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La gratitude de Khodorkovski pour la justice suisse

Amaigri et le crâne rasé, Mikhaïl Khodorkovski a affronté des centaines de journalistes, dimanche à Berlin. Keystone

En témoignant de sa reconnaissance envers la justice suisse, Mikhaïl Khodorkovski a rallumé les projecteurs sur l’affaire Ioukos, au centre du bras de fer dans les années 2000 entre le Kremlin et l’ex-oligarque. Les spéculations vont bon train sur la fortune de l’ancien milliardaire et sur les sommes encore présentes dans les coffres suisses.

«Je ne suis pas au fait de tous les détails de ma libération. Mais je suis reconnaissant envers la Suisse, parce que l’affaire Ioukos y a été traitée pour la première fois de manière approfondie et au plus haut niveau par la justice, qui a déclaré que c’était une affaire politique. Et qu’elle n’accorderait pas l’entraide judiciaire à la Russie.» C’est en ces termes que Mikhaïl Khodorkovski a répondu à swissinfo.ch, lors de sa conférence de presse dimanche à Berlin.

Mikhaïl Khodorkovski a déposé mardi à l’ambassade suisse de Berlin une demande de visa Schengen valable trois mois.

L’ambassade «est en contact avec l’Office fédéral des migrations (OFM) pour la traiter», a précisé un porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Certains éléments indiqueraient qu’il pourrait s’installer en Suisse, où ses fils jumeaux sont scolarisés.

Mais un porte-parole de M. Khodorkovski a indiqué qu’«aucune décision n’avait été prise sur de quelconques plans à long terme».

(Sources: ats et dpa)

Saluant cette libération «après plus de dix ans d’injustice», Robert Amsterdam, ancien responsable (2002-2009) de l’équipe internationale d’avocats de l’ancien oligarque a écrit sur son blog dimanche: «Quand Khodorkovski a été arrêté en 2003, l’événement a mis en mouvement une série de processus impliquant le Kremlin dans le négoce d’énergie, institutionnalisant la corruption comme principe d’organisation et transformant le système judiciaire en arme personnelle. Clairement, sa sortie de prison n’efface pas cette histoire, mais c’est une étape positive.»

La saga suisse de Ioukos

L’histoire ramène à la saga judiciaire suisse autour de la société pétrolière Ioukos, acquise en 1995 par Mikhaïl Khodorkovski pour 350 millions de dollars. En mars 2004, le Ministère public de la Confédération (MPC) avait annoncé le blocage des biens déposés en Suisse par les dirigeants de l’ancien géant pétrolier, accusés de fraude et de blanchiment. Selon l’agence russe Interfax, la somme atteignait 6,2 milliards de francs. Trois mois plus tard, le Tribunal fédéral (TF) révoquait partiellement la décision du MPC pour violation du principe de proportionnalité.

Entre 2006 et 2007, le TF a accepté des recours contre les décisions du MPC. La cour avait estimé qu’on ne peut pas accorder une entraide judiciaire à la Russie en raison de la complexité du dossier, de l’importance inégalée des sommes en jeu et de questions relatives aux droits humains.

Dans un verdict d’août 2007, le TF écrit que l’entraide judiciaire ne peut pas être accordée car tous les éléments du dossier «corroborent clairement le soupçon que la procédure pénale qui a été ouverte à Moscou est instrumentalisée par le pouvoir».

Une décision qui s’est avérée sage, selon certains spécialistes. «Dans le cas particulier, le TF a pris la bonne décision. Il a vu venir le vent, un vent qui soufflait déjà assez fort, avec une résolution du Conseil de l’Europe et l’intervention du ministre allemand de la justice de l’époque», selon une source judiciaire qui ne souhaite pas être nommée.

En ce qui concerne la fortune personnelle en Suisse de l’ancien magnat du pétrole, elle est sujette à maintes conjectures. Des journaux russes l’estiment à 250 millions de francs, mais d’autres sources parlent de 100 à 150 millions.

Né le 26 juin 1963 dans une famille juive de parents chimistes. Il rejoint les Jeunesses communistes pour intégrer l’Institut Mendeleïev.

1989: après ses études d’ingénieur chimiste, il fonde le Centre de création scientifico-technique, qui vend de la littérature scientifique et importe des ordinateurs. La structure se transforme en banque, la Menatep, en 1988, basée à Genève.

1995: rachète 78% de la société pétrolière Ioukos pour 350 millions de dollars.

2002: Ioukos révèle la structure de son capital, détenu à 60% par la Menatep, dont Khodorkovski contrôle près de 60%.

2003: arrêté et condamné en 2005 à huit ans de bagne pour «évasion fiscale» ainsi que son partenaire Platon Lebedev Selon le magazine américain Forbes, il pèse alors 15 milliards de dollars, somme qui descendra à 2 milliards une fois son empire démantelé.

2010: alors que sa libération est proche, un 2e procès le condamne à 6 ans supplémentaires. Entretemps, Ioukos a été absorbée par Rosneft, dirigée par un fidèle du Kremlin.

2011: la Cour européenne des droits de l’homme admet que «les droits fondamentaux de l’homme d’affaires ont été violés», mais refuse d’admettre les liens politiques avec l’affaire.

20.12.2013: libéré après avoir été gracié par le président Vladimir Poutine. Il est encore sous le coup d’une condamnation au civil à payer 550 millions de dollars au fisc russe.

(Sources: Forbes et Le Monde)

Autres liens avec la Suisse

Dimanche, Mikhaïl Khodorkovski a également exprimé sa reconnaissance envers le député socialiste suisse Andreas Gross qui, en tant que rapporteur de lAssemblée parlementaire du Conseil de l’ Europe, lui avait rendu visite en prison il y a trois ans, visite qui «a permis que mes conditions de détention n’empirent pas».

A noter que le même Andreas Gross a indiqué lundi à la radio publique suisse RTS que l’ancien oligarque pourrait s’installer en Suisse. En effet, son épouse Inna habite la Suisse et leur fille Anastasia a étudié de 2009 à 2011 au Lycée Alpinum privé de Zuoz, dans les Grisons, selon Der Bund. Son ancien professeur d’allemand, Ulrich Schweizer, précise au journal bernois que la jeune femme, âgée aujourd’hui de 23 ans, étudie la psychologie sociale à Moscou. Il ajoute qu‘Inna Khodorkovskaïa lui avait confié il y a trois ans que, «si Mikhaïl était né dans un pays normal, comme la Suisse, rien de tout de cela n’aurait eu lieu».

«Trop fier» pour quitter la Russie

L’une des dernières sorties publiques de Mikhaïl Khodorkovski a été le 1er Août 2003 à la réception organisée pour la Fête nationale par l’ambassade de Suisse à Moscou. L’ambassadeur de l’époque Walter Fetscherin raconte dans la NZZ am Sonntag que lui-même et trois autres ambassadeurs étrangers l’auraient averti durant cette période qu’il «était en grand danger» et qu’il lui fallait quitter la Russie, mais que «sa fierté ne lui a pas permis d’obéir».

Saluant ce «beau moment à savourer en famille, l’avocat Robert Amsterdam ajoute: «Ce qui va advenir de lui, seul Khodorkovski peut le définir, mais pour le sort de la Russie, ce serait une honte de ne pas le laisser embrasser les principes fermes et les valeurs qui l’ont guidé là où il est maintenant.»

Mais le héros du jour a précisé qu’il ne voulait pas s’engager en politique contre le Kremlin. Il n’entend pas plus retourner en Russie pour l’instant, car il y est encore sous le coup d’une condamnation au civil à payer 550 millions de dollars au fisc russe. Il a également insisté pour réaffirmer qu’aucune condition n’avait été posée à sa remise en liberté et qu’il n’avait en rien reconnu sa culpabilité en acceptant la grâce présidentielle.

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