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Pour les «Bleus» ou pour la défaite des «Bleus»?

Reuters

Comme leurs concitoyens alémaniques et italophones, les Romands n'ont plus de Nati à soutenir dans le cadre de l'Euro de football. Alors, les Français? Ce n'est pas gagné...

«Quand les Italiens ou les Portugais jouent – perdu ou gagné – l’émotion sort. Le lendemain, à l’usine, on passe à autre chose, assure Marc. Avec les Français, c’est soit: «On est les meilleurs» pendant des semaines, soit: «C’était la faute de l’arbitre, du terrain, mais c’est nous les meilleurs».

Le sentiment de cet ouvrier romand n’est pas généralisable. Et les Suisses francophones n’ont pas en grippe leurs cousins d’outre-frontière, chez lesquels ils vont souvent passer leurs vacances.

Mais chacun, dans la partie francophone du pays, a au moins observé une fois ce genre de regard en coin sur un «grand frère» à la fois plus capé en matière de football et moins «sceptique» à l’égard de ses capacités.

«On est agacé par l’arrogance de la France, estime l’ethnologue Jacques Hainard. Arrogante par rapport aux Suisses romands, mais par rapport aux autres aussi. Elle ne parle que d’elle-même. Dans le sport, comme dans la culture, ce nombrilisme hexagonal est très clair.»

Une bonne raclée

Pour le directeur du Musée d’ethnographie de Genève, les Romands amoureux de foot, «au fond de leur cœur, ont sans doute envie que les Français ramassent une raclée, histoire qu’ils apprennent un peu la modestie.»

Cette tentation est renforcée par «la manière» adoptée par les «Bleus». Si on les regarde «avec un peu de distance», c’est qu’à l’arrogance, ils semblent ajouter une manque d’inclination «à mouiller le maillot» et un «talent de commediante qui exaspère les Romands, un peu timorés, comme généralement on l’est en Suisse».

Commediante? «Ils se cachent. On a vu l’entraîneur imaginer des stratégies pour échapper à la presse, même française, en allant s’entraîner ailleurs.»

Tout le monde ne partage pas ces vues. Ce sentiment négatif des Romands à l’égard des footballeurs français? «Une invention de journaliste! Je ne suis vraiment pas sûr qu’il y a là matière à sociologie», estime Christophe Jaccoud, professeur au centre international d’étude du sport à Neuchâtel.

La question de la relation de la «petite» Suisse vis à vis de la «grande» France a été traitée en sociologie culturelle. Dans son journal, l’écrivain Ramuz estimait déjà qu’un accent romand impliquait d’être traité de manière cruelle en France.

«On est toujours les provinciaux de quelqu’un, note le sociologue du sport. Des romanciers et des spécialistes de la littérature ont traité ce thème. Les Suisses allemands disent d’ailleurs la même chose face à leur grand voisin germanique: ils sont comme nous et, en même temps, ils nous font toujours la leçon.»

«Mais par rapport à l’actualité sportive, précise Christophe Jaccoud, je reste très dubitatif. Je ne pense pas que ce soit si incarné que cela.»

Ailleurs, même topo

Entre rivalité et admiration, ce regard peu compatissant des Suisses francophones sur les «Bleus» se retrouverait dans les autres régions helvétiques face à leurs voisins footballeurs de même langue.

C’est en tout cas ce qu’assure Markus Lamprecht. Le sociologue alémanique rappelle que l’équipe de Suisse de football ne s’est guère illustrée ces trente dernières années dans les grandes compétitions.

A défaut de soutenir leur équipe, puisque le rapport au football est avant tout émotionnel, une partie des Suisses alémaniques ont au moins leurs cousins allemands à décrier.

«Les Tessinois ne sont pas contre les Allemands, mais contre l’équipe nationale d’Italie, constate Markus Lamprecht. L’effet est le même là-bas.»

Pas convaincu, Christophe Jaccoud. «Il faudrait en discuter avec un spécialiste du comportement animal! Je suis loin de penser que les hommes ne sont faits que de désirs et de haine. Les choses sont infiniment plus compliquées.»

Ceci dit, le football reste un jeu où vingt deux joueurs s’affrontent et l’Allemagne gagne à la fin. Alors pourquoi s’exciter?

swissinfo, Pierre-François Besson

L’équipe la plus sympathique pour les Romands? Le Portugal, pour 24% d’entre eux, et pour 20% de l’ensemble des Suisses, selon un sondage du Matin Dimanche portant sur 504 personnes.

Dans les goûts des Romands, viennent ensuite la Hollande (19% – 18% des Suisses), l’Italie (11% – 11%), l’Espagne (9% – 7%) et l’Allemagne (6% – 6%).

La Turquie est l’équipe la moins appréciée des Romands (32%) comme des Suisses (24%). Suit la France, antipathique pour 22% des Romands mais seulement 8% de l’ensemble des Suisses. L’Allemagne par contre déplait à 6% des Romands mais à 19% des Alémaniques…

158’220 Français sont immatriculés auprès des consulats. Parmi eux, presque deux tiers de doubles-nationaux.

Problème: l’immatriculation n’est pas obligatoire. L’ambassade de France estime à 200’000 le nombre des Français établis en Suisse.

L’essentiel de ces Français est de souche ancienne et probablement originaire des régions frontalières de la Suisse, Rhône-Alpes et Jura.

Plus de la moitié des 180’000 frontaliers (2006) travaillant en Suisse sont également des Français.

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