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L’égalité chez les tout-petits ou pas du tout

Dans les livres pour enfants, les héros (comme Yakari) sont beaucoup plus nombreux que les héroïnes. www.derib.com

Jeudi, la 5e Journée nationale des filles verra des dizaines de milliers d'écolières accompagner leur père ou leur mère au travail.

Cette journée est très utile, selon la psychologue genevoise Anne Dafflon Novelle, pour inciter les filles à choisir une profession hors des sentiers battus.

swissinfo: La Journée nationale des filles est-elle utile pour faire évoluer les mentalités?

Anne Dafflon Novelle: Oui, d’abord cette journée vise à montrer aux filles qu’il est important de faire un choix professionnel. Ce n’est pas toujours le cas et on trouve plus de filles qui n’ont pas de formation.

Ensuite, il s’agit de les inciter à acquérir une formation professionnelle en dehors des sentiers battus.

swissinfo: Pour changer les choses, vous préconisez qu’il faut commencer par les tout petits…

A. D. N.: Oui, c’est essentiel de commencer la discussion sur l’égalité des sexes avec de jeunes enfants. Cela ne se fait pas dans les écoles suisses alors que c’est le cas par exemple au Canada.

swissinfo: Mais la majorité des enseignants de la petite enfance sont des femmes, c’est un peu contradictoire?

A. D. N.: Vous avez raison, la recherche a d’ailleurs mis en évidence une évolution en termes de représentations. Les gens vous affirment qu’ils éduquent leurs enfants de manière égalitaire.

Mais dans la réalité, les enfants sont encouragés à agir en fonction de leur propre sexe, avec des activités conformes aux attentes de la société.

On constate que les garçons sont nettement plus découragés que les filles à faire quelque chose d’étiqueté «fille». Une petite fille n’aura pas de problème à recevoir un train électrique, mais pour que le garçon reçoive une poupée, cela va coincer dans la famille.

Plus tard, cela s’inverse. La fille aura à son tour plus de mal qu’un garçon à trouver une place d’apprentie mécanicienne qu’un garçon qui souhaiterait travailler dans l’éducation.

swissinfo: En analysant la littérature enfantine, vous avez découvert que les schémas véhiculés ne sortent pas des sentiers battus…

A. D. N.: Non. Par exemple, dans la littérature enfantine, on ne trouve pas de maman qui travaille et les femmes qui exercent une profession ont des activités excessivement stéréotypées alors que, dans la réalité, les trois-quarts des mères travaillent.

swissinfo: Mais n’y a-t-il pas beaucoup d’auteures dans la littérature pour la jeunesse? Elles seraient donc «complices» dans la reproduction des clichés?

A. D. N.: C’est vrai! Globalement, la littérature pour l’enfance et la jeunesse compte davantage d’écrivains et d’illustrateurs. Mais dans la tranche des 0 à 3 ans, on trouve une majorité de femmes.

Or, dans mes recherches, je me suis rendu compte que les hommes aussi bien que les femmes donnent des descriptions extrêmement stéréotypées des deux sexes. Il n’y a pas, comme je m’y étais attendue, ce fameux favoritisme intragroupe des femmes qui mettraient en scène davantage d’héroïnes.

On trouve deux fois plus de héros garçons que filles. Dans les livres pour les 3 à 6 ans, les figures masculines sont mêmes dix fois plus nombreuses.

En plus, les personnages de garçons sont présentés de manière beaucoup plus valorisée et ils ont toujours le beau rôle.

swissinfo: Il faudrait donc former les auteurs?

A. D. N.: J’ai une autre piste du côté des éditeurs. Je me demande dans quelle mesure ils n’auraient pas intérêt à proposer des héros plutôt que des héroïnes puisqu’en fin de compte les acheteurs sont les adultes.

Et c’est là qu’on retrouve le schéma qui veut qu’on n’offre pas un livre avec une héroïne à un garçon. D’un point de vue commercial, on a donc plus de chance de vendre des livres avec des héros plutôt que des héroïnes.

Par contre, on trouve une majorité d’héroïnes dans les livres pour adolescents. Cette différence s’explique parce que les filles lisent plus que les garçons à cet âge. Comme ce sont elles qui achètent leurs livres, elles choisiront des personnages de leur propre sexe et mon hypothèse est que les éditeurs se sont adaptés à cette cible commerciale.

Pour la petite histoire, j’ai envoyé mes publications à certains éditeurs, mais aucun ne m’a jamais répondu…

Interview swissinfo, Isabelle Eichenberger

– Docteure en psychologie, Anne Dafflon Novelle est collaboratrice scientifique et membre de la commission de l’égalité de la faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève.

– Dans ce cadre, elle mène une enquête sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans la poursuite d’une carrière académique.

– Elle enseigne à l’Ecole d’éducateurs et d’éducatrices du jeune enfant à Genève, à l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne et à l’Université de Neuchâtel.

– Elle a publié de nombreuses recherches sur les représentations du masculin et du féminin véhiculées dans les livres pour les enfants.

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