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Un enquêteur suisse dénonce les autorités russes

La tombe de Magnitsky à Moscou Keystone

Dans un rapport au Conseil de l'Europe, Andreas Gross a des mots très durs envers Moscou. Le parlementaire suisse accuse les autorités russes d’avoir couvert la persécution et la mort de l’avocat et donneur d’alerte Sergueï Magnitski, qui avait dénoncé des fraudes massives.

«Nous ne devons pas permettre que des fonctionnaires corrompus pillent les deniers de l’Etat, tout en réduisant brutalement au silence, en toute impunité, ceux qui se mettent en travers de leur chemin», conclut Andreas Gros à la fin du premier rapport indépendant et approfondi sur cette affaire. Un rapport de 48 pages intitulé Refuser l’impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski.

La dissimulation de la mort de Magnitski durant sa détention en novembre 2009 ainsi que des crimes qu’il avait essayé de mettre en lumière doivent faire l’objet d’une enquête et «les coupables doivent être amenés à rendre compte de leurs actes», ajoute le rapporteur. Nommé pour faire la lumière sur ce cas en novembre 2012, Andreas Gross a présenté les résultats de six mois de travail mardi devant la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Bill Browder, ancien client de Magnitski qui a lancé une campagne mondiale pour que justice soit faite sur la mort de l’avocat fiscaliste et qui fait lui-même l’objet d’un procès en Russie, a salué ce rapport. «C’est une analyse détaillée et objective qui contredit presque mot à mot la prise de position du gouvernement russe à propos du meurtre de Sergueï Magnitski», affirme-t-il.

Avocat fiscaliste, Sergueï Magnitski découvre en 2007 une vaste fraude fiscale estimée à 230 millions de dollars, impliquant le vol des sociétés appartenant à son client Bill Browder, un temps l’un des plus importants investisseurs étrangers en Russie, avec sa société Hermitage Capital Management.

Arrêté et placé en détention provisoire pendant 358 jours, victime de mauvais traitements et privé de soins médicaux, Sergueï Magnitski trouve la mort dans une cellule de la prison de Moscou le 16 novembre 2009.

Les modifications apportées à son acte de décès, le refus d’accorder – à la demande de la famille  – une autopsie indépendante finissent par attirer l’attention des médias internationaux et le lancement d’une enquête judiciaire.

A ce jour, personne n’a été condamné dans l’affaire Magnitski.

swissinfo.ch

Gigantesque vol

En 2007, Magnitski a découvert la plus vaste fraude fiscale de l’histoire russe (230 millions de dollars), impliquant le vol de sociétés appartenant à Bill Browder, qui avait été l’un des plus heureux investisseurs étrangers en Russie avec sa société Hermitage Capital Management. «Sergueï Magnitski avait dénoncé un vol gigantesque dont la victime était la Russie elle-même. Il est mort parce qu’il a refusé de céder aux pressions exercées par des fonctionnaires corrompus afin d’échapper aux conséquences de leurs crimes», écrit notamment Andreas Gross dans son rapport.

 

«Pourquoi l’Etat russe se donne-t-il tant de peine, jusqu’à un niveau si élevé, pour dissimuler ce crime?» s’est interrogé le parlementaire suisse, qui est aussi président du groupe socialiste de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Après discussion mardi à Strasbourg, la commission a décidé de déclassifier le projet de rapport et invité les parties concernées – dont les autorités russes – à le commenter en vue de l’approbation d’une résolution basée sur le rapport lors de sa réunion du 4 septembre prochain. «Nous aimerions entendre une réponse [russe] plus proche de la vérité, et non pas celle qui essaye de la dissimiler», a-t-il ajouté pour swissinfo.ch.

Moscou a rejeté à plusieurs reprises les allégations contenues dans le rapport. Alexeï Pouchkov, responsable de la commission des affaires internationales du Parlement russe, a déclaré que la partie russe n’était pas satisfaite du rapport d’Andreas Gross, selon l’agence de presse RIA-Novosti. Pouchkov a précisé que «le rapport lui-même est le résultat des convictions politiques qui prévalent à l’Ouest sur ce sujet» et contient un certain nombre d’«inexactitudes factuelles».

Explications «douteuses»

Suite à des missions d’enquête en Russie, à Chypre, en Suisse et en Grande-Bretagne, ainsi que des entretiens avec des parties-clés, le politicien suisse a qualifié de «peu convaincante» et de «douteuses» les explications offertes par les autorités russes pour disculper les agissements de leurs fonctionnaires qui ont effectué des vols et en ont ensuite rejeté la responsabilité sur Sergueï Magnitski lui-même, après sa mort, pour les crimes qu’il avait pourtant découverts.

Les traces des fortunes liées à l’affaire Magnitski ont condut en Suisse. En janvier, le Ministère public de la Confédération a annoncé le gel de comptes supplémentaires, dans le cadre de son enquête pour blanchiment d’argent par des «personnes inconnues». Mercredi, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté un appel et donné son feu vert à la transmission de données bancaires aux autorités russes. (Voir ci-contre).

Quant à la mort de Magnitski durant sa détention, Andreas Gross considère comme inacceptable la position officielle de la Russie, selon laquelle elle était la conséquence tragique de son incapacité à résister aux rigueurs de la détention.

Le député suisse a fourni aux autorités russes une liste détaillée de membres du personnel médical et carcéral auxquels il souhaitait parler et qui avaient été mentionnés dans une première enquête russe. Cependant, malgré plusieurs tentatives de sa part, ces entretiens n’ont jamais pu avoir lieu.

Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a annoncé mercredi son feu vert à la transmission de données bancaires aux autorités russes dans le cadre de l’affaire Magnitski.

Ces renseignements concernent un compte d’une société liée à Alexander Perepilichnyy, mort le 10 novembre dernier à Londres dans des circonstances troublantes.

Cet homme de 44 ans était considéré comme l’un des témoins-clé de l’affaire. Des sommes importantes ont été bloquées sur ordre du Ministère public de la Confédération auprès de Credit Suisse et d’autres établissements bancaires.

ATS

Accusations posthumes

Magnitski fait actuellement l’objet d’accusations posthumes sans précédent, affirmant qu’il était l’auteur de la fraude fiscale alors qu’on sait aujourd’hui que c’est lui qui l’a découverte. Ces charges, qui ont aussi été prononcées contre son client Bill Browder par contumace, sont «sans fondement légal», selon Andreas Gross.

Le rapport indique que preuve est faite que les mêmes personnes et fonctionnaires ont été impliqués dans une série de prélèvements d’argent public russe au cours d’une longue période, tant avant qu’après le vol de 230 millions de dollars, en utilisant les mêmes bureaux moscovites du fisc.

«Ce qui pèse très fortement contre l’accusation de fraude fiscale de 230 millions de dollars contre Sergei Magnitski lui-même est le fait que des faits semblables ont été commis avant et après l’arrestation de M. Magnitski, et même après sa mort», dit le rapport.

Son auteur conclut: «je suis personnellement convaincu que ce crime n’a été commis, ni aidé ou incité en aucune façon par M. Magnitski, mais par un groupe de criminels, y compris les personnes qu’il avait accusées avant que ces personnes le mettent en prison, où il est mort».

Concernant les nouvelles accusations de «vol» d’actions de Gazprom Hermitage Capital émises par le gouvernement russe, Andreas Gross estime qu’il s’agit là d’un exemple de «justice sélective» et motivée par la politique.

Impunité

Le rapport qualifie d’«inacceptable» l’impunité des responsables de la mort de M. Magnitski et du vol massif de fonds publics que celui-ci avait dénoncé. Il relève que son rapport a pour objectif de «contribuer à mieux protéger à l’avenir les particuliers contre les actes illégaux des agents publics».

L’affaire continue d’avoir des répercussions internationales. Conformément à la Loi Magnitski, les États-Unis ont imposé des interdictions de visa et gelé les avoirs de 18 Russes ayant des liens avec les délits présumés. Moscou a riposté en interdisant l’adoption d’enfants russes par des citoyens américains.

De son côté, Bill Browder est convaincu que les détails sur la gestion de l’affaire Magnitski par le gouvernement russe sont si convaincants qu’ «ils donneront une nouvelle impulsion à divers États membres de l’Union européenne pour insister en faveur de sanctions.

Mais Andreas Gross n’est pas favorable à des sanctions individuelles. «Les sanctions sont la réponse la plus primitive que nous ayons après l’action militaire», a-t-il confié à swissinfo.ch. «Cette approche est trop facile. Notre but est d’améliorer la vie quotidienne des citoyens russes, d’assurer que les impôts sont utilisés pour leur assurer des services essentiels et ne leur soient pas volés. L’idée n’est pas seulement de voir punir les responsables, mais d’empêcher que ce genre de persécution ne se répète à nouveau.»

Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger

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