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Aider les victimes de torture à retrouver leur dignité

Cet homme est un des rares rescapés du massacre de Srebrenica. Il vit en Suisse avec sa famille. Meinrad Schade

Depuis une dizaine d’années, un réseau de centres d’aide aux victimes de traumatismes de guerre et de torture collabore en Suisse pour aider ces personnes à retrouver un peu de normalité. Les enfants sont aussi concernés.

Installé dans un immeuble banal à la périphérie de Berne, le Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre (afk) effectue un travail qui est tout sauf banal: redonner un sens à la vie de réfugiés souvent traumatisés.

Ici, les patients souffrent d’anxiété, d’insomnie et de douleurs physiques. Les personnes qui ont subi des tortures ont besoin de beaucoup de temps avant de pouvoir parler de ce qu’ils ont vécu. Souvent, ils se sentent coupables. Ils ont honte et ont été humiliés.

Avec son équipe de psychologues, de psychiatres, de médecins et de spécialistes de l’aide sociale, la directrice de la clinique créée par la Croix-Rouge en 1995, Angelika Louis, aide ces personnes à essayer de surmonter leurs traumatismes, à retrouver santé, confiance en eux et dignité.

«Nous ne pouvons défaire ce qui a été fait, mais nous pouvons écouter les victimes et les aider à accepter les horribles événements qu’ils ont vécus, explique Angelika Louis. Notre travail est de leur montrer comment intégrer le passé à leur nouvelle vie.»

Les victimes doivent développer des stratégies individuelles pour réussir à vivre au quotidien. Ils ont besoin d’y être bien préparés parce que même des événements passés inaperçus peuvent revenir par flashes, à n’importe quel moment.

Le besoin en soins s’étant révélé énorme, la première clinique de la CRS a été complétée par  trois autres centres de thérapie ambulatoires en 2003 et 2004, à Zurich, Genève et Lausanne, grâce au soutien financier de la CRS et du Fonds spécial en faveur des victimes de l’Holocauste/la Shoah. Aujourd’hui, ils forment un réseau, le groupement «Support for TortureVictims», qui pratique l’échange régulier d’expériences et de savoir.

Violence systématique

Selon Angelika Louis, environ un quart de tous les réfugiés ayant obtenu l’asile en Suisse ont été soumis à des violences systématiques dans leur pays d’origine. Ils se méfient ainsi profondément de toute autorité.

Amnesty International estime ainsi que 101 nations ont pratiqué la torture sur leurs citoyens en 2001. Le prétexte souvent avancé est la sécurité nationale ou le contre-terrorisme, explique Patrick Walder, responsable des campagnes contre la torture au sein de la section suisse d’Amnesty International.

«Le nombre de cas de torture et de mauvais traitements documentés a nettement augmenté en 2011», ajoute Patrick Walder. Souvent, la violence est systématiquement utilisée contre les personnes manifestant contre leur gouvernement. L’exemple actuel le plus inquiétant est celui de la Syrie.

«La torture et d’autres actes cruels, inhumains ou dégradants sont toujours faux et aucunes circonstances ne peuvent les justifier, jamais», insiste le responsable. La torture ne l’est pas davantage, précise-t-il, lorsqu’elle est tolérée par des régimes démocratiques, comme ce fut le cas sous l’ère de George Bush avec certaines pratiques sur les personnes suspectées de terrorisme.

D’autres Etats n’enquêtent pas sur les accusations ou nient tout simplement que des mauvais traitements aient jamais eu lieu. Il est donc difficile de gagner la confiance des victimes, des réfugiés qui ont été maltraités, dans un contexte de violence et de méfiance généralisée.

Gravement trompés

Les thérapeutes expliquent d’abord aux patients que la torture est une violation des droits humains et qu’ils ont été gravement trompés. Ils leur démontrent aussi que surmonter des actes de torture est une performance majeure, explique Angelika Louis.

Théoriquement, ce genre de thérapie devrait commencer quand les victimes sont en sécurité. Pour les réfugiés, cela signifie lorsqu’elles ont obtenu l’asile. Problème: le système suisse est lent. Une décision d’asile prend souvent des mois, voire des années, précise Thomas Ihde-Scholl, directeur médical des services psychiatriques de l’hôpital d’Interlaken, dans le canton de Berne. 

Les services de psychiatrie ambulatoire de cet hôpital accueillent aussi des patients de trois centres d’accueil pour réfugiés et d’un service d’expulsion. Le directeur estime que 8% de ses patients, au total, sont des réfugiés. Thomas Ihde-Scholl a vu récemment plusieurs Syriens qui avaient été torturés. De leur côté, les Somaliens ont souvent des traumatismes de guerre.

«Notre priorité est de les stabiliser, de les aider à vivre au jour le jour», explique le médecin. «Ils ont des problèmes de sommeil et d’anxiété et ne peuvent quitter le centre sans être accompagnés par des membres de leur famille ou des amis.»

Berne: lieu d’espoir et de peur

Thomas Ihde-Scholl tente d’envoyer certains patients vers le centre spécialisé de la Croix-Rouge à Berne, mais il n’est pas facile de les convaincre, dit-il. «Berne, c’est loin pour quelqu’un qui n’arrive pas à quitter sa maison. De plus, ils savent que c’est la ville où les décisions sont prises. C’est donc un lieu d’espoir, mais aussi de peur.»

Le stress post-traumatique, ou PTSD dans le jargon («post traumatic stress disorder») peut être guéri, indique Thomas Ihde-Scholl. Le problème est que les traitements ont été conçus pour des occidentaux, comme les vétérans de la guerre du Golfe. Il faut donc, selon lui, que de nouvelles thérapies tiennent compte de cultures différentes.

Le problème est l’incapacité à parler des événements traumatiques. Le PTSD se révèle donc souvent chronique. Mais la parole est nécessaire pour diminuer le traumatisme, explique Julia Müller, chercheuse spécialisée de l’Hôpital universitaire de Zurich.

Son équipe a mis au point un instrument audiovisuel pour les personnes analphabètes, car certaines personnes sont intimidées par le thérapeute et préfèrent être seules pour répondre.

Retrouver le goût de la normalité

Selon une étude de Julia Müller, environ la moitié des requérants d’asile souffre de troubles psychiatriques ou de PTSD. Dans les familles qui ont émigré, les enfants de parents mentalement perturbés ont aussi tendance à développer des maladies mentales.

Les enfants sont très affectés par les sentiments de leurs parents, par leur stress et leur anxiété, mais ils ne peuvent pas les comprendre. Ils s’accusent eux-mêmes, ont des cauchemars et ils ont peur d’aller se coucher. Il faut leur donner une touche de normalité: aller à l’école, jouer et avoir des amis. Mais ça, c’est la théorie…

Dans la pratique, le travail est très délicat. Pédagogue spécialisée, Marion Walting intègre des enfants de réfugiés dans des classes «normales» de Thoune. Elle donne l’exemple d’une petite fille tibétaine de 12 ans qui n’a rien dit pendant trois ans.  

«Comment aider un enfant traumatisé qui n’a jamais appris à faire confiance? Tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de les convaincre que personne ne leur veut du mal et qu’ils sont en sécurité ici», explique Marion Walting. «On ne peut pas effacer leurs souvenirs, mais on peut les aider à envisager un avenir positif, afin que ces souvenirs deviennent de plus en plus flous…»

La Croix-Rouge a des cliniques pour le traitement ambulatoire de victimes de tortures et de la guerre à Berne, Zurich, Genève et Lausanne. Depuis leur ouverture, elles ont traité plus de 6500 personnes.

La plupart des patients sont des requérants d’asile âgés qui ont entre 36 et 45 ans; deux tiers sont des hommes.

Les cliniques offrent désormais des programmes spécialisés pour les enfants et les adolescents.

La moitié environ des 653 patients traités en 2011 attendaient encore la décision sur leur demande d’asile. Ils venaient principalement de Turquie, du Moyen-Orient, d’Europe de l’Est, d’Asie et d’Afrique.

Les cliniques de la Croix-Rouge travaillent avec des psychologues, des psychothérapeutes, des psychiatres, des médecins et des spécialistes de l’aide sociale. Ils sont aidés par des traducteurs dans plus de 20 langues.

Comme dans les autres cabinets médicaux, les patients sont envoyés par leur médecin généraliste. L’assurance maladie prend en charge les frais de traitement.

En 2011, la Croix-Rouge suisse a financé environ la moitié du budget de la clinique de Berne. Les assureurs maladie ont fourni 20% du budget, le gouvernement 16%, les Nations Unies 2%. Les donateurs ont contribué à raison de 12%.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Ariane Gigon)

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