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«Le risque zéro n’existe pas»

La sociothérapeute a été retrouvée jeudi, quelques heures après sa disparition. Keystone

Le meurtre d’une sociothérapeute accompagnant seule une sortie d’un violeur récidiviste bouleverse la presse nationale. Les commentateurs s'interrogent sur les failles du système. «Comment est-ce possible?», titre le Matin, résumant l’indignation générale.

Lucie en 2009, Marie le printemps dernier, et maintenant Adeline, assassinée jeudi dans le canton de Genève. Ces meurtres commis par des violeurs récidivistes suscitent beaucoup d’émotion et, surtout, beaucoup d’interrogations, sur la justice suisse, les mesures d’accompagnements des peines ou encore le régime des sorties.

Fabrice A., qui purgeait une peine cumulée de 20 ans pour viol, aurait pu demander une libération conditionnelle en 2015. Il était suivi par le centre La Pâquerette, au sein de la prison genevoise de Champ-Dollon, qui accueille des condamnés à de lourdes peines atteints de désordres graves de la personnalité en vue de les préparer leur sortie de prison.

C’est dans cette optique que le violeur récidiviste se rendait jeudi dans le cadre d’une sortie autorisée avec Adeline, sa sociothérapeute, dans un centre équestre de Bellevue.

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Unifier un système disparate

«En Suisse romande, le système pénitentiaire et la psychiatrie devraient travailler plus étroitement ensemble. Comme c’est le cas du côté alémanique, où l’on travaille pour la société et non pour le détenu», lance Benjamin Brägger pour dénoncer le «laxisme» du système dans la Suisse latine.

Déplorant l’existence de trois systèmes dans le pays, ce chargé de cours aux universités de Berne et de Lausanne appelle dans LaLiberté de Fribourg à la création de bases légales obligeant les psychiatres et les psychologues à transmettre les informations durant les thérapies ordonnées par la justice: «Le secret médical est important, mais on joue avec des vies.» Et de rappeler que «les violeurs sont des manipulateurs de première catégorie. Ils peuvent faire semblant d’avoir appris sans qu’il y ait de changement profond».

La ministre vaudoise de la sécurité Jacqueline de Quattro renchérit dans la NZZ am Sonntag, estimant que les délinquants violents ne doivent pas bénéficier de sorties éducatives, même sous escorte policière. «En Suisse alémanique, il est par exemple précisé dans un concordat d’exécution des peines que ce type de délinquant ne peut être accompagné que par des hommes.»

«Seuls les prisonniers ayant clairement fait des progrès, et de surcroît considérés unanimement par plusieurs experts indépendants comme n’étant plus dangereux, devraient pouvoir se réhabituer à la liberté vers la fin de leur peine de prison», relève Jacqueline de Quattro, qui est également vice-présidente de la Conférence latine des chefs des départements de Justice et Police.

En cela, Jacqueline de Quattro est soutenue par le vice-directeur de ladite Conférence, le Zougois Beat Villiger, dans le SonntagsBlick. Il estime lui aussi que «les détenus ne doivent être accompagnés que par des hommes» et mise sur un système homogène au niveau national.

1980-89: cinq enfants meurent assassinés par Werner Ferrari récidiviste bâlois remis en liberté. Il a été condamné en 1995 à la prison à vie.
 
1989: un jeune homme purgeant une peine pour des délits sexuels tue Doris Walker, 10 ans, à Cerlier (Berne). Il profitait d’un congé à l’occasion de la Fête des vendanges.
 
1993: Erich Hauert, assassin et violeur multirécidiviste, tue pendant un congé accordé par le pénitencier de Regensdorf (Zurich) une scoute de 20 ans à Zollikerberg. Cinq fonctionnaires zurichois, dont l’ancien directeur de la prison et l’ex-chef du service cantonal de psychiatrie pour les prisonniers, sont accusés d’homicide par négligence. Une proposition de conciliation met un terme au procès en 1997.
 
1996: un multirécidiviste agresse, maltraite et viole Katja Vetsch, 13 ans, à Lienz (Saint-Gall). Il la jette dans un canal, mais elle survit par miracle. La marraine de la victime, Anita Chaaban, lance en 1998 l’initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents». Contre la volonté du Parlement, l’initiative est acceptée par le peuple en 2004.
 
2008: un homme condamné à plusieurs reprises pour viols et lésions corporelles poignarde chez lui à Märstetten (Thurgovie) une prostituée thaïlandaise. Il écope du premier internement à vie prononcé par la justice suisse.
 
2009: Lucie, jeune fille au pair fribourgeoise de 16 ans, est tuée à Rieden bei Baden (Argovie) par un récidiviste. L’homme, condamné en 2004 pour tentative d’assassinat, avait été libéré de manière conditionnelle sept mois plus tôt.
 
2013: C.D., condamné en 2000 à 20 ans de prison pour enlèvement, viol et assassinat, kidnappe Marie, 19 ans, à Payerne (Vaud). Son corps est retrouvé le 15 mai à Châtonnaye (Fribourg). Depuis août 2012, il purgeait le reste de sa peine sous forme d’arrêts domiciliaires. La Fondation vaudoise de probation avait demandé la fin de ce régime, mais l’intéressé avait fait recours et obtenu un effet suspensif.

12 septembre 2013: Adeline, sociothérapeute de 34 ans, accompagne un détenu à une thérapie équestre. Son corps est retrouvé quelques heures plus tard dans le canton de Genève. Le meurtrier présumé, violeur récidiviste, est arrêté trois jours plus tard à la frontière polonaise.

(Source: agences)

Pas de sortie

Natalie Rickli, députée démocrate du centre (droite conservatrice) déclare quant à elle au Matin Dimanche et au SonntagsBlick qu’«un délinquant sexuel ou violent ne devrait plus bénéficier de sortie jusqu’au terme de sa peine de prison après la première récidive», et qu’il ne devrait pas y avoir de deuxième ou troisième chance, comme dans ce dernier cas. Et la conseillère nationale zurichoise d’annoncer qu’elle va déposer une motion visant à modifier le code pénal dans ce sens.

Dans la NZZ am Sonntag toujours, Jacqueline de Quattro appelle au renforcement de la collaboration entre tous les cantons et à la création d’un registre national des détenus: «Il nous faut sortir de notre sacro-saint fédéralisme.» Une revendication qu’elle va présenter à la Conférence des directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), compétente pour l’adoption des concordats, qui peuvent ensuite être ratifiés par tous les cantons suisses.

Le président de ladite Conférence n’est pas de cet avis et s’en prend à la justice. Dans le Tages anzeiger, Hans-Jürg Käser émet ouvertement le vœu que les tribunaux prononcent à l’avenir «plus de mesures d’internement à vie», conformément à l’initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables», acceptée par le peuple suisse en 2004.

Nuances

Le problème n’est pas le justice, mais le système d’application des peines de prison, a rétorqué lundi matin Claude Rouiller, juge fédéral à la retraite. Sur les ondes de la Radio-télévision suisse (RTS), ce professeur de droit a estimé que, contrairement aux voix qui appellent à la suppression des mesures d’encadrement, il faut au contraire les améliorer. Répondant implicitement à la question du jour, Claude Rouiller relève que «le risque zéro n’existe pas».

De son côté, La Regione Ticino estime qu’il faut trancher au cas par cas. «Le système pénal se fonde sur un grand principe qui veut que celui qui a commis une faute envers la société doit la payer mais que cette dernière s’engage à le rééduquer. Il faut toutefois admettre que cet idéal est possible pour la majeure partie des délinquants, mais pas pour tous». Et le quotidien italophone de citer le cas du sadique de Romont: le risque de récidive demeure si élevé que, «dans l’intérêt public, il faut laisser le délinquant derrière les barreaux».

avec les agences

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