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Tristesse, douleur et questions autour de la mort de Marie

Plus de 200 personnes ont participé à la marche blanche en hommage à Marie, ce mercredi 15 mai 2013 à Payerne. Keystone

Le meurtre d’une jeune femme de 19 ans à Payerne, dans le canton de Vaud, choque population et autorités et met la justice sous pression. Le bourreau de Marie avait été condamné à 20 ans pour assassinat et purgeait la fin de sa peine à domicile. La presse suisse s’indigne et s’interroge.

Une nouvelle mort sauvage et absurde traumatise la Suisse. Il y a quatre ans, Lucie, une jeune fille au pair fribourgeoise de 16 ans, était tuée en Argovie par un récidiviste qui avait pu se faufiler entre les mailles de la justice. C’est également le cas de C. D., 36 ans, le meurtrier de Marie, condamné en 2000 à vingt ans de prison pour l’assassinat de son ex-amie. L’homme bénéficiait depuis août 2012 des arrêts domiciliaires, avec un bracelet électronique.

Mercredi, la ministre cantonale vaudoise de la Sécurité Jacqueline de Quattro a ordonné une enquête administrative et promis devant la presse de «faire toute la lumière pour que Marie ne soit pas partie en vain». «Il faudra nous expliquer comment un prédateur sexuel a pu se retrouver dans la nature», a dit la magistrate. Une question que pose également l’ensemble de la presse.

«Comment est-ce possible?»

«Comment un tel monstre a-t-il pu être remis en liberté? Comment est-ce possible? Cette question, après le meurtre de Marie, la Suisse entière se la pose», résume La Liberté de Fribourg. Pour le quotidien, «le système judiciaire devra sérieusement faire son introspection. C’est une condition sine qua non pour retrouver la confiance des citoyens, mise à mal par un tel événement».

Pour le Blick, «les autorités savaient que les criminels les plus dangereux ne se tiennent pas aux règles. Et pourtant, elles n’ont rien fait». Et de mettre en cause, comme nombre d’autres titres, l’efficacité du bracelet électronique, qui n’offre qu’«une sécurité trompeuse». «On peut le couper sans difficulté, ce qui ne déclenche même pas une alarme. Et il n’a pas non plus d’émetteur GPS. Dans une situation critique, il n’aide donc ni à localiser l’assassin ni à l’empêcher à temps d’accomplir son cruel forfait».

«Comment cet abominable personnage s’est-il retrouvé dehors?», demande lui aussi Le Matin. Qui pointe du doigt la compétence et la formation du personnel qui statue sur les exécutions de peine, et la fiabilité des outils d’évaluation de la dangerosité. «Après le meurtre de Lucie, on avait dit «plus jamais ça». On va le répéter, une fois encore, après la mort de Marie: plus jamais ça. en espérant de tout notre cœur que cette fois (de trop) soit la dernière».

«Plus jamais ça. La promesse est hélas «intenable», note tristement 24 heures. Car elle «nie autant les déviances de la nature humaine, son ingéniosité dans l’expression du mal, que l’équilibre entre règles sociales et liberté individuelle qui fonde nos démocraties».

Enfermement à vie

«Pourquoi tant de légèreté?, demande La Regione. Qui a ignoré les profonds déséquilibres toujours présents chez l’assassin, pourtant documentés par des témoignages?» Pour le quotidien tessinois, la réponse se trouve très probablement dans un vice de procédure.

Le Bündner Tagblatt rappelle qu’au début de 2004, le peuple suisse a accepté une initiative populaire qui préconise l’internement à vie «pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables». «Hélas, note le journal, les psychiatres et les juges en charge des dossiers pensent d’abord au ‘pauvre’ assassin, qui aurait pu évoluer favorablement au cours de ses années de détention, plutôt qu’aux victimes potentielles que sa libération pourrait faire».

«Ici, on doit enfin changer sa manière de penser, plaide le quotidien grison. Car visiblement, de tels assassins arrivent toujours à berner psychiatres et curateurs».

Parallèlement à la pression qui s’exerce maintenant sur la justice et les autorités d’exécution des peines, l’Aargauer Zeitung voit «la tentation de succomber aux recettes populistes». «Mais que faire?, se demande le quotidien. Enfermer à vie les délinquants sexuels et violents? Pour certains, la réponse doit être oui. Mais le dilemme avec lequel les juges doivent se débattre, c’est de savoir lesquels».

«Il ne reste qu’à espérer que la mort de Marie n’aura pas été inutile», écrit la Neue Luzerner Zeitung. Les autorités vaudoises doivent «tout mettre en œuvre pour que les responsables de cette mauvaise décision à conséquences mortelles perdent leurs fonctions. Et au-delà, la mort de Marie doit créer une secousse dans tout le pays: dans toutes les instances officielles, on doit réaliser qu’en cas de danger mortel, on ne saurait tolérer le moindre compromis».

A mort!

De quoi ouvrir un débat sur la peine de mort? «Le meurtre de Marie est injuste, insensé, révoltant. Mais même dans des circonstances aussi tristes, aussi dramatiques, il faut savoir raison garder, avertit La Liberté. Dans les cafés, sur les réseaux sociaux, la vox populi réclame la mise à mort de l’assassin. Ce n’est évidemment pas une solution. Mais que faire, alors, avec des individus présentant tous les symptômes de dangereux désaxés?»

«Après le meurtre de Lucie, après celui de Marie, c’est toujours à cette lancinante question que la justice, les politiques, la société devront s’efforcer de chercher une réponse», conclut le quotidien fribourgeois.

Avant l’assassinat de Marie, d’autres meurtres commis par des récidivistes ont marqué les esprits en Suisse. Les cas les plus connus :

 

1980-89. Cinq enfants meurent assassinés par Werner Ferrari. L’homme avait déjà tué un enfant de 10 ans en 1971 à Reinach (Bâle-Campagne), mais avait été remis en liberté en 1979. Il a été condamné en 1995 à la prison à vie.

1989. Un jeune homme purgeant une peine pour des délits sexuels et des incendies criminels tue Doris Walker, âgée de 10 ans, à Cerlier (Berne). Il profitait d’un congé à l’occasion de la Fête des vendanges.

1993. Erich Hauert, assassin et violeur multirécidiviste, tue pendant un congé accordé par le pénitencier de Regensdorf (Zurich) une scoute de 20 ans à Zollikerberg. Cinq fonctionnaires zurichois, dont l’ancien directeur de la prison de Regensdorf et l’ex-chef du service cantonal de psychiatrie pour les prisonniers, sont accusés d’homicide par négligence. Une proposition de conciliation met un terme au procès en 1997.

1996. Un multirécidiviste agresse, maltraite et viole Katja Vetsch, 13 ans, à Lienz (Saint-Gall). Il la jette dans un canal, mais elle survit par miracle. La marraine de la victime, Anita Chaaban, lance en 1998 l’initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents». Contre la volonté du Parlement, l’initiative est acceptée par le peuple en 2004.

2008. Un homme condamné à plusieurs reprises pour viols et lésions corporelles poignarde chez lui à Märstetten (Thurgovie) une prostituée thaïlandaise. Il écope du premier internement à vie prononcé par la justice suisse.

2009. Lucie, jeune fille au pair fribourgeoise de 16 ans, est tuée à Rieden bei Baden (Argovie) par un récidiviste. L’homme, condamné en 2004 pour tentative d’assassinat, avait été libéré de manière conditionnelle sept mois plus tôt.

2013

. C.D., condamné en 2000 à 20 ans de prison pour enlèvement, viol et assassinat, kidnappe Marie, 19 ans, à Payerne (Vaud). Son corps est retrouvé mercredi 15 mai à Châtonnaye (Fribourg). Depuis août 2012, il purgeait le reste de sa peine sous forme d’arrêts domiciliaires. La Fondation vaudoise de probation avait demandé la fin de ce régime, mais l’intéressé avait fait recours et obtenu un effet suspensif.

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