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Calvaire d’une fille de 13 ans: choc et colère

La violence entre mineurs, un phénomène devenu commun en Suisse. Keystone

Au nord de Zurich, dans le quartier Seebach, où réside la jeune fille violée à plusieurs reprises par 13 garçons, beaucoup d'habitants expriment leur colère.

Cette affaire est survenue juste après la révélation d’un cas semblable dans le canton de Berne.

Sept heures du matin à la périphérie nord de Zurich. Est-ce la froideur de ce matin d’automne embrumé ou les infos de la veille? Les mines des Zurichois, dans les transports publics et dans les rues de ce vendredi, s’étirent en longueur.

On dirait que la «nouvelle» du jour fait son travail de sape dans les esprits, dégoûtant les bonnes âmes et les laissant dans l’incrédulité la plus totale. Comment des mineurs ont-il pu s’en prendre ainsi à une de leur camarade, âgée de 13 ans, la violant à plusieurs reprises ces dernières semaines, alors qu’elle était vraisemblablement amoureuse de l’un d’eux?

Pourtant, lorsqu’on arrive à l’école de Buhnrain, fréquentée par la victime et quatre de ses agresseurs,on a l’impression d’un joli petit quartier bien coquet. Quelques blocs se suivent pour arriver au sommet de cette petite colline, surplombée par les grandes bâtisses scolaires, mais aussi de jolies maisons avec de grands jardins.

«Je ne sors plus le soir!»

Le contraste avec les déclarations de la première personne interrogée est saisissant: «Moi j’ai peur ici, dit cette femme, quadragénaire. Les enfants de l’école sont très mal élevés, ils poussent les gens. Je ne sors pas le soir.»

Prouvant, si besoin est, que les mêmes conditions donnent lieu à des interprétations différentes, l’homéopathe qui prend son courrier un peu plus haut tempère.

«Il n’y a aucun problème ici, dit-il. Bien sûr, le soir, l’école sert de lieu de rassemblement et certains jeunes, déjà motorisés, accélèrent comme des fous dans la rue. Mais sinon, nous ne craignons rien.»

«Y’a qu’à renvoyer tous ces étrangers!»

L’homme pressé qui a déjà lancé le moteur de son 4×4, mais s’arrête pour lancer ses diatribes, voit les choses très différemment: «Il y a de la drogue et de la pornographie dans toutes les écoles du quartier. Je m’étais renseigné avant de choisir dans quelle école envoyer ma fille. C’est partout pareil, m’a-t-on répondu».

Et pour conclure, il a sa solution. «Ces étrangers violeurs, il n’y a qu’à les expulser et on sera de nouveau tranquille», assène le furieux, en oubliant que six des 13 agresseurs sont suisses.

Lorsqu’on redescend de l’autre côté de la colline, arrivant sur la gare de Seebach et des paysages urbains nettement plus tristes, un homme se montre plus nuancé. «Le quartier a souffert du déplacement de populations à problèmes décidé par la municipalité pour alléger les quartiers du centre», prétend-il.

«Mais je crois, ajoute ce père de famille, que les jeunes ont toujours fait des bêtises. De toute façon, nous vivons dans une société schizophrénique: d’un côté on laisse des filles mineures dormir avec leur copain chez leurs parents, voir tout ce qu’ils veulent sur internet, et après on s’étonne.»

Une autre habitante fait écho à la première passante. «Je ne sors plus le soir, dit-elle, où alors je prends le taxi. Les jeunes lancent des cailloux contre les fenêtres. C’est devenu très difficile, ici, ces dernières années.»

Retour à l’école. Faisant une sorte de piquet devant le bâtiment scolaire, deux officiels de la ville accueillent les journalistes venus, tôt, tenter de parler aux élèves. Il y a dans ces murs quelque 300 élèves, âgés de 13 à 16 ans, suivant les trois filières de fin de scolarité, qui se nomment toutes «secondaires».

Le choc, puis les questions

Selon Roland Zurkichen, responsable des services d’intervention en cas de violence dans les écoles, l’école Buhnrain n’est pas connue pour être un lieu particulièrement sensible. «Nous sommes déjà intervenus, dit-il, mais pas forcément plus qu’ailleurs.»

L’affaire en cours est néanmoins une des pires qu’il ait eu à traiter. «J’ai réquisitionné des spécialistes pour être présents dans l’école. Les questions des élèves, des parents et des enseignants vont arriver dans un deuxième temps, après le choc.»

Un choc énorme puisque, outre les faits révélés, la police est venue arrêter les agresseurs fréquentant l’école en classe.

Des treize garçons, un seul court encore, le seul qui soit majeur. La jeune fille, elle, est toujours prise en charge et protégée par des services spécialisés.

swissinfo, Zurich, Ariane Gigon Bormann

Les cas de viols de mineurs sur mineurs défrayent la chronique depuis plusieurs mois en Suisse.

Fin août, les parents d’une fillette de 5 ans violée par deux garçons de 11 et 13 ans dans le petit village grison de Rhäzüns alertaient les médias parce qu’ils ne se sentaient pas pris suffisamment au sérieux par les autorités.

En octobre, on apprenait que trois garçons avaient violé une camarade de classe de 12 ans à Felsberg toujours dans les Grisons.

A Steffisburg (BE), un cas d’agression sexuelle sur une jeune fille de 14 ans par plusieurs jeunes, a été rendu public en début de semaine. L’enquête a révélé que les agresseurs s’en étaient pris à une autre jeune fille âgée de 14 ans il y a un an.

Seebach, au Nord de Zurich, est l’un des trois quartiers formant le «Kreis 11», avec Affoltern et Oerlikon. Il compte 20’000 personnes (370’000 dans toute la ville à fin juin 2006), dont 36% d’étrangers (30% en moyenne municipale). Un étranger sur cinq est originaire de Serbie ou du Monténégro.

Depuis plusieurs années, l’amélioration de la qualité de la vie est un sujet de préoccupation des autorités. Dix groupes de travail, dont l’un intitulé «contre la violence» ont été formés, dont les projets devraient être réalisés peu à peu.

A côté, une partie d’Oerlikon a vécu ces dernières années un lifting complet qui n’est pas encore couronné de succès, selon ses nouveaux habitants. «Neu Oerlikon», construit en grande partie sur les anciens sites industriels d’ABB, a la réputation d’être inanimé et triste.

Seebach compte moins de 10% de diplômés universitaires, contre au moins 20% dans les communes de la rive «dorée» du lac de Zurich, par exemple. Entre 30 et 35% de la population gagne moins de 30’000 francs de revenu imposable par année.

Autre signe d’inconfort: alors que chaque habitant de Zurich a en moyenne 41,4 mètres carrés à disposition, ceux de Seebach sont en-dessous de la moyenne, avec 36,7 m2, un des taux les plus faibles de la ville.

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