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Le plus beau minaret est au Royaume-Uni, et alors ?

La mosquée de Bradford. Style plutôt asiatique. AHMED KRAUSEN/COJEP

Pour «sortir par le haut» de la polémique née du vote anti-minarets de novembre dernier en Suisse, une association de Français d’origine turque a organisé le concours du plus beau minaret d’Europe. Avec le soutien «distant» du Conseil de l’Europe.

Où se trouve le plus beau minaret d’Europe ? A Bradford, Royaume-Uni, a répondu un jury multiconfessionnel qui s’est réuni mi-avril au Parlement européen. La mosquée de cette ville de taille moyenne située à l’ouest de Leeds, dans la région industrielle du West Yorkshire, a devancé d’une voix l’édifice de Stockholm. Plus loin dans ce classement atypique, on trouve les minarets de Rome, Grenade et Oslo.

Drôle de concours. Si le guide Michelin désignait la cathédrale de Chartres plus belle église d’Europe devant Cologne et Milan, les perdants crieraient au scandale. Là, personne ou presque n’a bronché.

Eviter toute démarche ostentatoire

L’accueil fut poli, voire enthousiaste. «Cette idée a mûri au lendemain du vote en Suisse, rapporte le président du jury Veysel Filiz, qui est aussi vice-président d’une association d’immigrés turcs dans l’est de la France, le Conseil de la jeunesse pluriculturelle (COJEP). Nous voulions montrer aux Européens que les relations entre musulmans et populations ‘autochtones’ sont bonnes dans de nombreux pays et que les minarets en sont souvent le reflet.»

Qu’est-ce qu’un beau minaret ? «On a pris en considération la recherche esthétique, mais aussi l’adaptation au paysage urbain, note Veysel Filiz. Le minaret doit être proportionné à la mosquée, en évitant toute démarche ostentatoire.» Étaient exclus d’emblée les minarets vieux de plus de cinquante ans: pas représentatifs de l’«islam européen» qui se construit aujourd’hui.

Un choix rapide

Pour remettre sa palme, le jury a travaillé sur photos. Un choix «un peu rapide» reconnaît le Suisse Christoph Spreng, membre du jury et secrétaire du Conseil de l’ONG Caux-Initiatives of Change.

«On n’a disposé que de deux heures pour trancher. Personnellement, je soutenais la mosquée de Penzberg, en Allemagne.» Penzberg: entre Munich et Garmisch, un lieu de culte très moderne, dirigé par une femme et déjà primé en Bavière pour son architecture remarquable. «Mais c’est une première étape. Un travail plus approfondi pourrait être entrepris par l’Unesco, par exemple», ajoute Christoph Spreng.

Cet événement est aussi, poursuit le Lucernois, une manière de rappeler que l’islam fait partie du patrimoine européen. «Nos manuels scolaires négligent trop souvent le poids de l’islam andalou sur l’histoire européenne. N’oublions pas que la mosquée de Tolède date de 999.»

Soutien mesuré du Conseil de l’Europe

Pour donner un peu de lustre à son initiative, le COJEP de Veysel Filiz se targue du «soutien» du Conseil de l’Europe. L’institution basée à Strasbourg prend toutefois ses distances: pas de partenariat, seulement une brève allocution prononcée par Daniel Thérond, chef de la Division du Patrimoine culturel, à l’occasion de la réunion du jury.

«Mon intervention était plus patrimoniale et architecturale que religieuse, précise Daniel Thérond. Il est intéressant de voir comment chaque mosquée s’intègre à son environnement. A Stockholm, il y a un joli dialogue entre l’église et la mosquée, l’une n’écrasant pas l’autre.

À Bradford, la mosquée, qui date de 2008, a su s’intégrer au tissu industriel.» Peut-être faudrait-il, ajoute Daniel Thérond, organiser aussi le concours de la plus belle église en pays islamique. «Mais je ne sais pas si cela serait facile.»

Pas de minaret suisse

Parmi les dix premiers minarets, un seul français: Tarbes. Et point de suisse. «Seul le minaret de la mosquée de Genève, au Petit-Saconnex, nous a paru digne d’intérêt, relève Veysel Filiz. La mosquée de Wangen est une véritable catastrophe. Je ne suis pas surpris qu’elle ait été instrumentalisée par l’extrême droite.»

Veysel Filiz n’est pas tendre avec les représentants de l’islam en Suisse. «Ils sont trop repliés sur leurs communautés. On ne peut pas vivre en Suisse et garder sa tête en Turquie.» Des exceptions ? «Lucerne, notamment, où les associations musulmanes ont su s’unir et s’organiser.»

Ce classement fait pourtant sourire de dépit le philosophe et théologien Tareq Oubrou, imam à la mosquée de Bordeaux. «Pourquoi mettre l’accent sur le minaret, qui n’est même plus un objet cultuel ? S’il s’agit d’améliorer l’image de l’islam en Europe, ce traitement me paraît bien symptomatique. En fait, cela ne peut faire que doper l’extrême droite. Laissons l’islam tranquille.»

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

Le peuple suisse s’est exprimé le 27 novembre 2009 sur une initiative populaire émanant de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice). Celle-ci demandait qu’il soit désormais interdit de construire de nouveaux minarets en Suisse. Cette initiative a été acceptée par 57,5% des citoyens. Seuls quatre cantons l’ont refusée.

Importance. L’Union européenne compte environ 16 millions de musulmans, dont 11 millions en Europe occidentale. Cela fait de l’islam la plus importante minorité religieuse de la région.

Colonies. La présence de l’islam est la conséquence des flux migratoires en provenance des anciens empires coloniaux d’Asie et d’Afrique qui se sont orientés de manière massive vers le continent européen au début de la décennie 1960.

Irréversible. Avec l’arrêt officiel de l’immigration de travail en 1974, le processus d’enracinement de ces populations est devenu irréversible, lié à l’intensification des politiques de regroupement familial.

Le Conseil de la jeunesse pluriculturelle (COJEP) est né en 1992 du regroupement de plusieurs associations de jeunes Turcs de l’est de la France, le COJEP a ambitionné dès ses débuts de se démarquer de ses aînés.

Il entend agir sur le plan de la citoyenneté et organise des camps de jeunes et des journées de formation à la pratique associative.

Tout en se voulant complètement inscrits dans la République française, les jeunes d’origine turque du COJEP restent profondément attachés au pays d’origine de leurs parents.

Source: Les Musulmans en France (éditions Robert Laffont), Bernard Godard et Sylvie Taussig.

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