d’ouvrir un compte en banque; la Suisse n’était certainement pas dans le haut du classement. Ce qui prouve que le système en place fonctionne.

swissinfo.ch: Certaines ONG suisses reprochent à ce projet de loi d’avoir encore de sérieuses faiblesses et disent que le mécanisme devrait pouvoir s’appliquer même en l’absence de demande d’entraide judiciaire du pays concerné. Elles demandent également une meilleure surveillance des fonds restitués. Quelle est votre position ?

V.Z.: Certains reprochent à la loi de ne pas aller assez loin et d’autres trouvent qu’elle va trop loin. Je pense que nous sommes vraiment au milieu et que nous avons choisi le bon chemin. Nous exigeons l’assistance judiciaire réciproque, parce que si on ne le fait pas, le pays victime n’aura absolument aucune motivation à présenter une demande. Il se dira plutôt «la Suisse fait tout le travail, pourquoi devrions-nous bouger?» Et si nous ne bougeons pas, il dira «la Suisse n’a rien fait».

L’idée est de continuer sur la base d’un système qui a fait ses preuves. Nous n’avons aucun intérêt à le saper, nous voulons le compléter.

Concernant la surveillance, nous partageons les vues de la société civile. Ce point est absolument crucial et nous sommes confiants que le système que nous mettons en place va bien fonctionner. Car il fournira des solutions sur mesure, nous ne voulions pas une solution unique pour tous, qui aurait été difficile à mettre en œuvre.

swissinfo.ch: La nouvelle loi serait-elle applicable aux 5,7 millions de dollars de fonds Duvalier toujours bloqués en Suisse ?

V.Z: C’est difficile à prévoir, puisque la loi passe au Parlement cet été et cet automne. Mais si elle peut s’appliquer aux fonds Duvalier, je pense que le gouvernement va essayer de le faire.

Simon Bradley, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

Mobutu. La nécessité de changer la loi est devenue évidente suite aux affaires des fonds détenus en Suisse par l’ancien président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, et la famille du dictateur haïtien François Duvalier.

Confiscation. La nouvelle loi autorisera le Tribunal administratif fédéral à confisquer les avoirs gelés qui ont été acquis illicitement si le pays concerné n’arrive pas à mettre sur pied une procédure judiciaire de restitution. Ces fonds seraient ensuite utilisés pour financer des programmes bénéfiques à la population sur place.

Entrée en vigueur. Conformément à la nouvelle loi, il incombera au dépositaire de prouver l’origine des fonds, et non aux plaignants de démontrer qu’ils ont été volés. Si la nouvelle loi est acceptée par le Parlement et passe ensuite l’écueil d’un éventuel référendum, elle pourra entrer en vigueur début 2011 au plus tôt.

Marcos, Philippines (1986 – 2003): 684 millions de dollars restitués au pays.

Abacha, Nigéria (1999-2005): 700 millions de dollars restitués au pays.

Montesinos, Pérou (2002-2006): 92 millions de dollars restitués au pays.

Angolagate, Angola (2000-2005): 21 millions de dollars restitués au pays.

Kazakhstan (1999-2007): 84 millions de dollars (60 millions sont toujours gelés)

Salinas, Mexique (1996-2008): 74 millions de dollars restitués au pays.

Mobutu, Congo (1997-2009): 6.7 millions de dollars restitués aux héritiers de Mobutu.

Duvalier, Haiti (1986-2010): 5,7 millions de dollars toujours gelés.

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