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Destins suisses et européens croisés sous l’ère Covid-19

Ambuance française devant les HUG
Une ambulance française devant l'Hôpital universitaire de Genève: pendant la crise sanitaire, la Suisse a accueilli des dizaines de malades français de la Covid-19, et pas seulement dans les villes frontière. Keystone / Salvatore Di Nolfi

Avec la crise du coronavirus, l’Europe des régions n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom. Et sur le plan sanitaire, la Suisse en fait partie.

L’accueil d’une cinquantaine de patients français atteints de Covid-19 dans des hôpitaux suisses a été largement salué ce printemps par les autorités françaises. En proportion du nombre d’habitants des pays voisins de la France, ce fut «le geste le plus généreux sur lequel Paris a pu compter en Europe», selon l’ambassadeur de France en Suisse Frédéric Journès. Une ère nouvelle de collaborations sanitaires transfrontalières s’ouvrirait-elle à l’heure où les enjeux de santé publique n’ont jamais été aussi complexes et nombreux?

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Preuve d’humilité

Interrogé à la fin du mois de mai dans l’émission «Pardonnez-moi» de la Radiotélévision suisse romande, Frédéric Journès confessait que l’expérience du coronavirus au cœur de l’Europe, notamment dans le «Dreiländereck» au croisement des frontières suisse, française et allemande près de Bâle, avait modifié dès la mi-mars «en profondeur», par des actions concrètes, les relations avec ses interlocuteurs suisses. «Il a fallu faire preuve d’humilité. Nous avons eu besoin d’aide et sommes allés la demander», a déclaré l’ambassadeur au journaliste Darius Rochebin.

Mais qu’adviendra-t-il demain de cette solidarité qui aura permis à des patients français de bénéficier de soins, souvent intensifs, en Suisse? Des transferts de malades qui ont eu lieu dès la deuxième moitié du mois de mars, puis à fin mars lors du pic épidémique dans le Grand Est, à Mulhouse et à Colmar. Entre les hôpitaux de ces villes et ceux de Bâle-Ville et Bâle-Campagne, des transferts se sont opérés par ambulance en deux heures. Puis des hôpitaux des cantons du Jura, de Soleure et d’Argovie ont été sollicités, suivis de ceux de Fribourg, Genève, St-Gall et Thurgovie. Des hôpitaux de cantons non-limitrophes ont ainsi pris part à cet élan. Et c’est à bord d’hélicoptères de l’armée française que des patients intubés ont même parfois été transportés.

«La réponse des hôpitaux suisses a toujours été la même: on vous en prendra deux», a résumé l’ambassadeur, se référant au nombre de patients qu’il est généralement possible de transporter dans un seul hélicoptère. 

Emmanuel Macron visite l hôpital militaire de campagne de Mulhouse
25 mars 2020. Emmanuel Macron visite l’hôpital militaire de campagne installé en urgence à Mulhouse. Le président français remerciera la Suisse et l’Allemagne pour leur solidarité. Keystone / Cugnot Mathieu / Pool

Accès aux soins plus rapide

Un accord-cadre entre la Suisse et la France est sur les rails depuis maintenant quatre ans, permettant précisément la prise en charge de patients venus de l’autre côté de la frontière. Pour le Conseil fédéral, ce pacte offre «une opportunité» pour les grandes villes, «dans lesquelles des milliers de frontaliers traversent les frontières tous les jours». Mais c’est tout bénéfice aussi pour les régions rurales, qui souffrent parfois de l’absence d’infrastructures de proximité. Un accès rapide aux soins au-delà des frontières a donc été acté. Et Berne n’est pas opposée à soutenir d’autres projets allant dans le sens d’une plus forte synergie entre ces régions.

Autoriser par exemple des établissements médicaux situés dans les cantons suisses frontaliers d’atteindre une patientèle cible plus large, avec pour objectif aussi d’amortir des infrastructures ou des équipements médicaux hautement spécialisés et très coûteux. Un projet pilote entre Bâle-Ville, Bâle-Campagne et la région de Lörrach (D) permet déjà à des assurés bâlois de se faire soigner dans des cliniques de réhabilitation allemandes. Toujours dans le «Dreiländereck», la Conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur aborde régulièrement ces questions avec un seul credo: «Une santé sans frontière», une mise en réseau des acteurs pour là aussi baisser les coûts.

Vision commune pour 2030

Le 27 mars dernier, cette Conférence se félicitait à son tour du transfert salvateur de patients d’Alsace vers des hôpitaux non seulement suisses, mais également allemands (Bade-Würtemberg, Rhénanie-Palatinat). Un groupe d’experts (Epi-Rhin) a par ailleurs été chargé d’assurer la veille du système d’alerte transfrontalier des maladies contagieuses. Plus récemment, le 26 mai, la préfète de la région Grand Est et Bas-Rhin et présidente de cette Conférence, Josiane Chevalier, conviait les édiles des régions concernées à développer une vision pour collaborer encore mieux à l’ère du coronavirus.

Deux consignes ont été mises en avant: une communication coordonnée sur les gestes barrière (masques, gel, etc) pour contenir la propagation de la Covid-19 et un échange d’informations constant pour pouvoir retracer l’apparition d’infections au-delà des frontières. Pour Josiane Chevalier, la crise apparaît là encore comme «une opportunité», selon le communiqué de la dernière séance de cette Conférence, laquelle a commencé à se pencher sur une stratégie 2030 pour la région tri-nationale (Alsace, Pays de Bade, Palatinat du sud, Suisse), zone regroupant environ six millions d’habitants.

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Flambée en Alsace

Car dès le début du mois de mars dernier, un vent de panique avait légèrement fait trembler cette zone rhénane. Tambour battant, le coronavirus s’invitait dans le «Dreiländereck» à l’heure du carnaval. L’Alsace enregistrait ses premières flambées de contaminations après la tenue d’un rassemblement évangéliste à Mulhouse. Côté allemand, à Lörrach, le journal «Die Oberbadische» alertait: «Le virus a commencé de déployer ses effets dans la région des trois frontières. Des annulations en cascade des deux côtés du Rhin l’attestent». La suite est connue: l’Alsace a été qualifiée de «zone à risques» car une centaine de cas Covid y avaient été recensés le 7 mars déjà.

Fidèle aux arrangements pris entre voisins, le canton de Bâle-Ville s’est alors rapidement chargé de soigner quatre patients français par le truchement de l’Agence régionale de santé du Grand Est (France). Le 20 mars, le département français du Haut-Rhin a passé dans l’urgence un appel à trois cantons suisses limitrophes – les deux Bâle et le Jura – afin de trouver des lits libres pour des malades alsaciens souffrant de difficultés respiratoires. Deux autres ont pu être soignés également dans le Jura, à l’hôpital de Delémont.

évacuation d un patient de l Hôpital de Mulhouse
23 mars, évacuation d’un patient de l’Hôpital de Mulhouse. L’Alsace, région limitrophe de la Suisse, a été une des plus touchées par la pandémie en France. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

Accord signé à Paris 

Entre États aussi, on essaie d’accorder ses violons en matière de santé. Notamment en vue de simplifier la mobilité des patients et raccourcir leur temps d’acheminement. C’est l’une des recommandations principales de l’accord conclu avec la France le 27 septembre 2016. Ce jour-là, le ministre suisse de la santé Alain Berset et son homologue d’alors, côté français, Marisol Touraine, paraphaient à Paris un pacte de bon voisinage, englobant notamment l’organisation de l’offre de soins et le domaine hospitalier.

«Avec la mobilité accrue des personnes et en raison des risques liés aux crises sanitaires, l’intérêt pour une telle coopération s’est accentué ces dernières années», notait avec prémonition le Conseil fédéral. En gros, garantir à chacun des habitants des régions limitrophes le recours à des moyens de secours d’urgence. Et améliorer également les échanges d’informations en matière d’évaluation et de gestion des risques, de pandémie notamment.

Observatoire transfrontalier

Dans leur message, les autorités suisses avaient donné un exemple: celui d’un touriste belge séjournant dans les Alpes françaises ou suisses et qui nécessiterait des soins urgents. Berne allait même jusqu’à imaginer la création d’un observatoire transfrontalier de la santé, tel qu’il en existe un entre la France et la Belgique.

Plus près d’ici, le Conseil fédéral avait encore cité comme modèle l’Observatoire franco-genevois du personnel de santé, créé voici cinq ans sous l’égide de la Commission santé du comité régional franco-genevois. Sans compter la convention transfrontalière en matière de prise en charge des urgences, conclue en 2011 entre le canton de Genève, des hôpitaux de la région franco-genevoise et l’Agence régionale de santé Rhône-Alpes.

En ajout à l’OMS

Un article de l’accord franco-suisse prévoit de faciliter le franchissement des frontières lors du transport de malades dans l’urgence. Pour éviter aussi une fragmentation de leur parcours (suivi du dossier médical, compte-rendu opératoire). En Suisse, la mise en œuvre de l’accord est réglée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ainsi que par les autorités compétentes des cantons frontaliers. En France voisine, les interlocuteurs sont les régions (Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes, etc).

Lors des consultations précédant la signature du pacte franco-suisse, les villes de Bâle et de Genève avaient souligné l’importance d’avoir un cadre juridique ad hoc. Berne a donc privilégié des formulations laissant une grande marge de manœuvre aux cantons pour conclure des projets dans les limites légales. Et pour harmoniser les systèmes de sécurité sociale et d’assurance-maladie.

Mais en réalité, cet accord était un complément au Règlement sanitaire international 2005 (RSI 2005) élaboré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un texte visant à prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser, et à éviter de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux. Le RSI 2005 mentionnait par ailleurs que «des mesures particulières» pouvaient être prises aux postes-frontières «dans le but de limiter la propagation de maladies vers les Etats voisins». Une forme de mise en quarantaine des pays qui a pris fin dans une grande partie de l’Espace Schengen le 15 juin dernier.

En 1987, sous l’effet de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl survenue un an plus tôt en Ukraine, Berne et Paris avaient déjà anticipé des catastrophes qui se moqueraient aussi des frontières. Les deux pays avaient signé un accord d’assistance mutuelle en cas d’accident grave. Mais la mention de pandémie n’apparut qu’en 2010 dans le cadre d’une convention assurant l’échange d’informations entre ces pays. Plus loin dans le temps, des accords de coopération sanitaire ont déjà existé vers la fin du 19e siècle entre la Suisse et ses voisins, pour l’admission réciproque de médecins, chirurgiens, accoucheurs, sages-femmes et vétérinaires domicilié-es près des frontières.

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