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Derrière la vidéosurveillance…«big brother»

Il y a une caméra pour 180 Suisses, contre une pour 14 Londoniens. Keystone

La demande sécuritaire explose et la technologie se développe plus vite que la loi. Du coup, la peur de ce «grand frère» difficile à contrôler surgit à nouveau.

Presque toutes les surfaces commerciales et les banques sont équipées de caméras de surveillance. Il y en aurait déjà 40’000 en Suisse.

Terrorisme, violence, vandalisme, l’actualité constitue un terrain favorable à la fièvre sécuritaire. La vidéosurveillance connaît une vogue qui lui donne une sorte de légitimité au point de la banaliser.

Ces caméras, fixes ou mobiles, avec ou sans zoom, sont souvent très discrètes, même si la loi exige de les signaler. On en compte une centaine dans la gare de Zurich. Et près de 400 au centre-ville de Genève. C’est ce qu’a compté Francisco Klauser, de l’Université de Fribourg, en train de rédiger une thèse sur la question.

Le chercheur estime qu’il y en aurait déjà 40’000 en Suisse, selon les informations fournies par les vendeurs de caméras. «A Londres, un habitant est filmé 300 fois par jour. On y viendra peut-être en Suisse si on ne fait pas attention», déclare-t-il à swissinfo.

Pas de cadre légal

Il n’existe pas de loi fédérale ou cantonale régissant directement la vidéosurveillance, qui est soumise à la loi fédérale sur la protection des données. Pour l’instant, elle est autorisée dans les lieux privés, comme les parkings, les centres commerciaux ou les trains et gares CFF.

La police a également le droit de filmer pour surveiller le trafic, mais elle doit obéir à des critères stricts. Les caméras doivent être signalées, les images être effacées après 24 heures, leur transmission à des tiers interdite, sauf en cas d’enquête judiciaire et l’utilisation doit être justifiée.

Pour Jean-Philippe Walter, préposé suppléant à la protection des données, «on peut recourir à la vidéosurveillance tant qu’il n’y a pas d’autre moyen d’assurer la sécurité et qu’on n’atteint pas à la sphère privée des gens».

Francisco Klauser, lui, relève qu’il est difficile de savoir ce qu’il advient effectivement des images enregistrées. Car il n’existe pas d’autorité de surveillance et personne n’intervient tant qu’il n’y a pas de plainte.

En réalité, n’importe qui peut installer un système de surveillance et personne ne vérifie que c’est dans un but sécuritaire. Pourquoi pas sur le lieu de travail? D’autre part, les caméras qui permettent de zoomer rendent floue la limite entre espace privé et public.

Le géographe fribourgeois s’étonne qu’il n’y ait pas plus de citoyens qui se posent des questions sur des risques d’atteinte à la sphère privée et qu’il n’y ait quasiment pas de débat politique.

Pas vraiment dissuasives

En outre, Francisco Klauser n’est pas convaincu des effets dissuasifs: «Les études, notamment en Grande-Bretagne, montrent qu’au début, on note une diminution de la criminalité aux endroits ciblés» mais la présence des caméras est vite oubliée, voire banalisée.

Le rapport 2004 sur la sécurité des CFF affirme que la recrudescence de la violence et du vandalisme dans les trains régionaux a pu être enrayée depuis l’installation de caméras en janvier 2004. En Suisse romande, les déprédations auraient diminué jusqu’à 80% depuis 2002, selon la régie.

«Les CFF ont dû reconnaître que leurs chiffres ne sont pas très fiables, bref, il n’existe aucune donnée statistique fiable prouvant que la vidéosurveillance diminue la criminalité», affirme Francisco Klauser à swissinfo.

Noville, Blonay, Vevey, Bienne et Berne

Plusieurs communes utilisent ce système pour lutter contre les déprédations. Par exemple dans le canton de Vaud, Noville surveille depuis 2000 sa déchetterie pour tenter empêcher les dépôts illicites de batteries et de pneus.

Blonay a également installé en 2000 trois caméras aux abords de la gare pour empêcher le vandalisme.

L’hiver dernier à Vevey, le conseil communal a rejeté une proposition de doter la ville de deux caméras «intelligentes» cryptant les données personnelles.

Dans le canton de Berne, les municipalités de Berne et Bienne cherchent aussi depuis des années à installer des caméras dans les rues chaudes.

Mandaté par la ville de Berne, le professeur Markus Müller a rendu son rapport en août: les communes n’ont aucune compétence dans ce domaine, c’est aux cantons de légiférer s’ils veulent étendre la vidéosurveillance à l’espace public.

«La loi cantonale ne permet pas à la police de prendre des mesures préventives susceptibles de violer les droits fondamentaux». Pour Markus Müller, il faut à tout prix éviter de créer une situation semblable à l’affaire des fiches.

Le professeur de droit de l’Université de Berne estime que «le problème est législatif: il faut définir qui est habilité à réglementer pour autoriser les pouvoirs publics à filmer les gens. Comme c’est une affaire de sécurité, cela ne relève ni des communes, ni de la Confédération, mais des cantons.»

Markus Müller précise à swissinfo qu’une demi-douzaine de cantons alémaniques sont en train d’élaborer un projet. Les choses pourraient donc changer.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Pour la 1re fois, la Suisse accueille à Montreux du 14 au 16 septembre la Conférence internationale sur la protection des données.
Cette 27e édition accueille plus de 300 participants de 40 pays
En Suisse, presque 100% des banques et centres commerciaux sont équipés de systèmes de vidéosurveillance.
Il y en aurait 40’000 en Suisse, soit une caméra pour 180 habitants.
La gare de Zurich est équipée d’une centaine de caméras et le centre de Genève de 400.

– Il n’existe pas en Suisse de lois fédérale ou cantonale sur la vidéosurveillance, mais certains cantons sont en train d’étudier la question.
– Pour l’instant, des privés, comme les parkings, les centres commerciaux ou les gares sont autorisés d’installer des caméras.
– La police a le droit de filmer mais ne peut utiliser les images qu’avec l’accord d’un juge.
– Actuellement, cette surveillance obéit à la loi fédérale sur la protection des données: les caméras doivent être signalées, les images être effacées après 24 heures, leur transmission à des tiers, sauf en cas d’enquête judiciaire, est interdite, et l’utilisation doit être justifiée.

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