Des perspectives suisses en 10 langues

Des casinos «propre en ordre»

La lutte contre le blanchiment d'argent passe aussi par les tables de jeux. Keystone

Les casinos suisses ne seront pas des blanchisseries pour capitaux douteux. Exploitants et autorités ont pris à cette fin toutes les mesures nécessaires.

L’octroi des licences pour les sept grands casinos que la loi autorise désormais en Suisse repose la question du blanchiment d’argent. Le système de contrôle mis en place par le gouvernement devrait toutefois rassurer les plus sceptiques.

Samedi dernier, Berne a été le troisième grand casino à ouvrir ses portes au public, après avoir rempli une très stricte liste de conditions visant à éviter tout soupçon de blanchiment ou de liens avec le crime organisé.

Après Lucerne et Baden, la Ville fédérale franchit donc à son tour l’ultime étape d’un long processus entamé il y a dix ans. C’est en 1993, en effet, que le peuple et les cantons suisses ont accepté en votation populaire la levée de l’interdit qui pesait sur les grands jeux d’argent.

En mains propres

Il y a de nombreuses manières de blanchir de l’argent dans un casino. Le cas de figure le plus évident – et potentiellement le plus dangereux – est certainement celui où le casino est contrôlé directement par la mafia.

«Si vous savez qui possède le casino et d’où viennent les fonds qui y ont été investis, vous avez les meilleures chances de vous assurer qu’il n’est pas contrôlé par une organisation criminelle», explique Yves Rossier, directeur de la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ).

Avant même l’ouverture du premier casino, c’est la CFMJ qui a été chargée d’éplucher les dossiers des candidats à une licence. Toutes les données concernant les actionnaires, les équipes de management, les contrats et les fournisseurs ont été passées au peigne fin.

«Ce fut long et fastidieux, commente Paul Herzfeld, de Casinos Austria International (CAI). Mais nous n’avions pas le choix. Il a fallu suivre la procédure, sous peine de voir notre demande refusée.»

CAI a investi 45 millions de francs suisses dans trois nouveaux casinos helvétiques. Le groupe autrichien a pris une participation de 15% à Berne, de 45% à Lucerne et de 30% dans le casino de Saint-Gall, qui doit ouvrir ses portes à la fin de l’année prochaine.

Surveillance constante

Et la vigilance de la CFMJ ne va pas se relâcher maintenant. Yves Rossier est formel: la Commission va garder l’œil ouvert durant toute la durée de validité des licences qui viennent d’être accordées, et qui est de 20 ans. Chaque changement dans l’actionnariat fera l’objet d’une enquête aussi fouillée que celles qui ont précédé l’octroi de la licence.

«Le but n’est pas simplement d’identifier formellement le nouvel actionnaire, mais de trouver qui est éventuellement derrière, précise Yves Rossier. Et si la réponse n’est pas suffisamment claire, la licence pourrait être suspendue. Voire révoquée, en cas de sérieux doutes.»

Et les précautions ne s’arrêtent pas là. La CFMJ vérifiera chaque mois le montant des recettes des casinos. «C’est un contrôle de sécurité de plus, explique Yves Rossier. Il deviendrait ainsi très difficile à un casino de faire passer de l’argent sale dans ses comptes. Il ne pourrait pas prétendre réaliser davantage de recettes que ce que nous savons être le cas.»

Les clients aussi

En outre, la Commission fédérale ne se contentera pas de surveiller les exploitants des casinos. Elle aura aussi l’œil sur la clientèle. Ici aussi, le casino doit se soumettre à nombre de règles pour s’assurer que les joueurs ne se livrent pas au blanchiment d’argent.

Ces règles sont très claires, comme l’explique Stefan Harra, directeur du casino de Berne: «le client peut dépenser autant qu’il veut, mais lorsqu’il désire changer pour plus de 15’000 francs de plaques ou de jetons en cash, il doit signer une déclaration attestant qu’il est bien le propriétaire de cette somme».

Le casino doit également conserver les données inscrites sur le passeport du client, ainsi qu’une trace de la transaction. Tout joueur qui refuserait de signer les papiers nécessaires se verra exclu du casino.

«Finalement, personne ne pourra blanchir de l’argent dans un casino, simplement parce que le casino ne délivrera pas de documents attestant que l’argent a été gagné à ses tables», résume Stefan Harra.

Une loi, plusieurs polices

La CFMJ a donc pour tâche de s’assurer que les casinos respectent les règles. Et dans le cas où un exploitant de maison de jeu suspecte un de ses clients de transactions illégales, c’est à elle de signaler le cas au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS, selon le sigle anglais).

Les sommes seront alors gelées pour cinq jours, durant lesquelles le MROS (qui dépend de l’Office fédéral de la police) conduira ses investigations. Le Bureau décidera ensuite s’il y a lieu de transmettre ou non le cas à une autorité judiciaire.

La Suisse a mis sur pied des modèles similaires dans d’autres secteurs d’activité financière. La Commission fédérale des banques, celle des assurances privées ou l’Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (LBA) sont tous des organes de surveillance. Leur tâche est de s’assurer que les intermédiaires financiers agissent dans les limites de la légalité.

Un minimum de risques

Dina Balleyguier dirige la LBA, soit l’autorité qui surveille notamment les gestionnaires d’actifs, les bureaux de change et les fonds fiduciaires. Pour elle, la séparation entre activités de surveillance et d’enquête est fondamentale.

Mais elle admet que – vu de l’extérieur -, le fait d’avoir plusieurs organes de surveillance pour les différents secteurs du marché financier peut mener à une certaine confusion.

«La différence entre le MROS et les autres offices est importante, parce que ce Bureau mène un vrai travail d’enquête, pour lequel nous n’aurions pas le savoir-faire nécessaire», admet Dina Balleyguier.

Paul Herzfeld, de CAI, confirme. Pour lui, la Suisse a mis sur pied une série de dispositifs qui réduisent au maximum le risque de voir des opérations illégales se dérouler dans ses casinos. Que ce soit de la part des exploitants ou de celle des clients.

«La Suisse a bien examiné les législations des pays qui l’entourent et a su en tirer le meilleur», conclut ce professionnel autrichien des casinos.

swissinfo/Jonathan Summerton et Fabio Mariani

Lecture approfondie

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision