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L’ombre de l’affaire Magnitsky atteint la Suisse

Natalia Magnitskaya, la mère de Sergei Magnitsky, tient une photo de son fils mort en prison au cours d’une interview à Moscou. Keystone

L’affaire Sergei Magnitsky, du nom d’un avocat anti-corruption mort dans une prison moscovite, prend une ampleur internationale. Des activistes ont retrouvé des traces financières en Suisse.

En 2007, lorsqu’il travaillait pour un bureau d’avocats américains à Moscou, Sergei Magnitsky avait mis à jour la plus grande fraude fiscale de l’histoire russe, incluant le vol de compagnies appartenant à son client, Bill Browder, un investisseur qui avait eu beaucoup de succès en Russie avec sa société Hermitage Capital Management. 

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La Suisse attire toujours l’argent sale

Ce contenu a été publié sur L’année 2013 a commencé par plusieurs annonces du Ministère public de la Confédération (MPC) concernant le gel de certains avoirs en Suisse. Outre l’affaire concernant l’enquête sur un cas de fraude fiscale russe qui avait été révélée par l’avocat – décédé – Sergueï Magnitsky, le Fonds Bruno Manser – du nom d’un activiste écologiste suisse…

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Arrêté par erreur, l’avocat de 37 ans a été maintenu en détention préventive pendant 11 mois. Il est établi qu’il a été torturé et qu’il n’a pas été soigné. Sergei Magnitsky est mort en prison en novembre 2009.

C’est la version à laquelle croient les Etats-Unis, le Parlement européen, Amnesty International et l’opposition russe. En revanche, les autorités russes continuent à vouloir juger l’avocat, même de façon posthume. Une audience préliminaire doit avoir lieu le 28 janvier.

Contactée par swissinfo.ch, l’ambassade russe à Berne a refusé de s’exprimer sur le volet suisse de l’enquête Magnitsky et sur les récents développements.

Au début de l’année, le Ministère public suisse a de son côté annoncé qu’il gelait des fonds supplémentaires en relation avec une enquête pour affaire de blanchiment menée contre inconnu dans l’affaire Magnitsky. Il s’agit de la première mesure publique depuis le gel des avoirs en mars 2011.

«De nouvelles découvertes requièrent sans cesse de nouveaux examens», a indiqué le Ministère public. Le gouvernement russe n’a pas commenté officiellement la décision du parquet fédéral.

La FINMA, qui devra se prononcer, n’a pas non plus souhaité s’exprimer sur l’affaire Magnitsky. «Nous traitons le cas de manière appropriée», se borne à indiquer l’autorité de surveillance des marchés financiers.

«Suivre l’argent»

La piste des 214 millions de francs suisses de rabais fiscaux frauduleux découverts par l’avocat décédé a été suivie par Bill Browder. «Si nous ne pouvons obtenir que justice soit faite en Russie, nous recherchons au moins une sorte de justice hors de Russie. C’est pourquoi nous devons suivre l’argent», a expliqué Bill Browder à swissinfo.ch.

Résultat: «Pendant trois ans et avec différents enquêteurs, journalistes et autres personnes ayant accès à des informations bancaires et financières, nous avons réussi à retrouver 135 des 230 millions de dollars.» Une des sources de Bill Browder, également interrogée par les enquêteurs suisses, était Alexander Perepilichnyy. Agé de 44 ans, ce dernier est décédé dans des circonstances inexpliquées à Londres en novembre 2012. Le Ministère public suisse indique «que notre force réside dans notre capacité à minimiser l’influence de tels événements, regrettables, sur notre enquête.»

Alexander Perepilichnyy avait pris contact avec Bill Browder en été 2010. «Il nous a fourni des documents prouvant qu’environ huit millions d’euros avaient été versés sur des comptes de membres de la famille de la femme travaillant pour les autorités fiscales russes qui avait approuvé la plus grande part des rabais fiscaux illégaux. L’argent a fini sur un compte du Credit Suisse de Zurich.»

Ces informations ont abouti au dépôt d’une plainte pénale à Berne en janvier 2011. Des plaintes similaires pour blanchiment d’argent ont été déposées dans sept autres pays – Lituanie, Lettonie, Estonie, Finlande, Chypre, Autriche et Hong Kong. 

Né aux Etats-Unis, Bill Browder est le petit-fils d’un secrétaire général du parti communiste américain. Son père est né en Russie.

Il s’est établi en Russie en 1996, où il a dirigé le fond d’investissement Hermitage Capital Management.

«A l’adolescence, je me suis demandé quelle était la meilleure façon de me révolter contre une famille de communistes. J’ai donc mis un costume et suis devenu capitaliste», explique-t-il.

Hermitage Capital Management a subi de nombreux coups durs jusqu’en 2005, année où Bill Browder fut expulsé du pays sans avertissement.

Durant son absence, la police du ministère de l’intérieur vida ses bureaux. Les documents saisis ont servi à «voler» les entreprises de Bill Browder, à l’instar d’un vol d’identité. Ce sont ces compagnies qui ont assuré, plus tard, les rabais fiscaux frauduleux.

L’avocat moscovite Sergei Magnitsky a découvert la fraude et l’a dénoncée aux autorités russes, au nom de Bill Browder, ce qui lui a probablement coûté la vie.

Désormais citoyen britannique, Bill Browder continue à diriger Hermitage Capital Management, un fond d’investissement spécialisé dans les marchés émergents, sauf la Russie.

Il a également contribué à la création du site internet «Russian untouchables – Justice for Sergei Magnitsky».

Mini guerre froide

Entretemps, le cas continue de perturber les relations entre les Etats-Unis et la Russie. Sous l’impulsion de Bill Browder, les deux pays ont signé un «Magnitsky Act» en décembre dernier aux Etats-Unis. Il impose le gel des avoir et l’interdiction de visa pour 60 Russes qui seraient impliqués dans la mort de l’avocat.

Pour le président russe Vladimir Poutine, ce traité est «inamical». En réaction, il a fait passer une loi interdisant aux citoyens américains d’adopter des enfants russes. La Russie a aussi établi une liste de 60 Américains interdits de visa.

L’affaire est loin d’être close, si l’on en croit les objectifs de Bill Browder: «Nous espérons que le traité sera adopté par une instance européenne en 2013, annonce-t-il. Notre autre objectif est l’ouverture d’une enquête pénale dans tous les pays où l’argent a été versé et que tous les fonds concernés soient gelés.»

En octobre 2012, le Parlement européen a adopté une résolution demandant au Conseil des ministres de dresser une liste des «responsables de la mort de M. Magnitsky en prison, des obstacles mis par la suite à l’enquête et du harcèlement de sa famille». Une interdiction de visa dans les pays de l’Union européenne pourrait être adopté à l’encontre de ces responsables, et leurs avoirs devraient être gelés, de même que ceux de leurs familles.  

En Suisse, l’affaire Magnitsky n’a pas encore fait beaucoup de vagues dans le monde politique.

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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