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Ils bravent les falaises, en quête du frisson de vivre

Deux basejumpers s'élancent au-dessus de Lauterbrunnen, dans les Alpes bernoises, véritable Mecque de ce sport extrême et très risqué. Keystone

De plus en plus d’adeptes de base jump ou de vol en combinaison ailée se rendent dans les Alpes suisses à la recherche de sensations fortes. Mais l’arrivée de la génération Youtube, notamment à Lauterbrunnen, n’est pas vue d’un très bon œil par la poignée de sportifs aguerris à cette discipline de l’extrême.

La silhouette en forme de chauve-souris orange et noire s’approche avec précaution du bord de la falaise. Perché au bord du précipice surplombant le Walensee, un lac de Suisse orientale, Michael ‘Michi’ Schwery s’attelle aux dernières vérifications. Il enclenche les deux caméras de son casque, fait battre les ailes de sa combinaison et s’exerce à atteindre son sac à dos pour la libération ultérieure du parachute.

«Trois, deux, un… c’est parti!»

Voilà, il est en l’air, il longe la falaise, les bras tendus, en chute libre dans le vide. Il y a quelques secondes, nous plaisantions à propos du pic Hinterrug (2300m). Mais d’un coup, je me retrouve seul. Je ne le vois plus. Je fronce les yeux et je scrute nerveusement la vallée, mais aucun signe de Michi à l’horizon. Je n’ose pas m’approcher trop près du précipice. Mon cœur bat la chamade.

Finalement, j’aperçois une sorte de figure ailée qui, je l’apprendrai plus tard, fend l’air à 200 km heure, rasant les contours de la montagne au nord de Walenstadt. Puis, une minute après avoir sauté dans le vide, il tire sur son parachute, flotte en toute sécurité avant d’atterrir dans un champ. Je pousse un gros soupir de soulagement.

Michi, président de l’association suisse de base jump, vient d’achever

«Spoutnik». Un saut qui a acquis une notoriété mondiale avec la vidéo «Grinding The Crack», réalisée par le base jumper Jeb Corliss et visionnée 24 millions de fois sur Youtube.

Des descentes spectaculaires

Depuis son apparition au début des années 1990, le vol en combinaison ailée (wingsuit) a profondément bouleversé la pratique du base jump. Si le principe de départ reste le même, à savoir sauter d’un point fixe, par exemple une falaise ou un pont, les combinaisons palmées et aérodynamiques donnent aux pilotes la portance dans l’air qui leur permet d’ajuster leur vitesse et leur angle de chute. Résultat: des descentes plus longues, plus rapides et plus spectaculaires.

«C’est beaucoup plus fun d’utiliser son corps pour voler. On a vraiment un degré plus élevé de contrôle sur ce que l’on fait», affirme Michi, 10 ans d’expérience et 650 sauts à son actif. Avant d’ajouter: «Mais ce n’est pas uniquement le vol qui compte. Monter au sommet de la falaise, sauter avec les amis et apprécier la beauté du paysage sont tout aussi importants».

Bien, mais comment appréhende-t-il les dangers extrêmes liés à ce sport? «J’ai peur avant chaque saut, mais pas au point que cela devienne dangereux pour moi. J’ai besoin de cette peur pour me concentrer», explique-t-il. «Ce sport a sa face sombre. Nous savons que c’est dangereux, mais nous nous focalisons sur le respect des risques et la connaissance de nos limites». D’après Michi, le principal danger intervient lorsque l’on s’approche trop près du terrain.

Selon une étude réalisée en 2007 par des chercheurs de l’hôpital universitaire de Stavanger, en Norvège, le base jump présente un risque cinq à huit fois plus élevé de blessures ou de décès que le saut en parachute.

Leur analyse, basée sur 20’850 sauts réalisés dans le massif norvégien du Kjera, a montré que 9 personnes étaient mortes sur une période s’étendant de 1995 à 2005. Ce qui équivaut à 1 mort pour 2317 sauts. 82 accidents non mortels ont également été recensés, soit 1 pour 254 sauts.

Dans le monde, environ 210 décès de base jumpers ont été dénombré depuis 1981.

Les statistiques sur les accidents dans la vallée de Lauterbrunnen recueillies par le Dr. Bruno Durrer depuis 1994 comptabilisent 35 décès (33 hommes et 2 femmes) et près de 200 blessés, dont 70 ont eu des os brisés et 20 ont dû être hospitalisés d’urgence.

Depuis 2006, le nombre annuel de sauts a fortement augmenté, alors que les accidents sont restés stables: on compte 16 à 24 blessés et 3 à 5 décès par année.

La doublure de James Bond se tue

Le chemin est cependant long pour tous ceux qui rêvent d’imiter Michi. Généralement, on commence par apprendre à sauter en parachute – la moyenne recommandée est de 150 sauts – avant de tenter le base jump et pourquoi pas ensuite le vol en wingsuit. Il faut soit prendre un cours spécifique de base jump, comme aux Etats-Unis, ou trouver un mentor pour l’entraînement. Les premiers sauts se font avec des combinaisons basiques, depuis des « spots » plus simples, comme les ponts.

Les règlements des associations de parachutisme varient fortement d’un pays à l’autre. Généralement, ils conseillent entre 200 et 500 sauts en chute libre avant de pouvoir voler en toute sécurité en wingsuit. Reste que le base jump est considéré comme beaucoup plus risqué que le parachutisme. Les risques de blessure et de décès sont cinq à huit fois plus importants (voir encadré), selon des recherches menées en 2007.

C’est certainement en volant trop près de la montagne et en calculant mal son gradient que Mark Sutton a trouvé la mort le 14 août dernier dans les Alpes valaisannes. Le cascadeur de 42 ans, doublure de Daniel Craig lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, a heurté une crête dans la région de Grand-Otannes après s’être élancé d’un hélicoptère avec sa combinaison ailée.

50 «spots» en Suisse

Michi travaille dans une firme d’ingénierie bâloise. Il est marié et père d’un jeune enfant. Il fait partie de l’élite suisse des wingsuiters. Une vingtaine de passionnés expérimentés mais qui sautent pratiquement chaque week-end, à la poursuite de leur rêve d’homme volant et de nouvelles sensations.

De nouvelles zones de saut sont ouvertes pratiquement chaque semaine. Il y en a aujourd’hui une cinquantaine en Suisse. Mais en-dehors de Lauterbrunnen et du Walensee, la plupart sont jalousement gardées secrètes par les locaux et les sauteurs de l’extrême. Patrick Kerber, un ami de Michi, a ouvert un nouveau spot le mois dernier en s’élançant du sommet enneigé de la Jungfrau avant d’atterrir 3000 mètres plus bas à Lauterbrunnen.

Comme des centaines d’autres, Michi a perfectionné ses connaissances de base jump sur les hauteurs de cette localité au cœur des Alpes bernoises, devenue la véritable «Mecque» de ce sport. Mais aujourd’hui, il préfère ne plus y voler. «C’est pour les touristes», dit-il. «C’est ennuyeux, l’endroit n’est pas très bon pour le wingsuiting et les falaises ne sont pas si hautes que cela».

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Le paysan qui ne veut pas de morts dans son champ

Ce contenu a été publié sur De l’hôtellerie au téléphérique, en passant par les sociétés de sauvetage, le tourisme des sauteurs alimente les caisses de la commune bernoise. Même les paysans ont fini par se taire. Tous sauf un. Ce reportage a été diffusé dans le cadre de l’émission Temps Présent de la Radio télévision suisse (RTS), le 29 août 2013.

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Les touristes font la queue

On estime à 15’000 les sauts accomplis chaque année à Lauterbrunnen, un nombre en forte augmentation depuis 2006. Entre août et septembre, des centaines de têtes brulées en provenance du monde entier, des jeunes hommes pour la plupart, s’y rendent afin d’acquérir de l’expérience et tenter des sauts de renommée mondiale.

La spectaculaire vallée encaissée aux pieds de l’Eiger et de la Jungfrau offre un accès facile aux « spots » et la météo souvent stable permet de multiplier les sauts. A l’extrémité de la vallée, sur le parking du Stechelberg, des groupes de touristes font la queue pour prendre le téléphérique menant à la station de Mürren puis au sommet du Schilthorn, à 2970 mètres d’altitude.

Des parapentes se balancent gracieusement dans le ciel avant d’atterrir. Plus loin, des base jumpers s’élancent à intervalles régulièrs, au-dessus de la spectaculaire cascade de Mürrenbach. Tout au bout du parking, en face de camping-cars aux plaques britanniques et allemandes, des base jumpers préparent méticuleusement leur équipement en vue du prochain saut, alors que d’autres simplement se prélassent et bavardent en regardant leurs camarades passer à l’action.

«Une thérapie»

Le cadre est magnifique. Plus tôt dans la matinée pourtant, un aventurier star de la TV espagnole et base jumper expérimenté, Alvaro Bulto, est décédé près de Stechelberg. Son parachute ne s’est pas ouvert. Je ne l’apprendrai que plus tard, tout comme certainement la plupart des gens présents ici.

«Pourquoi je fais ça?», demande Barry Holubeck, répétant la question du journaliste. «C’est une passion. Personnellement, ça me fait le même effet qu’une thérapie ou que la méditation par exemple. Tout le monde a besoin de quelque chose pour s’évader». Derrière ses lunettes de soleil, il observe les rochers. «Certes, c’est un risque inutile, mais les connaissances acquises permettent de surpasser la peur», dit cet amateur aguerri qui pratique le base jump depuis 10 ans et le parachutisme depuis plus longtemps encore.

Sean, qui a quitté son travail à Londres, est à Lauterbrunnen pour un séjour de deux mois dans le but de perfectionner ses sauts. Il frappe du poing sa poitrine: «Ca fait valser mon cœur, j’adore cette sensation. J’aime me faire peur. On se sent vivant, on  a l’impression de faire quelque chose de sa vie et d’échapper à la monotonie du métro-boulot-dodo».

Les sauts à partir d’une «base» englobent quatre catégories principales: immeubles, antennes, ponts et terre (falaises, montagne). Les hélicoptères ont également été ajoutés à cette liste.

Au cours des dernières années, l’utilisation des combinaisons ailées (wingsuits) a connu une forte hausse, boostée notamment par des parachutistes désireux de repousser les limites de ce sport.

D’après le livre Guiness des records, la plus grande distance parcourue en wingsuit est de 17,83 miles (environ 29 kilomètres). Un exploit réalisé en mai 2012 par le Japonais Shinichi Ito au-dessus de Yolo County, en Californie.

La plus longue durée de vol est de neuf minutes et six secondes. Elle est l’œuvre du Colombien Jhonathan Florez, au-dessus de La Guajira, en Colombie, en avril 2012.

Au début du mois de mai, la star russe des sports de l’extrême Valery Rozov, 48 ans, a sauté d’une altitude de 7220 mètres sur la face nord de l’Everest.

Apprentissage (trop) rapide

A 22 ans, ‘Buzz’* a également mis entre parenthèses son emploi de patrouilleur à ski au Mont Hutt, en Nouvelle-Zélande. Il veut améliorer ses compétences en base jump, dans le but ultime de réaliser un vol en wingsuit. «Je suis ici depuis deux mois et demi et j’ai déjà effectué 215 sauts», dit-il. «C’est difficile d’expliquer la sensation que vous ressentez en sautant d’une falaise. Vous flottez dans les airs avec le vent dans le visage, tout en contrôlant ce que vous faites». Buzz pense souvent aux dangers encourus mais il affirme sauter d’une manière aussi contrôlée que possible: seulement lorsqu’il fait beau et dans le cadre de ses limites.

«Ma petite amie dit que ça ne lui pose pas de problème», dit-il d’un ton hésitant. Avant d’ajouter: «C’est vrai, c’est un risque que tout le monde ne prend pas». José*, un alpiniste madrilène, observe la falaise avec ses jumelles. Il est à Lauterbrunnen «pour apprendre». Il a déjà fait 15 sauts en parachute et il est impatient de tester le base jump. «J’en rêve la nuit», dit-il, ajoutant qu’il n’attendra certainement pas d’avoir réalisé le minimum de 200 sauts en parachute requis en 18 mois avant de se mettre au base jump.

Une attitude qui déplaît fortement à Michi, notre wingsuiter d’élite: «C’est typique de la génération Youtube. Ils visionnent des vidéos sympas et veulent se lancer dans ce sport trop rapidement. Beaucoup tentent d’emprunter des raccourcis. C’est une autre raison pour laquelle je refuse d’aller à Lauterbrunnen. Je ne veux pas voir ces personnes, ni leur parler».

*prénoms d’emprunt

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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