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Syngenta: les grains de la discorde

Le riz est représente l’aliment de base pour la moitié de l’humanité. Keystone

Le géant de l'agrochimie annonce une percée dans la cartographie du génome du riz. Mais doit faire face aux critiques de scientifiques et d'ONG.

La nouvelle a fait le tour de la planète. En collaboration avec des scientifiques chinois, des chercheurs de Syngenta ont publié vendredi dans la revue américaine Science une première ébauche du génome du riz.

Des résultats qui pourraient déboucher, à terme, sur une amélioration de la production. Et qui pourraient, finalement, permettre de mieux lutter contre la malnutrition. Le riz représente en effet l’aliment de base pour la moitié de l’humanité.

Syngenta veut garder le contrôle

Pourtant, un peu comme ce fut le cas dans le dossier du séquençage du génome humain, la bonne nouvelle est accompagnée d’une polémique. En effet, en mars, un groupe de scientifiques a demandé à Science de renoncer à cette publication.

Parmi les signataires de cette lettre, le Genoscope, le centre national français de séquençage génétique. «En autorisant Syngenta à publier des résultats sans que les données de base puissent être accessibles à l’ensemble de la communauté, affirme le directeur adjojnt du Genoscope Francis Quétier, Science ne respecte pas l’éthique qui est appliquée à tout le monde.»

En effet, le groupe bâlois a refusé de verser les séquences obtenues dans une base de données publique. Elle veut ainsi garder le contrôle de ces informations.

Mais Syngenta nie toutefois vouloir les garder pour elle seule. Elle prend l’engagement de collaborer, avec les organismes de recherche publics, à une version finale.

En outre, signale Syngenta, les données concernant cette première ébauche sont accessibles aux universitaires et aux chercheurs. Entre autres, via le site web de son Institut de recherche Torrey Mesa, à San Diego, en Californie. Même s’il y a des conditions.

30 millions de dollars investis

«Quand ces informations sont utilisées non pas dans un but académique, mais commercial, alors il faut s’entendre avec nous, explique Rainer von Mielecki, porte-parole de Syngenta. Avec une exception, les pays en développement.»

Le groupe suisse ne voit en effet pas de raisons de livrer à ses concurrents, sans autres, le fruit de deux ans de recherches. Un investissement de plus de 30 millions de dollars. «Nous sommes une société privée, fait remarquer Rainer von Mielecki. Nous devons gagner de l’argent.»

Quant à la revue Science, elle admet faire une entorse à ses règles de publication habituelles. Comme elle l’avait d’ailleurs fait dans le cas du génome humain, lors de la présentation des résultats obtenus par la société Celera.

Mais elle justifie cette exception. Notamment en mettant en avant l’avantage que représente la mise à disposition du travail de Syngenta.

Francis Quétier, lui, reste extrêmement sceptique. Il ne croit pas à la volonté de transparence de Syngenta. «C’est une opération publicitaire. Il faut se mettre à la place des lecteurs. Cela ressemble à une partie de poker: j’ai un très beau jeu, mais il faudra payer pour le voir.»

On ne peut pas breveter le vivant

Les critiques ne se limitent d’ailleurs pas à la communauté scientifique. Toute une série d’organisations non gouvernementales (ONG) luttent, elles aussi, contre les prétentions en matière de propriété intellectuelle dans le domaine génétique. Pour ces ONG, on ne peut pas breveter le vivant.

Et pourtant, ce domaine intéresse au plus haut point les acteurs industriels. Comme le reconnaît le rédacteur en chef de Science, Donald Kennedy, «de plus en plus de recherches fondamentales importantes passent dans le domaine privé.»

Reste à savoir comment sauvegarder l’intérêt public, dans ces conditions. François Meienberg, de la Déclaration de Berne, une ONG qui oeuvre en faveur des pays en développement, avance une piste. Une piste suggérée par le précédent du génome humain, où public et privé se sont retrouvés en concurrence.

«Pour moi, dit François Meienberg, la meilleur manière de faire en sorte que les compagnies privées changent d’attitude, c’est de pouvoir profiter d’une recherche publique très forte, qui pourrait faire la même chose».

swissinfo/Pierre Gobet, Zurich

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