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Les magistrates s’imposent, pas les avocates

Première procureure générale de Suisse, Anne Colliard a construit son parcours petit à petit, au fil d’heures de travail et d’une organisation de fer. Keystone

Alors que les femmes progressent au sein de la magistrature, elles peinent toujours à s’imposer au barreau. Les inégalités de genre dans le domaine de la justice montrent qu’au XXIème siècle, les femmes ont encore des difficultés à atteindre les hautes sphères.

«Lorsque j’ai été élue en 1990, la question récurrente était: vous êtes là, car vous avez effectué un plan de carrière? Ma réponse: pas du tout», relève Anne Colliard, première procureure générale de Suisse, qui a pris sa retraite à la fin de l’année dernière. Aurait-on posé la même question à un homme? Mystère. Par contre, ce qui est certain, c’est que l’élection d’Anne Colliard à la tête du Ministère public du canton de Fribourg a créé la surprise.

Elue procureure générale à 38 ans, Anne Colliard a effectué une brillante carrière. Un parcours qu’elle n’a pas «planifié», mais construit petit à petit, au fil d’heures de travail et d’une organisation de fer.

«Vous ne pouvez pas exercer la fonction de procureure général à temps partiel, essentiellement en raison du suivi que cela demande. Cette fonction, c’est plutôt du 150%, avec les samedis, les dimanches et les soirs très tard, pour ne pas hypothéquer les moments avec mon fils. Cela demande un grand investissement professionnel et un entourage qui apporte son soutien», note la fraîche retraitée. Autant d’éléments qui peuvent décourager. La preuve, aujourd’hui, en Suisse, seulement une femme occupe le poste de procureure générale, dans le Jura.

Concilier vie professionnelle et privée

Souvent, il appartient toujours aux femmes de jongler entre le bureau, le biberon, les dossiers et le chiffon (cf: étude ci-contre). En raison de cet emploi du temps chargé, elles se tournent, donc, vers des postes à temps partiel. Et, dans le domaine de la justice, ils ne sont pas légion. Non seulement parmi les procureurs généraux, mais aussi parmi les avocats. «Avoir des avocats à temps partiel n’est toujours pas entré dans les pratiques des tribunaux, c’est mal perçu», souligne Anne-Louise Gillièron, avocate et présidente de l’Association Alba (Avocates à la barre).

Ainsi, les femmes sont nombreuses à effectuer des études en droit et à réaliser un brevet d’avocat, mais par la suite, elles se volatilisent. Selon les chiffres de la Fédération suisse des avocats, en 2010 le pays recensait seulement 23% d’avocates. La palme revient aux deux demi-cantons d’Appenzell, qui enregistrent seulement une femme parmi leurs 32 avocats membres.

La magie du temps partiel

Encourager le temps partiel, pour plus de parité? Au sein de la magistrature, la formule a fonctionné. Le nombre de femmes a fortement augmenté suite à l’introduction de temps partiels, il y a environ six ans. Dans le canton de Zurich, elles représentent environ 40% des magistrats. Et dans les cantons de Vaud et Genève, elles sont même plus nombreuses que leurs collègues masculins. Avec un pourcentage qui s’élève respectivement à  54% et 53%.

«A moyen terme, j’ai l’impression qu’il y aura autant de femmes que d’hommes dans la magistrature, voire une majorité de femmes. En France, c’est déjà une réalité à l’Ecole nationale de la magistrature», relève François Bohnet, responsable romand de l’Académie suisse de la magistrature et vice-doyen de la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel.

A chaque genre ses dossiers

Si le temps partiel permet de favoriser la parité, il ne gomme pas pour autant les inégalités de genre qui sévissent dans le monde de la justice. Et dans tous les métiers situés au sommet de la hiérarchie professionnelle, comme le souligne Patricia Roux, professeur et responsable du Centre en études genre à l’Université de Lausanne (LIEGE). «Plus on monte dans la hiérarchie, plus les obstacles sont importants pour les femmes et plus il leur est difficile de percer le ‘plafond de verre’. Le même mécanisme agit avec les salaires. Il y aura moins d’inégalité salariale entre un ouvrier et une ouvrière qu’entre un avocat et une avocate.»

Un mécanisme de genre très marqué dans l’univers des avocats. En particulier parmi les dossiers attribués aux femmes, généralement exclues du droit lié aux affaires. «Les conseils d’administration se déclinent au masculin, alors ils vont plutôt confier leurs mandats à des hommes. Tant que la femme n’a pas investi le monde des affaires, cela ne changera pas», souligne Anne-Louise Gillièron.

Ecartées du droit pénal

L’économie aux hommes, la famille aux femmes. En matière de droit, l’attribution des affaires présente parfois des relents d’une société archaïque. «C’est une question de prestige, mais aussi de division des tâches entre hommes et femmes. Au vu de leur socialisation, les femmes s’orientent généralement vers les thèmes de la famille, des soins. Si on vivait dans un contexte où la famille n’était pas de la responsabilité des femmes, on ne retrouverait pas de tels choix au niveau professionnel», note Patricia Roux.

Conditionné socialement, le choix des femmes finit parfois par ne plus en être un. «Quand vous faites un bilan de votre clientèle et que vous voyez que sur dix ans vous n’avez jamais reçu de désignation pénale, vous vous dites que ce n’est pas possible. Les tribunaux ont exclu les femmes du droit pénal. Avec l’introduction du nouveau code pénal, au premier janvier de cette année, on nous a promis que la situation allait changer, on verra. Ce qu’il faut, c’est respecter un vrai tournus des avocats pour les désignations d’office au pénal», note Anne-Louise Gillièron.

Création. L’Association vaudoise Alba (Avocates à la barre) a été créée le 8 mars 2011. Elle a été fondée par des avocates vaudoises. Elle est présidée aujourd’hui par l’avocate Anne-Louise Gillièron, qui possède sa propre étude à Yverdon.

But. Elle a été fondée dans le but de promouvoir et de faciliter l’exercice par les femmes de la profession d’avocat. Elle milite notamment contre le fait que le public «prête aux avocates une vocation quasi exclusive pour le droit de la famille et la protection des enfants.»

Actions. L’association cherche aussi à encourager le réseautage parmi les avocates, en particulier pour faire passer l’idée de postes à temps partiel. Car travailler en réseau permettrait d’assurer une permanence et de répondre aux urgences. Dans l’optique d’encourager une meilleure conciliation entre vie professionnelle et privée, l’association est également en train de mettre sur pied une garderie, qui propose des horaires compatibles avec le métier d’avocate.

Soutien. Pour soutenir les avocates, l’association organise également des conférences et des cours de formation continue. A la connaissance de la présidente d’Alba, il n’existe pas d’association similaire en Suisse allemande.

Deux fois plus. Selon la dernière étude de l’Office fédéral de la statistique sur le sujet, en 2007, les femmes consacrent deux fois plus de temps que les hommes au travail domestique et à la famille. Avec une moyenne de 30 heures par semaine contre 18 heures pour les hommes.

54 heures. Pour les femmes en couple avec enfants de moins de 15 ans, ce temps s’élève à 54 heures par semaine et dépasse le nombre ordinaire d’heures de travail hebdomadaire d’une personne exerçant une activité professionnelle. Les hommes de cette catégorie participent à ces tâches avec une moyenne de 28 heures par semaine en plus de leur activité professionnelle.

 

Source: Office fédéral de la statistique

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