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Tournant dans le bras de fer fiscal italo-suisse

Le conflit fiscal entre la Suisse et l'Italie pourrait bientôt trouver une issue. Keystone

Le bras de fer fiscal italo-suisse marque un tournant en prélude au voyage jeudi de Johann Schneider-Amman à Rome, où il doit rencontrer son homologue, le ministre italien de l’économie Paolo Romani. L’Italie se dit prête à renoncer à l’échange automatique d’information.

Lundi, la quatrième rencontre de dialogue économique italo-suisse à Côme a réservé une surprise à la trentaine de négociateurs et spécialistes dépêchés sur place par les deux gouvernements.

Avec pour filigrane un climat plus que tendu entre Berne et Rome depuis plus d’un an, l’issue de ces entretiens à huis clos dans les salons de la Villa Olmo de Côme, redonnent de l’espoir à la Suisse. La Confédération pourrait peut-être enfin bientôt disparaître de la liste noire italienne des paradis fiscaux.

Modèle français

«C’est ce qui se produira automatiquement en cas de signature d’un accord de double imposition entre les deux pays», a déclaré sur place Amedeo Teti, directeur de la politique commerciale internationale auprès du ministère italien du développement économique. Le diplomate a clairement laissé entendre une ouverture à un modèle d’accord «tel que celui cosigné par la France et la Suisse», a-t-il indiqué.

Plus concret, le futur délégué aux relations externes à Berne et à Milan pour l’économie tessinoise, Michele Rossi, présent à la rencontre comme observateur, a levé un coin du voile sur les échanges italo-suisses. «C’est la première fois que j’entends l’Italie évoquer ouvertement son aval pour abandonner l’échange automatique d’informations entre nos deux pays», a indiqué l’avocat luganais.

Deux «bleus»

Indépendamment de la nouvelle attitude italienne, la rencontre de travail de jeudi, entre Johann Schneider-Ammann et Paolo Romani suscite aussi l’espoir du côté helvétique pour une autre raison. Les deux ministres, récemment entrés en fonction, auront tout loisir de «repartir sur de nouvelles bases et en laissant de côté les tensions du passé», a encore souligné Michele Rossi.

Faire bouger les choses, c’est que souhaite Berne, mais aussi tout un pan de l’économie helvétique, qui subit de plein fouet les conséquences de la présence de la Suisse sur la liste noire italienne des paradis fiscaux.

Une «black list» qui a donné lieu cette année encore à plusieurs lois et décrets entravant les échanges commerciaux entre la Suisse et l’Italie et considérés par les milieux économiques comme une «ultérieure mise sous pression de la Suisse» et des «chicaneries destinées à mettre des bâtons dans les roues helvétiques».

Un problème de taille, qui pourrait se traduire en pertes importantes de part et d’autre de la frontière, puisque l’Italie forme le second partenaire commercial de la Confédération après l’Allemagne.

Violation des accords

Plus que des bâtons dans les roues, les pratiques italiennes traduisent même des violations à répétition des accords bilatéraux conclus entre les deux pays, estiment de nombreux observateurs, dont la ministre de l’économie et des finances du Tessin, Laura Sadis.

Une vision des choses qu’est loin de partager Amedeo Teti, qui masque à peine son agacement face à de tels propos: «Il n’y a pas de violation et la position de mon gouvernement est très claire là-dessus; dès que la Suisse aura signé un accord de double imposition, elle sera rayée de la liste et les autres mesures tomberont», a-t-il rétorqué sur un ton sans appel.

Son homologue, l’ambassadrice Monika Rühl Burzi, cheffe de délégation, ambassadrice, déléguée du Conseil fédéral pour les accords commerciaux, responsable des relations économiques bilatérales auprès du SECO, préfère se montrer plus prudente et donner une note positive à la rencontre.

«Mon homologue et moi souhaitons tous deux lancer un appel fort à nos ministres des finances respectifs, afin que les négociations reprennent rapidement et puissent se conclure au plus vite», a indiqué l’ambassadrice. «Il n’y a pas que la Suisse qui en sortirait gagnante, les exportations italiennes vers la Confédération aussi s’en porteraient mieux».

Parcours difficile

Mais la route pourrait encore être longue, même pour Johann Schneider-Amman et Paolo Romani. De toute évidence, le dialogue entre les autorités des deux pays n’est pas toujours synchronisé. Ainsi, pendant que Berne espère «bientôt entamer des renégociations», Rome, de son côté, évoque des «négociations sur le point de se conclure».

Sans compter que l’instabilité politique qui prévaut actuellement dans la Péninsule ouvre grand les portes à toutes sortes de scénarios, dont celui d’une arrivée au pouvoir du redoutable ministre des finances Giulio Tremonti pour succéder à Silvio Berlusconi. Une hypothèse qui donne des sueurs froides aux promoteurs d’un accord acceptable pour la Suisse ainsi qu’aux milieux bancaires helvétiques.

Perquisitions. En octobre 2009, le gouvernement italien ordonnait plusieurs descentes musclées dans des filiales de banques suisses en Italie pour traquer des fraudeurs du fisc. Ces méthodes avaient été qualifiées de «brutales et contraires aux accords bilatéraux» par la Suisse.

Amnisties. Avant et pendant ces événements, trois amnisties fiscales italiennes avaient aussi mis partiellement à sec des comptes de clients italiens sur la place financière de Lugano, la troisième de Suisse après Genève et Zurich. Le Tessin, qui s’était d’ailleurs senti peu écouté par Berne dans cet épineux dossier, a décidé de nommer un délégué aux affaires fédérales qui devra entrer en fonction en 2011.

Spécialiste. De son côté, l’ancien conseiller fédéral et chef du Département des finances Hans-Rudolf Merz avait nommé un conseiller politique en la personne de Renzo Respini, ancien conseiller d’Etat et conseiller aux Etats (sénateur) tessinois. Le mandat de Renzo Respini vient de toucher à sa fin. Durant sa mission, l’avocat tessinois a évité tout contact avec la presse et les conclusions de son travail n’ont pas été révélées pour l’heure.

Partenaire important. Malgré la décision de l’OCDE de biffer la Suisse de sa liste grise, l’Italie, elle, a maintenu la Confédération sur sa liste noire des paradis fiscaux. L’Italie est le deuxième partenaire commercial de la Suisse. Elle est son troisième marché d’exportation et son deuxième fournisseur. En 2009, la Suisse a importé des biens en provenance d’Italie pour CHF 18 milliards et a exporté des marchandises d’une valeur de CHF 15,8 milliards.

Paolo Romani, nouveau ministre italien de l’économie, est né à Milan en 1947.

Il est spécialiste des mécanismes économiques du marché audiovisuel et de la publicité.

Ses détracteurs le disent placé au gouvernement par Silvio Berlusconi pour défendre les intérêts de Mediaset (groupe détenu par le clan familial du premier ministre italien).

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