Des perspectives suisses en 10 langues

Une machine de titan pour traquer l’infiniment petit

A 100 mètres sous terre, un anneau de 27 kilomètres pour propulser des protons à un vitesse proche de celle de la lumière. Brice/Marcelloni

A quelques mois de sa mise en service, le CERN convie le public à visiter son nouvel accélérateur. Et à tenter de comprendre pourquoi seul un monstre pareil peut traquer les composantes infinitésimales de la matière.

C’est la plus grande collaboration scientifique de tous les temps. A cheval sur la frontière franco-suisse, aux portes de Genève, le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) s’apprête à enclencher son LHC, l’accélérateur de particules comme il n’y en a jamais eu au monde.

Après plus de 20 ans d’élaboration et sept ans de travaux, les portes ouvertes de ce dimanche 6 avril prennent donc un lustre particulier. Le public aura la possibilité de voir certaines parties très spectaculaires de «la bête», mais également d’assister à des démonstrations de physique amusante.

Car au-delà des chiffres, des milliers de tonnes de métal, des millions de kilomètres de câbles, des mégawatts d’électricité consommée (autant que tous les ménages du canton de Genève) et des milliards de francs dépensés, ce qui se fait ici n’est pas facile à appréhender.

Comme des experts en balistique

Fondamentalement, le CERN sert à essayer de comprendre la nature de la matière dont est fait tout ce qui est. Son domaine de recherche, ce sont les «grains» les plus ténus de cette matière, ces particules élémentaires plus petites que l’atome, plus petites encore que les protons, neutrons et électrons qui le composent.

Avec leurs noms exotiques: muon, lepton, méson, gluon, hadron ou boson, ces particules ont des comportements non moins inattendus. Certaines ne vivent que quelques fractions de seconde, d’autres sont les vecteurs des forces qui «tiennent» la matière ensemble, d’autres encore n’existent pour l’heure que sur le papier. Mais toutes sont indispensables pour faire de l’univers ce qu’il est aujourd’hui.

Faute de microscope pour les étudier, le physicien n’a guère de choix que de «lancer» les uns contre les autres des paquets de protons pour les faire éclater en particules. Son travail ressemble alors à celui d’un expert en balistique, qui analyse les traces laissées par les collisions.

Pour que celles-ci deviennent intéressantes, il est indispensable d’accélérer les protons à des vitesses phénoménales (proches de celle de la lumière, soit 300’000 km/seconde) et de construire des détecteurs plus hauts que des maisons.

Ainsi ATLAS, la plus grosse de ces «cibles» installée sur l’anneau du LHC pèse 7000 tonnes pour 46 mètres de long, 25 de large et autant de haut. C’est le plus grand détecteur de particules polyvalent du monde, intégrant 100 millions de capteurs, qui vont permettre de déterminer les trajectoires des particules avec une précision de l’épaisseur d’un cheveu.

Higgs, antimatière et matière noire

Il n’en faut pas moins pour affiner les modèles généralement admis en physique des particules. Avec le LHC, les chercheurs espèrent enfin parvenir à déceler la signature du boson de Higgs, un des chaînons manquants de leur théorie.

Mais ils pourraient aussi arriver à la conclusion que cette particule n’existe pas. Ce qui selon eux ne serait pas moins intéressant, et obligerait à revoir le modèle.

Autre quête: celle de l’antimatière, ce double en négatif de la matière, que le CERN sait déjà fabriquer. Ici, il s’agira de comprendre pourquoi lors du Big Bang, l’explosion initiale dont est née l’univers, la matière a été créée en quantité supérieure à l’antimatière, comme l’atteste la disparition totale de cette dernière à l’état naturel.

Le LHC devrait également permettre de comprendre ce qu’est la «matière noire», qui pourrait constituer jusqu’à 85% de la masse de l’univers et qui est probablement faite de particules lourdes et invisibles.

Fantasmes de fin du monde

Le seul énoncé de quelques-uns des buts qu’il poursuit suffit à comprendre pourquoi le CERN excite toutes sortes de fantasmes. Dès sa naissance, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les scientifiques ont dû répéter au public que le N (pour «nucléaire») de son sigle n’avait rien à voir avec la bombe d’Hiroshima. Ni plus tard avec le désastre de Tchernobyl.

Ce qui n’a pas empêché l’écrivain Dan Brown, auteur du best-seller «Da Vinci Code» d’imaginer, dans «Anges et démons», une société secrète qui veut détruire le Vatican avec… une bombe à antimatière volée au CERN. Et l’adaptation prochaine du roman au cinéma (à nouveau avec Tom Hanks) risque de faire remonter la cote du mythe du savant fou.

Avec pas mal d’humour, les scientifiques du CERN ont répondu par Internet, afin de bien distinguer la réalité du fantasme. Ce qui a valu un regain de fréquentation notable au site de l’institution.

Et puis la semaine dernière, un Américain et un Espagnol ont déposé une plainte contre le CERN devant un juge d’Hawaii (!), arguant que le LHC risquait de créer un trou noir qui pourrait avaler la Terre, voire l’univers tout entier…

Là aussi, les scientifiques ont réagi avec flegme, rappelant que même si une collision entre deux protons peut effectivement faire naitre un mini trou noir, celui-ci est appelé à se dissoudre avant d’avoir eu le temps de gober quoi que ce soit.

Sans oublier cette évidence: pour avaler la Terre, un trou noir devrait être au moins un peu plus lourd que celle-ci. Or, les protons qu’utilise le LHC pèsent à peu près 16 puissance –27 kilos. Alors, à moins qu’une souris soit capable d’avaler le système solaire…

swissinfo, Marc-André Miserez

Dans le LHC, les protons tourneront à plus de 99% de la vitesse de la lumière. De quoi faire 11’245 fois le tour de l’anneau de 27 km en une seconde.

Tous ces protons sont extraits d’hydrogène standard. Bien que chaque faisceau en contienne d’énormes quantités, la machine devrait tourner pendant un million d’années pour «brûler» un gramme d’hydrogène.

La collision de deux faisceaux de protons génère des températures pouvant atteindre mille milliards de degrés. L’espace d’une fraction de seconde, un point minuscule devient ainsi le plus chaud de la galaxie.

A l’inverse, le cœur du LHC sera le plus grand congélateur du monde. 700’000 litres d’hélium liquide maintiendront les aimants à –271°, température plus basse que celle de l’espace intersidéral.

Les détecteurs du CERN produiront 70’000 gigabytes de données par seconde. De cette masse, on ne conservera pour analyse «que» l’équivalent de 100’000 DVD double couche par année.

Afin de permettre à quelque 7000 physiciens de tous les continents (sauf l’Antarctique) de participer à l’analyse de ces données, le CERN, qui avait déjà inventé le web («toile»), a mis des dizaines de milliers d’ordinateurs en contact via un réseau décentralisé nommée le grid («grille»)

Le projet scientifique le plus cher à ce jour reste le programme Apollo: 135 milliards de dollars pour envoyer des Américains sur la Lune.
Viennent ensuite:
La Station spatiale internationale, 100 milliards.
Le projet Manhattan (première bombe atomique), 25 milliards.
Les satellites GPS et l’ITER, réacteur expérimental de fusion nucléaire (en construction), 14 milliards chacun.
Le télescope spatial Hubble et le LHC, 6 milliards chacun.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision