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Carla del Ponte s’en va sur un demi-succès

Dès janvier prochain, Carla Del Ponte prendra ses fonctions d'ambassadrice en Argentine Keystone

La procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Carla del Ponte, quitte ses fonctions le 31 décembre. Au terme de huit années à la tête du parquet, la Suissesse part sur un semi-succès, voire un échec partiel.

Les deux hommes les plus recherchés, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, sont toujours en fuite. Et plusieurs procès, parmi les plus importants, ont révélé les faiblesses du parquet.

«Vous l’imaginez en train de faire de la couture ou de jardiner? Elle planterait les bulbes à l’envers !», s’exclame, avec un sourire affectueux, l’une de ses assistantes. Au terme de huit années à la tête du parquet TPIY, Carla del Ponte rêvait de décrocher. Elle sera finalement ambassadeur en Argentine.

A première vue, la Suissesse n’est pourtant pas un modèle de diplomatie. Mais si elle tempête, n’hésite pas à taper du poing sur la table et convoquer une conférence de presse pour dénoncer un ministre serbe inscrit aux abonnés absents, «Carla del Ponte sait aussi plier l’échine», lance un ex collaborateurs.

Naïve, compréhensive

Elle qui a longtemps dénoncé et menacé, jamais elle n’aura dévoilé par le détail les compromissions de la communauté internationale dans la traque aux fugitifs ou dans les enquêtes. Carla del Ponte a même été compréhensive. Parfois…

«C’est difficile de demander à un Etat de mettre en branle toute la machinerie. Et le terrorisme a gâché notre travail !»

Impulsive, spontanée, directe, elle fait preuve d’une naïveté souvent désarmante. «Comment peut-elle être si naïve et croire les promesses de Belgrade ?» s’interroge une journaliste serbe. Au cours des six derniers mois, le baromètre de Carla del Ponte s’est affolé, ses avis sur la coopération de Belgrade avec le tribunal, attendus par l’Union européenne (UE), sautant du rouge au bleu.

Une naïveté qui a aussi déçu les mères de Srebrenica, une association de rescapés de cette enclave de Bosnie tombée aux mains des Serbes en juillet 1995. La Suissesse semble à bout de souffle dans sa course aux fugitifs et quatre hommes manquent encore à son tableau de chasse dont les ex chefs des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, inculpés pour génocide et en fuite depuis 12 ans.

Une escarcelle bien rermplie

Devant le Conseil de sécurité, le 10 décembre, la procureure n’exprimait plus que de la «déception», laissant sourdre une profonde lassitude.

Mais en huit ans, 91 ministres, chefs d’état major et soldats, ancien chef des renseignements, paramilitaires et présidents, sont tombés dans son escarcelle. Et beaucoup se demandent si la stratégie déployée par ses conseillers survivra à son départ: utiliser les échéances politiques pour faire tomber les fugitifs.

En Croatie, la méthode avait été couronnée de succès avec l’arrestation du général franco-croate Ante Gotovina en 2005. Un «jeu de cache-cache» qui fascine Carla del Ponte. «Lorsque j’aurai Karadzic, je lui demanderai comment il a fait pour fuir pendant dix ans ! C’est une curiosité…», disait-elle.

Pister l’argent, chercher la femme

Lors du décès de Slobodan Milosevic dans sa cellule, en 2006, elle évoquait le défunt tel un partenaire de jeu. «Il a triché, lançait-elle. Il nous a coupé l’herbe sous les pieds».

Carla del Ponte aime traquer les criminels. Sa méthode: pister l’argent, chercher la femme. Lorsqu’elle prend les rênes du parquet en 1999, c’est à l’argent de Slobodan Milosevic qu’elle s’intéresse. Quant aux soutiens de Radovan Karadzic, elle s’interroge sur les actions des forces internationales en Bosnie. «Que font-ils ? Qui surveille la femme de Karadzic ? Si on demande qui contrôle la femme de Karadzic, on a aucune réponse !»

Si le style del Ponte a mobilisé l’opinion publique, c’est donc naturellement sur elle que se sont cristallisés toutes les amertumes face aux multiples faux pas de cette justice internationale. La traque aux fugitifs lui a permis d’enregistrer les succès, mais dans le prétoire, le bilan est pour l’heure peu glorieux pour le parquet.

Passer le relais

L’ouverture du procès de l’ancien chef des renseignements, Jovica Stanisic, la plus importante affaire du TPIY, est pour l’heure reportée. Le procès de l’ancien Premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj, se termine sur un cuisant échec du parquet.

Le procès de Vukovar, l’un des épisodes les plus sanglants de l’épuration ethnique en Croatie, s’est soldé par la relaxe, en septembre, de l’un des trois officiers serbes accusés et a provoqué la colère de Zagreb, qui entend de nouveau poursuivre ces hommes devant ses propres tribunaux.

Enfin, le décès de Slobodan Milosevic a plongé le Tribunal dans un profond «coma», selon les termes de Carla del Ponte. Coma dont il tarde à émerger. Après la mort de Milosevic, pour accélérer les procès, comme demandé par l’ONU, les juges opéraient des coupes sombres dans les inculpations.

«On massacre mes actes d’accusation !» se plaignait Carla del Ponte, portant l’affaire devant le Conseil de sécurité. Mais New York n’aimait pas les turpitudes de La Haye et l’avait fait savoir.

Désigné par New York, son successeur, le magistrat belge Serge Brammertz, qui n’est pas un homme du sérail, est contesté au sein du parquet. L’avenir dira si Carla del Ponte aura su passer le relais.

swissinfo, Stéphanie Maupas à La Haye

13 septembre 1999: Carla del Ponte est élue procureure générale des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, par l’Assemblée générale des Nations unies.

Dans la nuit du 28 au 29 juin 2001, Slobodan Milosevic est transféré à la prison du tribunal de La Haye.

28 août 2003: Carla del Ponte perd son mandat à la tête du parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Elle est reconduite pour quatre ans au tribunal pour l’ex-Yougoslavie.

31décembre 2004: Carla del Ponte boucle ses enquêtes et émet ses derniers actes d’accusation. Le Conseil de sécurité demande aux tribunaux de fermer leurs portes aux alentours de 2010.

Août 2007: le Conseil de sécurité étend le mandat de Carla del Ponte au 31 décembre 2007, le temps que son successeur, le magistrat belge Serge Brammertz quitte son poste à la tête de la commission d’enquête internationale sur le Liban.

Créé par le Conseil de sécurité des Nations unies en 1993, le Tribunal a émis 161 actes d’accusations à l’encontre des responsables de crimes commis pendant les guerres d’ex-Yougoslavie.

– Née en 1947 à Bignasco, au Tessin.
– Etudes de droit international à Berne, Genève et en Angleterre.
– 1981: nommée procureure du Tessin.
– Se fait remarquer par son combat contre le blanchiment d’argent, la criminalité organisée et le commerce illégal des armes.
– 1994 à 1999: procureure de la Confédération, dont le travail est diversement apprécié, parfois critiqué.
– 1999: nommée procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan. Mandat qu’elle quittera fin 2007.
– Dès janvier 2008, la Tessinoise prendra ses fonctions d’ambassadrice en Argentine.

La création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui a son siège à La Haye (Pays-Bas) a été décidée le 25 mai 1993 par le Conseil de sécurité de l’ONU. Il a pris ses fonctions en décembre 1994.

Il est chargé de la poursuite pénale des crimes graves commis dès 1991 sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.

Ouvert en février 2002, le procès contre Slobodan Milosevic, président de la Yougoslavie puis de la Serbie, avait été particulièrement suivi. Milosevic est mort peu avant la fin du procès, en mars 2006.

Toujours en fuite, entre autres: Radovan Karadzic, ex-leader des Serbes de Bosnie, et Ratko Mladic, ex-commandant de l’armée de la République serbe de Bosnie.

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