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L’amnistie fiscale italienne a fait le plein en Suisse

Quand les autorités fiscales italiennes surveillent à coups de vidéos la frontière helvétique. Keystone

L’amnistie fiscale italienne se termine ce mardi. Le bilan officieux fait état de quelques 100 milliards d’euros rapatriés en Italie, dont 5 milliards iront tout droit dans les caisses du Trésor. Une opération réussie pour Rome, mais douloureuse pour la place financière suisse.

Même si aucun chiffre officiel n’est disponible pour l’heure, en Italie, les experts affirment déjà que le scudo III (du nom de la troisième amnistie fiscale italienne depuis 2001), sera couronné de succès et devrait même dépasser les prévisions du gouvernement italien, qui tablait sur des rentrées fiscales de 4 milliards d’euros en 2010.

Le bilan de l’opération orchestrée par le ministre italien des finances et de l’économie, Giulio Tremonti, dépasse à lui seul le montant total des sommes rapatriées lors des deux précédentes amnisties italiennes.

Ainsi, avec les opérations de 2001 et 2003, 25 milliards d’euros avaient quitté les banques helvétiques (dont environ le 80% à Lugano), et près de 19 milliards d’euros avaient été régularisés auprès de l’Agenzia delle Entrate (fisc italien), mais étaient restés sous gestion en Suisse.

Facteur crise

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le succès de l’offensive italienne. La majorité des fraudeurs italiens qui placent leurs capitaux en Suisse, et au Tessin en particulier, proviennent du Nord de la Botte, généralement de Lombardie et du Piémont, et sont souvent des entrepreneurs et propriétaires de PME.

Or, depuis l’effondrement des marchés financiers, les banques italiennes n’injectent plus le moindre centime dans le tissu économique national. «Pour faire face à la crise et à leur besoin de liquidités, certains n’ont eu d’autre choix que de récupérer leurs capitaux à l’étranger», explique Franco Citterio, directeur de l’Association bancaire tessinoise (ABT).

Facteur peur

«Les opérations musclées orchestrées par Giulio Tremonti et largement répercutées par les médias dans la Botte, ont aussi rendus les gens méfiants», explique de son côté Emanuele Stauffer, avocat à Lugano et ex procureur tessinois.

«Ils nourrissent de grandes craintes pour l’avenir, car ils savent que les limiers du fisc italien ont rassemblé de grandes quantités de données et d’informations», ajoute-t-il.

Le juriste luganais fait allusion aux descentes de police dans des dizaines de banques et d’instituts financiers italiens en lien avec la Suisse, il y a quelques semaines, de même qu’aux prises de vue faites le long de la frontière italo-suisse ou encore aux filatures de clients italiens, de passage au Tessin.

Autrement dit, les fraudeurs ont préféré s’affranchir à un tarif avantageux (le versement de 5% du capital déclaré), et avant le 15 décembre, plutôt que de risquer de se faire pincer plus tard et subir les foudres de la justice qui promet de distribuer des amendes exemplaires.

… et le coup de pouce d’UBS

A cela s’ajoute que la confiance de la clientèle italienne à l’égard de la place financière helvétique a pris du plomb dans l’aile depuis l’affaire UBS aux Etats-Unis et la liste de noms de clients fournie à l’IRS (fisc américain) par la Suisse.

Tant pour Emanuele Stauffer que pour Franco Citterio, «ce climat d’incertitude et cette crise de confiance ont servi la cause du ministre italien des finances et de l’économie et, ont favorisé le retour de l’épargne de la clientèle italienne».

Pour Martin Maurer, de l’Association des banques étrangères en Suisse, «ce climat, conjugué à la morosité économique, a sans doute aussi dopé les volumes rapatriés», indique le spécialiste.

Le péril demeure

Néanmoins, au Tessin, certains préfèrent qualifier cette hémorragie de capitaux de «verre à moitié plein», plutôt que l’inverse. «Si environ 20% de l’épargne italienne sous gestion a quitté la place financière luganaise, mieux vaut se réjouir des 80% qui y sont restés!», déclare pour sa part le patron d’une fiduciaire du sud du canton, sous couvert de l’anonymat.

Mais, pour l’heure, les banquiers restent aussi prudents que discrets. Ils savent qu’un prolongement du scudo III, voire un scudo IV, comme le prédisent les plus pessimistes, peut les attendre au tournant.

En effet, la tradition politique italienne veut que vers la fin de chaque année, le Conseil italien des ministres se hâte d’adopter une volée de mesures, surnommé les «mille proroghe» (les mille prolongements). Soit un paquet législatif qui pourrait précisément permettre de relancer le décret d’amnistie.

Richissimes à l’abri

Une telle opération pourrait permettre de convaincre les plus récalcitrants, soit les détenteurs de très grosses fortunes. C’est du moins ce que pourrait espérer Giulio Tremonti. Mais, «ceux qui n’ont pas voulu amnistier leur fortune lors des précédentes relaxes ne le feront guère non plus aujourd’hui», explique cet avocat italo-suisse, dont une partie de la clientèle dispose précisément de capitaux très importants.

«Ces anciennes fortunes ne sont pas exposées à la crise et leurs détenteurs ont les moyens de ne pas se faire de souci», ajoute encore laconiquement le spécialiste.

La déroute italienne

D’autres penchent plutôt pour un bilan suffisamment satisfaisant pour que les autorités italiennes s’abstiennent de reconduire ou prolonger l’exercice. Il n’empêche que l’Italie est au bord du gouffre financier et ne parvient plus à faire face à ses dépenses.

«L’Italie est pire que l’Argentine, ce pays est au bord de la ruine!», affirmait il y a quelques jours, Giuliano Bignasca, le président de la Ligue des Tessinois, devant les caméras d’une chaîne italienne, en fustigeant le travail de Giulio Tremonti.

Sans aller aussi loin dans la comparaison, le Front monétaire international (FMI) avait tout de même qualifié le scudo III de Giulio Tremonti de «manœuvre désespérée». Avec ou sans prolongement du scudo, le gouvernement italien devra tôt ou tard empoigner le problème à la source. La Botte détient le record européen des revenus imposables non déclarés, et devance ainsi la Roumanie, la Bulgarie et l’Estonie.

Nicole della Pietra, Lugano, swissinfo.ch

Une récente étude de l’agence KLRS Network of Business Ethics, effectuée pour le compte de Contribuenti.it, (le site officiel des contribuables italiens) a montré que l’Italie détient le record de l’évasion fiscale en Europe, avec un taux de 51,2% de revenus imposables non déclarés.

Les deux précédentes amnisties italiennes de 2001 et 2003 avaient permis aux autorités de la Péninsule de recouvrer près de 25 milliards d’euros placés en Suisse.

Les scudi I et II prévoyaient le prélèvement d’une taxe de 2,5% pour les capitaux déclarés. Pour cette troisième amnistie fiscale, le montant avait été fixé à 5%.

Les contribuables repentis avaient le choix entre rapatrier matériellement ou juridiquement leurs avoirs placés dans des pays tiers. La seconde variante leur permettant de conserver leurs avoirs à l’étranger après déclaration et paiement de l’impôt.

Suite à des complications administratives, un délai d’une année supplémentaire a été accordé par l’Agenzia delle Entrate (fisc italien) aux «cas les plus compliqués». Il s’agit notamment des détenteurs de biens immobiliers, contraints de céder leur propriété avant de pouvoir en rapatrier la valeur en Italie.

Dans le sillage de la Péninsule, le canton du Jura a décidé de franchir le pas et va à son tour prononcer une telle relaxe pour les années 2010 à 2014.

Il devrait être bientôt suivi par le canton du Tessin – qui avait par ailleurs déjà prononcé une telle mesure en 1987 – où les partis bourgeois se déclarent favorables une amnistie cantonale.

Plusieurs experts, dont le professeur de droit fiscal tessinois Marco Bernasconi, plaident néanmoins pour une amnistie à l’échelle fédérale, comme celle de 1965, qui avait permis de recouvrer près de 11 milliards de francs.

Pour l’heure, une telle opération n’est pas une priorité pour la Berne fédérale, qui s’en réfère à la « bonne moralité des Suisses en matière fiscale » et qui met ex exergue l’aspect moral et éthique délicat de la question.

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