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Mission antarctique (1)

Le 2041, prêt à appareiller pour les Shetland du Sud. Mission Antarctica

Avant que l'Antarctique ne devienne une vaste poubelle, des expéditions internationales jouent les éboueurs de la banquise. swissinfo s'est embarqué pour le cercle polaire.

Monde de glace, de neige et de beauté aussi sauvage qu’inhospitalière, le sixième continent n’appartient à personne. Officiellement, l’Antarctique est administré par les 44 nations signataires du Traité antarctique et de son protocole environnemental.

Comme d’autres, «Mission Antarctica» s’est donné pour but de préserver les dernières terres vierges de la planète afin d’en faire une réserve naturelle, dédiée à la paix et à la science. Elle bénéficie du soutien de sponsors importants, comme British Telecom, Cadbury Schweppes, la fiduciaire Merrill Lynch ou les assurances Royal & SunAlliance.

Sans oublier Serono, leader suisse des biotechnologies, dont le patron, Ernesto Bertarelli, grand passionné de voile, a délégué deux de ses collaborateurs pour la mission qui s’est terminée en février, à la fin du bref été antarctique. Son but: évacuer mille tonnes de déchets de la base russe de Bellingshausen, sur l’Ile du Roi George, à l’extrémité de la péninsule qui pointe comme un doigt en direction de la Terre de Feu.

Cloués au sol

Tout commence à Punta Arenas, au Sud du Chili. Et tout commence par une longue attente. L’un des scientifiques stationnés à Bellingshausen est atteint d’une tumeur au cerveau et doit être rapatrié d’urgence. Dans un premier temps, c’est notre avion qui est chargé de la mission, mais après 40 minutes de vol, le pilote reçoit l’ordre de faire demi-tour.

Les forces aériennes chiliennes ont en effet décidé de prendre l’opération à leur compte. Mais lorsque leur gros porteur Hercules arrive sur place, la météo interdit tout atterrissage et il doit lui aussi faire demi-tour. Nous allons donc devoir attendre encore.

Robert Swan, chef de la Mission Antarctica prend la chose avec philosophie: «Quand une vie est en jeu, on ne discute pas. L’homme qui a besoin d’aide pourrait très bien être l’un d’entre nous». Les règles d’une expédition polaire, il les connaît mieux que quiconque. Swan est en effet le seul homme qui a réussi l’exploit de rallier les deux pôles à pied, le Sud en 1986 et le Nord en 1989.

Un trou dans les nuages

Les jours s’écoulent au rythme des bulletins météo. Le manque de visibilité au-dessus de Bellingshausen nous empêche toujours de partir. Pour tuer le temps, Alejo Contreros, notre guide, nous passe des diapositives de ses précédentes expéditions. En vingt ans d’Antarctique, il en a vu de toutes les couleurs.

Venu de Suisse, de Grande-Bretagne ou d’Israël, le petit groupe de visiteurs que nous formons n’a pratiquement aucune idée de ce qui l’attend. Contreros nous raconte les malheurs des expéditions passées. Un certain frisson parcourt l’assistance en découvrant la photo d’un Beechcraft, similaire à celui qui doit nous emmener là-bas, écrasé sur la banquise!

Puis tout d’un coup, c’est le signal du départ. Comme la première fois, notre appareil s’enfonce rapidement dans les nuages. Après trois heures et quart de vol, nous approchons du point de non-retour, au-delà duquel le niveau de carburant ne nous permettrait plus de faire demi-tour.

La météo annonce une trouée dans les nuages au-dessus de Bellingshausen. Le commandant de bord décide de continuer et nous nous demandons comment les pilotes vont réussir à distinguer une piste d’atterrissage dans cette purée de pois.

Et pourtant, elle est là. Avant même que les passagers aient eu le temps de réaliser ce qui se passait, l’avion pique au sol et se pose en douceur.

Marins d’eau douce

A Bellingshausen nous attend le bateau qui va nous emmener à la découverte des beautés des côtes antarctiques. Baptisé «2041», en référence à l’année où l’actuel statut de protection du continent devra être révisé, ce fier voilier de 23 mètres de long a été conçu à l’origine pour disputer le BT Global Challenge, considéré comme la course à la voile la plus exigeante du monde.

Pour l’heure, le 2041 est ancré dans la baie de Maxwell. Le paysage alentour n’est que neige, glace et rochers, avec pour seules touches de couleurs les baraques polychromes de la station chilienne et les blocs rouges de la mission russe. Un ruisseau, qui marque également un fuseau horaire, sépare les deux quartiers. Ainsi, les Chiliens vivent avec une heure d’avance sur les Russes.

Les jours suivants vont se passer en instruction de base pour les marins d’eau douce que nous sommes. A l’origine, le navire avait besoin d’au moins 14 hommes pour le manœuvrer, mais grâce à l’automatisation, il peut désormais être conduit par quatre hommes d’équipage.

Engoncés dans nos vêtement polaires, nous grelottons sur le pont en écoutant Alex Johnston, le second, nous enseigner les consignes de sécurité au cas où un homme passerait à la mer. Nous apprenons également que l’eau douce sera sévèrement rationnée et que chacun d’entre nous n’aura droit qu’à une seule douche durant les dix jours que va durer la croisière.

Le royaume des phoques et des pingouins

Finalement, nous sommes prêts à lever l’ancre. A la barre, Andy Dare a derrière lui sept ans de navigation et plus de 120’000 kilomètres dans ces eaux glaciales. «Ce qu’il y a de particulier ici, c’est que nous sommes vraiment seuls. En cas de pépin, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes», rappelle le capitaine.

Nous avons à peine pris la mer qu’un mur de glace de 30 mètres de haut s’effondre dans les eaux, juste devant nous. De quoi rappeler de sinistres souvenirs à Robert Swan, qui a vu l’un de ses bateaux ainsi écrasé lors de son expédition de 1986.

Un peu plus loin, nous voyons un phoque léopard se hisser sur un bloc de glace. Swan garde également un cuisant souvenir de ce redoutable prédateur. C’est en effet un animal de ce type qui avait failli arracher la jambe de l’un de ses compagnons d’expédition lors de sa marche vers le Pôle Sud.

Le 2041 fait du cabotage entre les Iles Shetland du Sud. Des baleines côtoient notre navire et les plages sont peuplée de milliers de pingouins, de phoques ou d’oiseaux. Lorsque nous débarquons, nous devons respecter la règle qui veut que l’on ne s’approche pas à moins de cinq mètres des animaux. Les oiseaux effrayés pourraient par exemple s’envoler en abandonnant leurs œufs aux prédateurs.

Pour les gens de Mission Antarctica, le but de cette croisière – comme ils en organisent régulièrement avec des étudiants – est de nous sensibiliser à la beauté sauvage de ces sanctuaires où la nature est encore vierge.

Et par contraste, les poubelles laissées par l’homme sur certaines plages n’en paraissent que plus choquantes. Mais le but de la mission est également de les nettoyer, comme nous le verrons lors de la suite de notre voyage.

swissinfo/Vincent Landon, de retour d’Antarctique

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