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Affaire Suva: le temps de rendre des comptes est venu

Le siège du Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone. Keystone

Le Tribunal pénal fédéral (TPF) de Bellinzone se penche dès lundi sur l'escroquerie immobilière qui avait éclaboussé la Caisse nationale suisse d'assurances contre les accidents (Suva) en 2005.

Six personnes doivent répondre de corruption active et passive, d’escroquerie, de gestion déloyale des intérêts publics et de faux dans les titres commis dans l’exercice d’une fonction publique.

Au total, dix inculpés sont impliqués dans la procédure. Celle-ci est articulée en trois parties, en fonction du rôle que chacun d’entre eux a joué dans le scandale.

Le premier procès, qui débute lundi et durera six jours, voit comparaître, les six principaux accusés. La Cour doit décider cette semaine de la date à laquelle sera rendu le jugement, lequel devrait être publié d’ici la fin du mois de novembre.

«Les sentences dans les deux autres procès, qui se tiendront le 5, ainsi que les 11 et 12 décembre, dépendra des condamnations émises dans le premier car les quatre autres inculpés sont accusés de délits mineurs», a expliqué à swissinfo la secrétaire générale du TPF Mascia Gregori Al-Barafi.

Une escroquerie pour des millions

Bien qu’ils aient tous avoué, les inculpés risquent des condamnations allant de peines pécuniaires à la réclusion pour cinq ans au maximum. Le Ministère public de la Confédération rendra publiques les peines requises lundi.

A des degrés divers, les prévenus sont accusés d’avoir vendu huit immeubles appartenant à la Suva à des prix très inférieurs à leur valeur sur le marché immobilier suisse alémanique et tessinois. La transaction avait été conclue pour un montant de 46,97 millions de francs, soit 26, 2 millions de moins que la valeur du marché, selon une expertise indépendante effectuée après coup pour le compte du Ministère public de la Confédération.

Deux cerveaux et des complices

Les deux principaux protagonistes de l’escroquerie sont l’ex-chef des affaires immobilières de la caisse nationale d’assurances et un agent immobilier italien actif dans le canton du Tessin. C’est ce dernier qui, d’après l’acte d’accusation du Ministère public, aurait incité le cadre supérieur à lui vendre quelques immeubles appartenant à la Suva à des prix défiant toute concurrence, ceci en échange de pots-de-vin pour près d’un million de francs.

Les deux hommes avaient par la suite crée une société immobilière par l’intermédiaire de laquelle ils avaient racheté d’autres biens immobiliers de la Suva, toujours à des prix nettement inférieurs de ceux du marché.

De telles transactions auraient été rendues possibles grâce à la complicité de deux experts, qui auraient effectué de fausses estimations destinées à tromper les commissions de surveillance de la caisse. D’autres complices auraient quant à eux signé des contrats d’intermédiaires fictifs pour lequels la Suva et quelques banques avait versé des provisions importantes.

La caisse avait de ce fait été trompée sur la véritable identité des acquisiteurs. Le cadre de la Suva aurait même bénéficié de l’aide de son substitut pour accélérer la vente de deux immeubles.

Parallèlement, les banques avaient ouvert des hypothèques à la société de l’agent immobilier et du cadre de la Suva. Or celles-ci étaient basées sur des estimations de valeur nettement plus élevées que les prix de vente des bâtiments.

Selon l’acte d’accusation, les deux complices ont ainsi accumulé un patrimoine considérable. Le cadre de la Suva aurait encaissé près de 1,8 million de francs et l’agent immobilier italien au moins autant.

Vers un procès civil

En automne 2005, le pot aux roses avait néanmoins été découvert. Grâce à une convention, la Suva avait pu obtenir l’annulation des contrats et racheter ses biens immobiliers aux prix de vente de manière à ne pas subir de pertes.

Malgré tout, la caisse s’est constituée partie civile dans le procès pénal en raison des frais qu’elle a dû assumer pour faire la pleine lumière sur la situation et pour défendre ses intérêts dans le cadre de la partie pénale, a indiqué à swissinfo la porte-parole de la Suva Barbara Salm.

La caisse n’a pas encore décidé si elle se constituerait partie civile dans un deuxième temps afin de prétendre à des dommages-intérêts. Elle attend le verdict du procès, a indiqué la porte-parole.

Restructurations

Trois expertises internes commandées par la Suva après la découverte de l’escroquerie avaient révélé l’existence de lacunes et de faiblesses dans les structures et le système de contrôle de la caisse. Celle-ci a par conséquent pris les dispositions qui s’imposaient.

La mesure la plus importante de sa réorganisation a certainement été la séparation des divisons «Finances» et «Immobilier» en deux entités distinctes, souligne Barbara Salm.

swissinfo, Sonia Fenazzi
(Traduction de l’italien: Carole Wälti)

Au cours de l’année 2006, la Suva a enregistré un excédent de 289,5 millions de francs.
Son portefeuille immobilier se monte à près de 3 milliards de francs.
Ses investissements immobiliers atteignent environ 300 millions de francs.
Nombre d’accidents déclarés en 2006: près de 446’000.
Nouvelles rentes attribuées en 2006: 2327 pour un montant global de 670 millions de francs.

La Suva est une entreprise autonome de droit public. Le patronat, les syndicats et la Confédération sont représentés au conseil d’administration.

La Suva est la plus importante assurance contre les accidents de Suisse, avec environ 1,8 millions de salariés affiliés.

La caisse jouit d’un semi-monopole: les secteurs où les risques d’accident sont élevés (avant tout l’industrie et l’artisanat) sont assurés obligatoirement auprès de la Suva.

Depuis 2005, la gestion des assurances militaires est également l’affaire de la Suva.

Ces dernières années, les assurances privées ont exercé des pressions en faveur d’une libéralisation totale du marché et pour une privatisation de la Suva. Cette pression s’est accentuée suite à l’affaires des ventes de biens immobiliers en-dessous du prix réglementaire.

Lors d’une vaste consultation lancée sur deux projets de réforme de la loi fédérale sur l’assurance-accidents, la majorité des acteurs concernés se sont cependant prononcés en faveur du maintien du système actuel.

En septembre dernier, le gouvernement suisse a néanmoins chargé le ministère de l’Intérieur de préparer des projets de révision afin de les transmettre au Parlement au printemps 2008.

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